Avec Magellan, Lav Diaz déconstruit le mythe du grand explorateur pour en révéler la part sombre. Un voyage austère et politique, où la soif de découverte bascule peu à peu vers la domination, la foi imposée et la violence coloniale.
Dans Magellan, Lav Diaz retrace le parcours de Fernand de Magellan, navigateur portugais en rupture avec son roi, qui trouve refuge auprès de la Couronne espagnole afin de mener une expédition vers les mythiques terres de l’Est. Porté par une obsession de découverte et de dépassement, il affronte mutineries, famine et désillusions jusqu’à atteindre l’archipel malais. Peu à peu, l’idéaliste cède la place à un homme animé par la conquête et la conversion religieuse. Le film suit cette lente bascule à travers un regard politique et intime, incarné par Gael García Bernal, dont l’interprétation épouse les contradictions d’un homme partagé entre rêve, orgueil et perte de repères. Autour de lui gravitent des figures historiques comme Humabon, Lapu Lapu ou Beatriz, épouse presque absente mais essentielle, pensée comme l’âme intime du héros.

Loin du phénoménal mais dans une réalité crue
Lav Diaz refuse toute vision spectaculaire ou héroïque du récit maritime. Son Magellan s’inscrit dans une démarche de dépouillement radical, fidèle à son cinéma du temps long et de la durée vécue. Le film privilégie l’attente, la fatigue, les silences et les corps éprouvés plutôt que l’exploit.
Le voyage devient une expérience physique et morale, marquée par la faim, la maladie, la peur et la perte de repères. La violence n’est jamais glorifiée, elle surgit comme une conséquence presque mécanique du pouvoir et de la foi imposée. En s’appuyant sur les écrits historiques et notamment le journal de Pigafetta, Lav Diaz montre comment la conversion religieuse devient un outil politique, un basculement décisif dans l’histoire des Philippines.
Le personnage de Magellan n’est ni héros ni monstre, mais un homme emporté par une logique qui le dépasse. Le cinéaste interroge ainsi la fabrication des mythes, leur usage par les pouvoirs successifs, et la manière dont ils façonnent encore les sociétés contemporaines. Le film avance à contre-courant du récit épique classique, préférant une vérité rugueuse, parfois inconfortable, où la conquête apparaît comme une suite d’erreurs, de croyances et d’aveuglements.
Un regard philippin sur Magellan
L’un des aspects les plus singuliers de Magellan réside dans son regard philippin sur une figure longtemps racontée depuis l’Europe. Lav Diaz revendique une approche presque révisionniste, allant jusqu’à remettre en question l’existence même de certains héros traditionnels comme Lapu Lapu, perçus selon lui comme des constructions politiques utiles aux récits nationaux. Cette réflexion irrigue tout le film et lui donne une portée contemporaine.
Autre élément marquant, quand on regarde le film, on constate que le réalisateur met en avant une grande place à la spiritualité : la conversion au catholicisme, amorcée par l’épisode du Santo Niño, est montrée comme un moment fondateur dont les effets se prolongent encore aujourd’hui, puisque plus de 80 % de la population philippine reste catholique. Le tournage mêle acteurs professionnels et non-professionnels afin de préserver une tension organique, quasi documentaire. Gael García Bernal s’est fondu dans cette méthode, acceptant de perdre tout confort de jeu pour laisser émerger une présence plus intérieure, presque méditative. Lav Diaz confie d’ailleurs que le film a pris une dimension spirituelle inattendue, notamment dans son dernier mouvement, où Magellan semble accéder à une forme de lucidité face à sa propre fin. Plus qu’un film historique, Magellan devient ainsi une méditation sur la foi, le pouvoir et l’illusion du progrès.
Le film possède une photographie qui pose le cadre et le style très cinéma d’anthropologie apporte quelque chose de presque documentaire. On montre les choses avec des plans fixes, on évite d’ajouter des musiques additionnelles. Bref, on dévoile l’histoire dans sa forme brute en prenant le parti de dévoiler la noirceur des premiers colons avec plusieurs scènes de massacres. Il y a quelque plan très poétique, principalement ceux où Magellan est avec sa femme, créant un effet de contraste fort avec la cruauté et brutalité des autres scènes du film.
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31 décembre 2025 en salle | 2h 43min | Biopic, Drame, Romance
De Lav Diaz |
Par Lav Diaz
Avec Gael García Bernal, Roger Alan Koza, Dario Yazbek Bernal
Titre original Magalhaes
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