Un film de Ray Yeung sur le deuil, la condition #LGBTQ dans un pays en crise économique et identitaire – Hong Kong, une jeunesse prise en sandwich entre les anciens et leurs parents. Mais « Tout Ira bien », symbole de la résilience et du devoir de ceux qui restent. Le deuil est un processus d’apprentissage sur nous-même et notre relation avec les autres : celui qui est parti et l’Ego des différents survivants. Essayant tous de tirer sur la couverture et s’appropriant la volonté et l’histoire du disparu.

L’histoire et ses enjeux
Ce drame se concentre sur la vie d’Angie et Pat, un couple homosexuel ayant partagé plus de 30 ans d’amour à Hong Kong. Leur relation est décrite comme un pilier pour leur famille et leurs amis, mais tout bascule avec le décès inattendu de Pat, ce qui remet en question la place d’Angie au sein de cette dynamique familiale.
Le film explore des thèmes profonds tels que le chagrin, la perte et la résilience face aux bouleversements familiaux. La manière dont Angie doit naviguer dans sa nouvelle réalité après la perte de sa partenaire soulève des questions sur l’identité et le soutien familial dans des moments difficiles. Ainsi, la réunion de la famille devient essentielle pour traiter le deuil et redéfinir les relations. Ce récit poignant promet d’aborder des émotions universelles tout en mettant en lumière l’importance des liens familiaux dans les périodes de crise.
Le deuil et le questionnement de l’universalité de la douleur d’une perte
La famille est au cœur de l’intrigue. Ce drame se concentre sur la vie d’Angie et Pat et la conséquence du décès de Pat. Le film questionne l’universalité de la douleur d’une perte, tout en ancrant son histoire dans des émotions particulières à la culture et à la société hongkongaises. Certains vont défaire des cartons tandis que d’autres font en faire, le décès de quelqu’un c’est le mouvement imposé à un moment où notre cerveau est en mode stop essayant de restructurer tout.
Ce qui est marquant, c’est la représentation du deuil. Le film débute avec les festivités bruyantes et animées de la Fête de la Mi-Automne dans les quartiers surpeuplés d’Hong Kong. Cette ambiance vibrante, pleine de couleurs et de sons, est soudainement remplacée par un silence pesant après la perte de Pat. Cette transition symbolise la solitude et le calme du deuil, à l’opposé des moments de communion et de joie collective. Les espaces vides, les dialogues minimaux et les scènes introspectives renforcent le sentiment de vide laissé par le départ de l’être aimé.

Immersion dans le Hong Kong cantonais et sa jeunesse en quête d’identité
Le film offre une immersion profonde dans le quotidien hongkongais, capturant des éléments typiques tels que les marchés bondés, les repas familiaux et les dialogues en cantonais. Ce choix linguistique ancre l’histoire dans une identité locale forte, tout en soulignant les tensions entre modernité et tradition. La représentation de ces aspects du quotidien donne au spectateur une vision authentique de la vie à Hong Kong.
En parallèle, le film aborde les défis auxquels est confrontée la jeunesse hongkongaise, tiraillée entre ses aspirations personnelles et les attentes familiales. Ce thème est exploré à travers les relations entre Angie et les plus jeunes membres de la famille, qui doivent eux aussi naviguer dans un environnement où les valeurs traditionnelles se heurtent aux réalités contemporaines.
Le film démarre en pleine fête de la mi-automne Elle est célébrée principalement en Asie, c’est un moment de réunion familiale et de contemplation de la lune, symbole d’harmonie et de prospérité. Marquée par des offrandes de gâteaux de lune et des lanternes colorées, elle puise ses racines dans les traditions agricoles et les légendes, comme celle de Chang’e, déesse lunaire. Cet événement mêle rituels ancestraux et festivités modernes, rappelant l’importance des liens familiaux et des cycles naturels dans la culture asiatique. | Cette fête est également célébrée annuellement à travers le monde par la communauté chinoise, pour avoir plus d’infos |.
La société chinoise face à l’homosexualité
Outre la dimension culturelle, le film se distingue par son utilisation subtile du paysage urbain pour refléter l’état émotionnel des personnages. Les rues bondées de Hong Kong, les appartements exigus et les néons omniprésents agissent comme des miroirs de l’intériorité d’Angie. Ces espaces confinés et denses amplifient son isolement, suggérant que la ville, bien qu’animée, peut être un lieu d’extrême solitude. Ray Yeung tire parti de ce contraste pour enrichir son récit, soulignant que même dans une métropole grouillante de vie, le deuil peut créer un monde intérieur hermétique et silencieux. Le film est un maniement des opposés et des contrastes à l’image d’Hong Kong.
L’aspect très traditionnel du film se heurte avec la jeunesse, qui délaisse les traditions souvent pour ne pas se sentir déphasée. C’est surement pour cela que le film arrive à autant marquer les esprits, car il dépeint la joie des retrouvailles en famille, puis la séparation imposée par le décès de Pat. En face, il y a Victor qui peine lui aussi dans sa vie personnelle. Ce dernier est en pleine crise personnelle, il n’arrive plus à plaire à sa petite copine et ils se sont séparés. La société chinoise décrite dans ce film est celle d’Hong Kong vivant dans un melting pop durant plusieurs années, mais devant redevenir chinoise entièrement avant 2046. Entre tradition et méandre d’une puissance mondiale, la jeunesse vit avec une perception sombre de leur avenir. Le traitement social n’est pas en reste, l’homosexualité tolérée et accepté le mariage ne l’est pas encore. (Taïwan l’a légalisé en 2019, à Hong Kong l’union civile est autorisé).
Tout ira bien ne se contente pas d’être un récit sur le deuil ; il aborde également la question de l’acceptation de l’homosexualité dans une société chinoise en évolution. La relation d’Angie et Pat, bien qu’aimée et respectée par certains, est confrontée à des préjugés familiaux et sociaux, notamment lors des démarches légales après la mort de Pat. En dénonçant l’absence de reconnaissance juridique des couples de même sexe, le film met en lumière les inégalités auxquelles font face les minorités sexuelles. Cependant, l’intrigue arrive à utiliser la voie légale et testamentaire comme moyen de protéger la personne aimée. Ici, le film sonne comme une leçon sur l’importance de préparer les choses et anticiper au plus vite.

