En garde : être aimé suffit-il à être sauvé ?


Avec En garde, Nelicia Low signe un drame intime et tendu où l’escrime devient le miroir d’un lien fraternel fracturé. Entre amour projeté, culpabilité et fascination, le film explore la frontière trouble entre protection et aveuglement affectif.

Dans En garde, Jie est un jeune escrimeur prometteur qui tente de se reconstruire à travers la discipline et l’exigence du sport. Son quotidien bascule lorsque réapparaît Han, son frère aîné, récemment libéré après sept années de prison pour la mort accidentelle d’un adversaire lors d’un duel. Malgré le poids du passé, une relation silencieuse se reforme. En secret, Han entraîne Jie et l’aide à viser une qualification nationale, devenant à la fois mentor, figure d’autorité et présence trouble.

Jie voit en son frère un modèle idéalisé, une figure protectrice à laquelle il s’accroche avec une foi presque aveugle. Han, de son côté, oscille entre distance, manipulation et désir sincère de reconnaissance. Le film installe progressivement un doute moral : que sait réellement Jie de l’homme qu’il admire ? À mesure que les tensions remontent, une dispute fissure leur fragile équilibre et fait émerger le soupçon d’une vérité plus sombre.

Autour d’eux, la mise en scène resserrée, les silences et les regards remplacent les explications. L’escrime devient un langage émotionnel, un duel intérieur où chaque geste révèle une lutte plus profonde. Les deux frères avancent ainsi dans un face à face où l’amour, la culpabilité et le besoin d’exister dans le regard de l’autre s’entremêlent jusqu’au point de rupture.

En Garde © Outplay

Une histoire trouble, dualité de deux frères voulant exister dans les yeux de l’autre

Au cœur de En garde se déploie une réflexion troublante sur la dualité fraternelle, fondée moins sur l’opposition que sur une dépendance affective asymétrique. Le film ne raconte pas seulement la réapparition d’un frère après la prison, mais la collision entre deux constructions intimes : celle de Jie, bâtie sur l’idéalisation et le besoin d’être aimé, et celle de Han, façonnée par la manipulation, l’orgueil et une part d’opacité irréductible. Leur lien repose sur un malentendu ancien, nourri par l’enfance et par une mémoire reconstruite, parfois fantasmée.

Jie cherche désespérément à croire en la bonté de son aîné. Son regard devient le prisme à travers lequel le spectateur perçoit Han, toujours incertain, jamais totalement condamné ni pleinement absous. Cette position morale instable est centrale : l’amour fraternel agit ici comme un filtre qui empêche de voir clairement, mais qui protège aussi d’un effondrement intérieur. Aimer devient une stratégie de survie. En ce sens, la relation n’est pas équilibrée, elle est traversée par un rapport de pouvoir silencieux, où l’un existe à travers l’autre.

Han, lui, comprend très vite cette dépendance affective. Il s’y abandonne parfois, s’en sert souvent, tout en étant lui-même troublé par la sincérité de son cadet. Le film suggère que cette affection insistante finit par fissurer son masque. À force d’être regardé comme un frère aimant, il en vient à douter de sa propre noirceur. Cette ambiguïté constitue le cœur moral du récit : l’amour peut-il façonner l’identité, voire réécrire une part de vérité intime ?

La mise en scène accompagne cette tension par une atmosphère presque onirique. Les scènes d’enfance, les souvenirs, les moments d’entraînement ou de confrontation semblent flotter dans un espace mental où réalité et projection se confondent. L’escrime, art du face-à-face et du contrôle, devient le prolongement symbolique de leur relation : attaque et retenue, distance et contact, domination et abandon.

En explorant cette dualité, En garde ne cherche jamais à juger frontalement. Le film préfère observer la zone grise où naissent les attachements impossibles, là où l’amour persiste malgré le mensonge et la peur. Il interroge la capacité humaine à aimer au-delà du réel, quitte à se perdre soi-même. Cette tension intime, douloureuse et profondément humaine, donne au récit sa force tragique et son trouble durable.

Notre avis – attention spoilers –

Un film d’une belle photographie et beaucoup de pourquoi qui resteront sans réponse. Un twist final qui n’a pas réellement de sens, pourquoi sauver un être nous ayant déjà fait autant de mal ? Peut-être pour essayer de se prouver qu’on vaut mieux que lui ?
Le rythme est agréable, les acteurs attachants et l’histoire simple. Certains points nous rappellent un peu le cinéma de Wong Kar Wai : des personnages prisonniers d’un passé et des désirs présents qui n’arrivent pas à se concrétiser tant le poids karmique et les secrets prennent de la place.

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Note : 4.5 sur 5.

31 décembre 2025 en salle | 1h 46min | Drame
De Nelicia Low | 
Par Nelicia Low
Avec Tsao Yu-Ning, Hsiu-Fu Liu, Ning Ding
Titre original Cì xīn qiè gŭ


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