L’histoire de Totto-Chan est touchante, un peu comme Le tombeau des lucioles, nous sommes enfermés dans une bulle, mais tôt ou tard, la réalité revient et la bulle éclate. Un film d’animation touchant et troublant de poésie.
L’animation japonaise a toujours su aborder avec finesse et audace les sujets les plus difficiles de l’histoire du pays, notamment la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences dévastatrices. Le film TOTTO-CHAN, la petite fille à la fenêtre de Shinnosuke Yakuwa s’inscrit dans cette tradition, offrant un regard unique sur cette période sombre à travers les yeux d’une enfant insouciante.
L’histoire du Japon à travers le prisme de l’enfance
TOTTO-CHAN, la petite fille à la fenêtre nous plonge dans le Japon des années 1940, en suivant le quotidien de Tetsuko, surnommée Totto-Chan, une fillette pleine de vie et de curiosité. Contrairement au célèbre « Tombeau des lucioles » d’Isao Takahata, qui dépeint la misère et la tragédie des orphelins de guerre, le film adopte une approche plus légère, centrée sur l’expérience d’une enfant issue d’un milieu privilégié.
Le style d’animation de Shinnosuke Yakuwa, doux et coloré, reflète la vision optimiste de Totto-Chan, créant un contraste saisissant avec la réalité de la guerre qui s’intensifie progressivement. Cette approche rappelle celle de Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi, qui suit également le quotidien d’une jeune fille pendant la guerre, mais dans un contexte plus directement affecté par le conflit.
D’autres œuvres comme Le vent se lève de Hayao Miyazaki ou Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa explorent également cette période, mais TOTTO-CHAN se distingue par son focus sur l’éducation alternative et les valeurs progressistes en temps de guerre. Le film met en lumière l’école Tomoe, où des wagons servent de salles de classe et où l’on encourage l’autonomie et la créativité des enfants. Tout cela offre une fenêtre sur un Japon ouvert et progressiste, en contradiction avec l’image militariste de l’époque.
Cette approche permet non seulement d’explorer l’histoire du Japon sous un angle original, mais aussi de soulever des questions sur l’éducation et les valeurs sociétales qui restent pertinentes aujourd’hui. En plaçant l’enfance au cœur du récit, ces films offrent une perspective unique sur les grands bouleversements historiques. En nous invitant en tant que spectateur à réfléchir sur l’impact de la guerre sur les plus jeunes et sur la société dans son ensemble. On pousse le spectateur à réfléchir, à voir au-delà des images et se questionner aussi sur son aptitude à changer le monde à sa hauteur.

La bulle de l’enfance face à la réalité de la guerre
Dans son film, le réalisateur nous enferme habilement dans la bulle de l’enfance de Totto-Chan. Cette approche narrative permet au spectateur de vivre les événements à travers le regard naïf et innocent de la protagoniste, créant ainsi un contraste saisissant entre l’insouciance de l’enfant et la gravité de la situation historique.
Totto-Chan, avec sa curiosité débordante et son énergie inépuisable, navigue dans un monde qui, pour elle, reste rempli de découvertes et d’aventures malgré le contexte de guerre. L’école Tomoe, avec ses méthodes d’enseignement non conventionnelles, renforce cette bulle protectrice en offrant un environnement où la créativité et l’individualité sont valorisées.
Cependant, la réalité de la guerre s’infiltre progressivement dans cet univers. Les petites expériences quotidiennes de Totto-Chan prennent une nouvelle dimension à mesure que le conflit s’intensifie. Sa relation avec son camarade Yasuaki, atteint de poliomyélite, devient un prisme à travers lequel elle commence à comprendre la complexité du monde qui l’entoure.

