Le dernier film de Pedro Almodóvar, La Chambre d’à côté | (The Room Next Door), est une œuvre poignante qui explore les thèmes de la vie, de la mort et de l’amitié avec une sensibilité poétique caractéristique du réalisateur espagnol. Ce long-métrage, qui marque la première incursion d’Almodóvar dans le cinéma anglophone, après deux court-métrages dans la langue de Shakespeare, La Voix humaine (2020) et Strange Way of Life (2023). Il a été récompensé par le prestigieux Lion d’Or à la Mostra de Venise, confirmant ainsi son statut d’œuvre majeure.
Une histoire d’amitié face à la mort
Le film met en scène deux femmes, Martha (Tilda Swinton), une reporter de guerre, et Ingrid (Julianne Moore), une romancière autofictionnelle. Leur amitié, mise à l’épreuve par le temps et les circonstances, se trouve ravivée dans un contexte des plus dramatiques. Martha, atteinte d’un cancer du col de l’utérus en phase terminale, décide de mettre fin à ses jours et demande à Ingrid de l’accompagner dans ses derniers moments.
Cette prémisse permet à Almodóvar d’explorer les nuances complexes de l’amitié féminine, un thème récurrent dans son œuvre. Les dialogues ciselés et la tension palpable entre les deux personnages révèlent une relation alambiquée, faite d’amour, de rancœur et de non-dits. La performance nuancée de Tilda Swinton et Julianne Moore apporte une vérité immuable à cette narration intime et bouleversante.
Le droit de mourir dignement : entre suicide assisté et euthanasie
Le film aborde de front la question du suicide assisté, un sujet d’une brûlante actualité. Almodóvar, fidèle à son style provocateur, n’hésite pas à prendre position en faveur de ce qu’il considère comme un « droit fondamental« . Le film s’inscrit dans un contexte où de nombreux pays débattent de la légalisation du suicide assisté, distinct de l’euthanasie par une nuance sémantique cruciale : dans le cas du suicide assisté, c’est le patient lui-même qui administre le produit létal, préservant ainsi son autonomie jusqu’au dernier instant.
Cette distinction subtile, mais essentielle est au cœur du film d’Almodóvar. En choisissant de mettre en scène un suicide assisté plutôt qu’une euthanasie, le réalisateur souligne l’importance de l’autodétermination face à la mort. Il invite ainsi le spectateur à réfléchir sur les questions éthiques et morales liées à la fin de vie, tout en évitant un positionnement manichéen.

Une mise en scène hitchcockienne et symbolique
La réalisation d’Almodóvar dans La Chambre d’à côté peut rappeler l’univers d’Alfred Hitchcock par plusieurs aspects. Le choix d’une maison isolée comme décor principal crée une atmosphère de huis clos oppressante, avec une porte rouge, symbole de la tension omniprésente du film. Quant à la scène de l’incendie, elle est jouée d’une manière proche de la mise en scène du maître du suspense. Cette esthétique hitchcockienne se marie habilement avec les touches caractéristiques d’Almodóvar, notamment dans l’utilisation des couleurs vives et symboliques.
Le traitement visuel des personnages renforce la dimension symbolique du film. Tilda Swinton, dans le rôle de Martha, apparaît presque fantomatique, incarnant la fragilité de la vie face à la mort imminente. Le choix audacieux de faire jouer à Tilda Swinton également le rôle de la fille de Martha ajoute une couche de complexité supplémentaire, créant un effet de miroir saisissant qui interroge sur la transmission et la continuité de la vie.
Une réflexion sur l’art et la mort
Le réalisateur tisse habilement des liens entre l’art et la mort tout au long du film. Les références aux arts picturaux et le choix minutieux des musiques originales contribuent à créer une atmosphère à la fois esthétique et mélancolique. Cette approche artistique de la mort fait écho aux propos du réalisateur, qui affirme que son film traite de la mort « d’une manière lumineuse, en plein air, en contact avec la nature« .
Le personnage d’Ingrid, romancière autofictionnelle, permet également d’explorer le rôle de l’art dans la compréhension et l’acceptation de la mort. À travers son regard d’écrivaine, le film interroge la façon dont nous narrons nos vies et nos morts, et comment l’art peut servir de médium pour appréhender l’inéluctable. De même, le personnage incarné par Tilda est une reporter de guerre, qui a sans cesse dû apprendre à maitriser tout d’elle-même : ses émotions, son corps et sa condition physique. Ici, le cancer est en soi un combat contre quelque chose qu’elle ne peut maitriser si ce n’est par le choix de sa finalité.

Le film est poignant, interrogeant le spectateur sur ses propres craintes et son apprentissage de sa propre mortalité.
Le film se révèle être un véritable miroir existentiel, interrogeant subtilement notre rapport à la vie et à la mort. En racontant l’histoire de Martha, confrontée à une maladie incurable, et d’Ingrid, témoin privilégiée de ses derniers instants, le film explore la finitude humaine à travers une narration à la fois intime et universelle.
La décision radicale de Martha de choisir sa fin interpelle : qu’est-ce que la dignité lorsqu’il ne reste plus que la douleur ? À travers cette quête d’autonomie, le réalisateur place le spectateur face à des dilemmes profonds : comment aborder notre propre mortalité ? Pouvons-nous maîtriser notre départ avec autant de détermination que nous guidons notre vie ?
L’amitié entre Martha et Ingrid, réactivée dans ce contexte tragique, devient un élément central de la réflexion. Elle témoigne de la force inaltérable des liens humains, capables de transcender le poids de l’inéluctable. La mort, loin de rompre ces connexions, en révèle toute la profondeur, questionnant notre capacité à accompagner nos proches dans les moments les plus fragiles.
Visuellement et symboliquement, Pedro Almodóvar propose une vision presque apaisante de la mort. Loin des représentations sombres habituelles, il privilégie une mise en scène lumineuse et naturelle, transformant ce passage redouté en une étape où la sérénité et la beauté ne sont pas exclues. Tout cela contraste avec la tension dramatique, cette porte rouge que l’on observe jour après jour, heure après heure, scrutant si elle est ouverte ou fermée.

Au-delà de sa portée émotionnelle, « La Chambre d’à côté » offre une réflexion subtile sur l’importance de vivre en conscience. En nous confrontant à nos peurs les plus profondes, le réalisateur espagnol nous rappelle que l’acceptation de notre mortalité est indissociable de notre manière d’habiter pleinement chaque instant de vie. Ce film s’affirme comme une œuvre majeure dans la filmographie d’Almodóvar. En abordant des thèmes aussi universels que la mort, l’amitié et le droit à l’autodétermination, le réalisateur espagnol livre un film à la fois intime et ambitieux. La performance exceptionnelle de Tilda Swinton et Julianne Moore, couplée à une mise en scène alliant tension hitchcockienne et sensibilité almodovárienne, fait de ce long-métrage une expérience cinématographique profondément émouvante et intellectuellement stimulante. On vous le promet, en sortant des salles le 8 janvier 2025, les spectateurs ne manqueront pas d’être bouleversés par cette réflexion poétique sur la vie, la mort et la dignité humaine.
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8 janvier 2025 en salle | 1h 47min | Comédie, Comédie dramatique, Drame
De Pedro Almodóvar |
Par Pedro Almodóvar
Avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro
Titre original The Room Next Door
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2 réflexions sur “La Chambre d’à côté, Almodóvar au sommet de son Art.”