La dernière valse – un film atypique sur un thème universel.


Dans un monde où tout s’accélère, La Dernière Valse prend le temps de regarder ce que l’on évite souvent : la mort, les liens, et ce qu’ils disent de notre manière de vivre. À travers une fable profondément humaine, le film interroge la transmission, la mémoire et la place que chacun accepte d’occuper face aux autres.

Alors que la pandémie a fragilisé toute une économie, Dominic, organisateur de mariages endetté, voit surgir une opportunité inattendue lorsqu’un maître de cérémonies funéraires lui confie son activité. Habitué aux unions joyeuses, il doit apprendre à accompagner les adieux. Son approche moderne et pragmatique entre rapidement en tension avec celle de Maître Man, prêtre taoïste rigoureux, gardien d’un ordre ancien fondé sur la tradition, la hiérarchie et le respect des rites. Entre les deux hommes se dessine une relation faite de heurts, d’incompréhensions, mais aussi d’écoute progressive. À travers une série de funérailles singulières, Dominic découvre que ces rituels ne sont pas de simples formalités mais des passages essentiels pour les vivants. Le film suit ainsi un double parcours : celui d’un homme qui apprend à ralentir, et celui d’un autre qui doit accepter que le monde change. Leurs échanges, parfois drôles, parfois rudes, révèlent une réflexion intime sur la transmission, la dignité et la manière d’honorer les liens humains au-delà de la mort.

taoïsme chine hong kong
© Emperor Motion Pictures/Alibaba Pictures/Trinity CineAsia

Un film sur la famille et nos relations à nos proches

Un film touchant sur la famille et ce qu’elle devrait représenter dans nos priorités. Mais aussi sur le poids des traditions et de l’héritage : quand doit-on apprendre à faire avec nos convictions et cesser de faire des choix frustrants selon des dires et des traditions qui se contredisent ? Le film puise une force indéniable dans son rythme très lent, dans sa manière de montrer le travail de collaboration entre le religieux et le laïc. Mais, il y a aussi cette musique qui accompagne l’émotion avec justesse et en crescendo !

Ce que raconte avant tout La Dernière Valse, c’est la difficulté à aimer sans condition lorsque le poids des attentes familiales et sociales écrase les élans personnels. La cellule familiale y apparaît comme un espace de transmission autant que de conflit, où l’on hérite de valeurs parfois incompatibles avec le monde contemporain. Le film observe avec finesse ces tensions silencieuses, ces non-dits qui s’installent entre parents et enfants, entre maîtres et disciples, entre générations qui ne parlent plus le même langage. La lenteur assumée du récit permet d’installer une écoute, presque une méditation, sur ce que signifie réellement « faire famille ». Le rapport entre religieux et laïc devient alors un miroir plus large : deux visions du monde contraintes de collaborer, non par idéologie mais par nécessité humaine. La musique accompagne ce mouvement intérieur avec une grande pudeur, soutenant l’émotion sans jamais la forcer, montant progressivement comme une respiration retenue. Elle agit comme un fil invisible reliant les personnages entre eux, rappelant que derrière les rites, les dogmes ou les règles sociales, subsiste toujours un besoin fondamental de reconnaissance, d’amour et de réconciliation.


La Chine taoïste et sa relation aux vivants et aux morts.

Nous sommes plongés dans la Chine taoïste, on connait ce mot, mais on ne sait jamais vraiment expliquer ce que cela signifie, néanmoins le film donne l’illustration de deux célébrations clés : les Mariages et les Enterrements. Ce dernier est mis en avant, mais nous ouvre la réflexion sur l’importance de savoir communiquer avec les vivants.

Nous sommes ici, dans une approche concrète et incarnée du taoïsme, loin des définitions abstraites ou folkloriques. À travers les rituels funéraires, il montre comment cette pensée organise un rapport équilibré entre visible et invisible, entre continuité et séparation. Les enterrements ne sont pas présentés comme des fins, mais comme des passages nécessaires, des moments où les vivants apprennent à dialoguer avec l’absence. En miroir, le mariage rappelle l’autre seuil de l’existence, celui de l’engagement et de la transmission. Ces deux cérémonies forment un cycle, une respiration complète de la vie humaine. Le film insiste sur une idée essentielle : honorer les morts n’a de sens que si cela aide les vivants à mieux se comprendre. La communication, souvent empêchée par la pudeur ou la hiérarchie, devient un enjeu central. En montrant les gestes, les prières, les silences, La Dernière Valse révèle une spiritualité profondément concrète, ancrée dans le quotidien. Le taoïsme y apparaît moins comme une religion que comme une sagesse pratique, attentive aux équilibres, aux transitions et à la nécessité d’accepter l’impermanence.


Le cérémonial : le prêtre doit s’occuper des âmes à franchir les portes, mais le laïc a cette tâche d’accompagner les (sur)vivants dans cette épreuve.