Les femmes gardiennes des traditions
Le film met un accent particulier sur les relations entre femmes. La dynamique complexe entre Angie et la mère de Pat, par exemple, illustre des conflits liés à la reconnaissance, à l’acceptation et à la transmission intergénérationnelle. Ces moments offrent une perspective intime sur la manière dont les femmes, souvent les gardiennes des traditions familiales, négocient leurs propres douleurs tout en s’affrontant sur des questions d’héritage et de mémoire.
Les femmes dans ce film sont représentées comme celle devant garder le silence. Et par-delà ces silences la réalisation va donner corps aux non-dits. L’un des aspects les plus marquants du film réside dans sa capacité à capturer l’éloquence du silence. Les moments où les dialogues se retirent pour laisser place à des gestes ou à des regards prolongés soulignent l’intensité des émotions que les mots échouent à exprimer. Cette économie verbale accentue le poids de ce qui reste non-dit dans les relations familiales et amoureuses, rappelant que les vérités les plus profondes résident souvent dans l’implicite.
Le casting remarquable
Le réalisateur a su attirer l’attention du public avec Suk Suk et Front Cover. Aujourd’hui, il continue de s’imposer comme une voix singulière du cinéma asiatique contemporain. Avec Tout ira bien, il dirige avec justesse Patra Au, bouleversante dans le rôle d’Angie, dont le jeu sobre et nuancé transmet avec authenticité les déchirures intérieures d’une femme en deuil. À ses côtés, Maggie Li incarne la mère de Pat avec une intensité retenue, apportant une profondeur émotionnelle au conflit générationnel et culturel au cœur du récit. Ces performances remarquables témoignent du talent de Yeung pour choisir des actrices capables de porter des récits intimistes. Le réalisateur consolide ainsi sa réputation en tant que chroniqueur des relations humaines complexes, en leur conférant un écho universel à travers des cadres singulièrement ancrés dans leur culture.
On citera également la jeunesse, avec l’actrice et modèle jouant la nièce Fanny, Fish Liew, nouvelle étoile montante du cinéma asiatique. À ses côtés, il y a l’acteur prêtant ses traits à Victor, le neveu hésitant, incarné par Chung-Hang Leung. Bien que leur présence soit réduite à l’écran, ils ont une manière de prendre avec poigne l’attention du spectateur. On ne voit plus que Victor à l’écran dans ses scènes sans triches sur les craintes de la jeunesse et le sentiment de non-suffisance.
Tout ira bien de Ray Yeung sortira le 1ᵉʳ janvier 2025. Un film poétique avec des scènes silencieuses et beaucoup de lenteur. Une œuvre poignante et nuancée, ancrée dans une réalité émotionnelle et culturelle, qui résonnera bien au-delà des frontières d’Hong Kong. Un plongeon dans les relations intergroupes et le quotidien des femmes. Une confrontation aux ainées patriarches, ceux qui imposent leur vision des choses. On découvre aussi les défis de la jeunesse, les traditions et tout l’aspect social d’Hong Kong et la communauté cantonaise. Un film sur l’essentiel et la recherche de demain.
___________
1 janvier 2025 en salle | 1h 33min | Drame
De Ray Yeung |
Par Ray Yeung
Avec Patra Au, Maggie Li, Tai-Bo
Titre original All Shall Be Well
En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.


Une réflexion sur “Tout ira bien – Photographie du deuil dans une société prise entre deux époques”