Le moment le plus tragique et poignant du film survient lorsque cette bulle d’innocence éclate finalement. Le réalisateur choisit de montrer comment l’autorité du régime militariste japonais s’étend jusqu’à atteindre même les milieux les plus privilégiés de la société tokyoïte. La répression des libertés et des idéaux, qui touche aussi bien le directeur progressiste de l’école que le père musicien de Totto-Chan, marque la fin brutale de cette période d’insouciance.
Ce passage de l’innocence à la prise de conscience est traité avec une grande sensibilité, permettant au spectateur de ressentir l’impact émotionnel de ces changements sur Totto-Chan. L’éclatement de la bulle n’est pas seulement un moment de perte, mais aussi de croissance, illustrant comment les enfants, malgré leur jeune âge, sont capables de comprendre et de s’adapter à des réalités difficiles. Non, les enfants ne vivent pas sans comprendre la gravité du monde qui les entoure, ils ont juste une vision plus brute du monde avec des couleurs vivent avec des émotions franches et sans tricherie.
Une animation poétique pour aborder l’indicible
L’un des aspects les plus remarquables de TOTTO-CHAN, la petite fille à la fenêtre réside dans sa capacité à traiter des sujets lourds avec une légèreté touchante et une poésie visuelle troublante. L’animation, en tant que médium, offre une liberté unique pour exprimer l’indicible, et Shinnosuke Yakuwa en tire pleinement parti.
Le style d’animation du film, caractérisé par des couleurs douces et des traits délicats, contribue à créer une atmosphère onirique qui reflète la perception du monde par Totto-Chan. Cette approche visuelle permet de rendre accessible et compréhensible pour un large public, y compris les enfants, des thèmes complexes comme la guerre, la discrimination et la perte de l’innocence.
La poésie du film se manifeste également dans sa façon de représenter les moments de joie et de découverte de Totto-Chan. Les scènes où elle grimpe aux arbres ou se baigne nue dans la piscine sont empreintes d’une liberté et d’une beauté qui contrastent avec le contexte historique sombre. Ces moments de légèreté ne minimisent pas la gravité de la situation, mais offrent plutôt un contrepoint nécessaire, rappelant la résilience et la capacité d’émerveillement des enfants même dans les périodes les plus difficiles.
L’animation permet aussi de représenter de manière subtile et nuancée les changements progressifs dans l’environnement de Totto-Chan. Les transformations de Tokyo, l’évolution des comportements des adultes, et même les modifications dans la palette de couleurs utilisée au fil du récit, sont autant d’éléments qui contribuent à créer une narration visuelle riche et évocatrice.

Cette approche poétique et marquante de l’animation japonaise, que l’on retrouve aussi dans des œuvres comme Dans un recoin de ce monde (2016, Sunao Katabuchi), permet d’aborder des sujets difficiles d’une manière profondément touchante pour le spectateur, sans pour autant le submerger. Elle offre un espace de réflexion et d’émotion, invitant à une compréhension plus profonde et empathique de l’histoire et de ses impacts sur les individus.
TOTTO-CHAN, la petite fille à la fenêtre s’inscrit dans une riche tradition d’animation japonaise qui ose aborder les périodes sombres de l’histoire avec audace et sensibilité. En adoptant le point de vue d’une enfant, le film offre une perspective unique sur la Seconde Guerre mondiale, mêlant innocence et prise de conscience progressive. L’utilisation habile de l’animation comme médium permet de traiter ces sujets difficiles avec une poésie visuelle qui rend l’expérience à la fois touchante et accessible. Ce film, comme d’autres œuvres du genre, démontre la capacité de l’animation japonaise à explorer les complexités de l’histoire et de la société de manière profonde et nuancée, tout en restant accessible à un large public.
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1 janvier 2025 en salle | 1h 54min | Animation, Drame, Famille
De Shinnosuke Yakuwa |
Par Yusuke Suzuki, Shinnosuke Yakuwa
Avec Liliana Ôno, Koji Yakusho, Shun Oguri
Titre original Madoigwa no Totto-chan
Chanson du film : Aimyon – Anone
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Une réflexion sur “Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre, le film d’animation japonaise bouleversant de ce début d’année 2025”