On aime la représentation des médecins, des ambulanciers paramédic qui sont cet entre-deux entre les morts et le monde des vivants. Ils se battent pour la vie, quand les prêtres ici se battent pour la mémoire des anciens.

Le film établit une frontière subtile mais essentielle entre deux formes de responsabilité. Le prêtre taoïste agit sur le plan symbolique, il ouvre les passages, protège les âmes et garantit la continuité du rituel. Face à lui, le laïc, qu’il soit organisateur, médecin ou ambulancier, agit dans l’urgence du réel, au contact direct de la souffrance et de la perte. Cette opposition n’est jamais frontale : elle révèle au contraire une complémentarité profonde. Les soignants luttent pour retenir la vie, parfois jusqu’à l’épuisement, tandis que les prêtres œuvrent pour préserver la mémoire et donner un sens à la séparation.

Le film rend hommage à ces figures souvent invisibles, coincées entre deux mondes, chargées d’absorber la douleur des autres sans toujours pouvoir l’exprimer. Ce cérémonial devient alors un espace de passage partagé, où chacun joue un rôle précis dans l’accompagnement du deuil. La mise en scène insiste sur la dignité de ces gestes répétés, sur leur valeur humaine autant que symbolique. En cela, La Dernière Valse parle moins de mort que de responsabilité morale, de soin et de respect envers ceux qui restent.


L’Asie en 2026 que ce film peut-il nous enseigner ?

À l’horizon 2026, La Dernière Valse apparaît comme un film profondément contemporain, capable d’interroger l’Asie moderne sans discours frontal. Il montre une société prise entre modernisation rapide et fidélité aux héritages, entre efficacité économique et besoin de sens.

À travers Hong Kong, c’est toute une région confrontée à la perte de repères qui se dessine, cherchant à préserver ses rites dans un monde standardisé. Le film rappelle que le progrès ne peut se faire au prix de l’effacement des liens symboliques. Il enseigne aussi que la transmission ne passe pas uniquement par l’autorité, mais par l’écoute et la reconnaissance mutuelle. Dans une époque marquée par la solitude, la pression sociale et la performance, cette œuvre invite à réhabiliter le temps long, l’attention portée aux autres et la valeur du collectif. Elle propose une vision apaisée, presque thérapeutique, du rapport à la mort, non comme une fin anxiogène mais comme un miroir de notre manière de vivre. En ce sens, le film dépasse son cadre culturel pour offrir une réflexion universelle : apprendre à accompagner, plutôt qu’à dominer, accepter de lâcher prise, et comprendre que transmettre, c’est aussi accepter de se transformer.

Le choix de Hong Kong n’est pas anodin. Depuis plusieurs années, cette ville redevient progressivement chinoise, et en 2046 elle devra l’être entièrement. Nous sommes face à une population profondément bouleversée dans sa manière de vivre, tiraillée entre héritage occidental et traditions orientales. Cette question identitaire traverse le quotidien, les mentalités, les rapports sociaux, et crée une forme d’aliénation permanente. Hong Kong vit dans un entre-deux, à l’image de Taïwan ou de Singapour, des villes modernes, tournées vers l’efficacité et la mondialisation, mais contraintes de composer avec des racines culturelles anciennes, parfois contradictoires. Cette coexistence produit des tensions silencieuses, mais aussi des formes de résistance intime. Le taoïsme s’inscrit précisément dans cet espace intermédiaire. Il n’est ni figé ni dogmatique, mais souple, adaptatif, profondément lié à l’équilibre et au passage. Il incarne cette capacité à faire cohabiter les contraires, à accepter la transformation sans renier l’héritage. En cela, il devient un miroir du territoire lui-même, pris entre modernité imposée et mémoire persistante, entre rupture et continuité, entre avenir incertain et traditions qui refusent de disparaître.

Finalement, ce film est aussi une histoire d’amour, celle d’une fille pour son père, une histoire faite de silences, d’incompréhensions et de gestes retenus, mais traversée par un désir profond de reconnaissance. Derrière les rites, les conflits de générations et le poids des traditions, se dessine une quête intime : être vu, entendu, aimé sans condition. Cette relation filiale devient le cœur émotionnel du récit, révélant combien l’amour peut se dire autrement que par les mots. En explorant cette filiation blessée, La Dernière Valse rappelle que transmettre, ce n’est pas imposer, mais accepter l’autre dans sa différence. Le film touche alors à quelque chose d’universel : la nécessité de réconcilier les vivants avant que le silence ne devienne définitif.

________

Note : 3.5 sur 5.

31 décembre 2025 en salle | 2h 20min | Drame
De Anselm Chan | 
Par Anselm Chan, Cheng Wai-kei
Avec Dayo Wong Chi-Wah, Michael Hui, Michelle Wai
Titre original Po · Dei Juk


En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Un commentaire ça aide toujours !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.