The Cord of Life, une immersion poétique dans les panoramas mongoles.


Entre modernité urbaine et mémoire des steppes, The Cord of Life de Sixue Qiao explore le lien indestructible entre une mère atteinte d’Alzheimer et son fils musicien. Voyage initiatique et poétique, le film célèbre la transmission, la tendresse et la quête d’équilibre entre Orient et Occident.

Réalisé par Sixue Qiao, The Cord of Life suit Alus, jeune musicien urbain contraint de quitter la ville pour retourner dans la steppe mongole auprès de sa mère atteinte d’Alzheimer. Au fil d’un voyage à la fois physique et intérieur, mère et fils renouent avec leurs racines dans une quête empreinte de mémoire, d’amour et de transmission. L’œuvre déploie une poésie visuelle rare, où chaque corde, chaque souffle du vent devient symbole du lien invisible entre passé et présent, entre la protection et la liberté.

The Cord of Life © Éclumia Pictures

Alus, à la croisée des Modernes et des Anciens

Alus vit à la frontière du moderne et du traditionnel. Lorsqu’il apprend la maladie de sa mère, il décide de l’emmener dans la steppe pour lui offrir un dernier ancrage dans la terre de leurs ancêtres. Pour ne pas la perdre, il l’attache à lui à l’aide d’une corde, fil à la fois physique et symbolique. Ce lien rappelle le cordon ombilical, la protection originelle, mais aussi la contrainte des responsabilités inversées. À mesure que le voyage progresse, la mère perd ses repères tandis que le fils découvre une forme nouvelle de tendresse et de maturité. Dans cette inversion des rôles, The Cord of Life dépeint la transmission, l’effacement et la réconciliation intime d’une génération tiraillée entre fidélité aux anciens et appel du monde contemporain.


Figure d’une Asie Plurielle

À travers le regard d’Alus, le film capture une tension sociale profonde : celle d’une jeunesse asiatique partagée entre la tradition et l’occidentalisation accélérée. La réalisatrice évoque une Asie en mutation où la mémoire collective s’effrite au profit d’un individualisme hérité de la modernité urbaine. Les jeunes musiciens, comme Alus, incarnent cette hybridation culturelle : ils composent sur des instruments électroniques tout en portant en eux les échos des chants ancestraux. Le film révèle ainsi un paradoxe contemporain, celui d’une génération qui s’émancipe en s’éloignant des racines, mais qui, dans cet éloignement, découvre le vide d’une identité désorientée.

Le personnage de Tana symbolise cette quête de sens. Elle vit entre deux mondes, consciente que la modernité n’est pas synonyme de progrès spirituel. Son regard sur la steppe est celui d’une femme instruite, revenue chercher non pas un passé perdu, mais un espace intérieur capable d’unir mémoire et avenir. Sixue Qiao peint ici une Mongolie-Intérieure, traversée par les influences occidentales, mais encore reliée à un socle invisible de valeurs et de rites.

Cette occidentalisation ne se réduit pas à une transformation esthétique ou économique, elle touche au langage, à la manière d’aimer, de vieillir et de transmettre. En plaçant la maladie d’Alzheimer au cœur du récit, la cinéaste traduit la perte de mémoire d’une génération comme celle d’une civilisation. L’oubli devient métaphore : celui des traditions, des chants, des gestes. Pourtant, l’art, la musique et la tendresse filiale ouvrent un chemin de réconciliation. Le film n’oppose pas Orient et Occident, il tisse entre eux une corde fragile, tendue entre deux humanités qui cherchent à se reconnaître.

The Cord of Life © Éclumia Pictures

Retour du fils prodigue

L’inspiration de The Cord of Life est née d’une rencontre en France. Sixue Qiao croise une femme atteinte d’Alzheimer errant dans la rue, perdue dans une ville qu’elle ne reconnaît plus. Cette image déclenche une prise de conscience intime : sa propre mère, en proie à une dépression, semblait elle aussi se retirer du monde. Ce choc devient la matrice du film, où le fils prend soin de sa mère comme d’un enfant. Ce renversement du lien filial nourrit toute la symbolique du récit.

Ce retour du fils prodigue n’est pas seulement géographique, il est spirituel. Alus, figure de la jeunesse déracinée, revient vers la steppe comme on revient à soi. Son retour est une forme de rachat, un chemin de pardon et de réconciliation silencieuse. Là où l’exil symbolisait la rupture, le retour devient acte d’amour et de responsabilité. En renouant avec la terre maternelle, Alus retrouve sa propre humanité et apprend que la modernité n’a de sens que si elle demeure liée à la mémoire de ceux qui l’ont précédé.

La réalisatrice transpose cette émotion dans le décor de la steppe, un espace où le temps se dilate. La corde qu’Alus utilise pour retenir sa mère devient alors une métaphore universelle : celle de la protection et de l’enracinement. Chaque nœud, chaque geste évoque la difficulté d’aimer sans enfermer, de garder sans posséder.

Sixue Qiao s’inspire de la culture mongole, où le cordon ombilical est conservé comme talisman protecteur. Elle détourne ce symbole pour raconter la persistance du lien mère-fils au-delà de la mémoire. Lors du tournage, l’équipe découvre par hasard un « arbre du Yin-yang », formé d’un tronc mort enlacé à un arbre vivant. Cette vision s’impose comme la conclusion naturelle du film : une métaphore de la transmission, de la continuité entre générations.

La réalisatrice confie que Paris a profondément marqué son regard de cinéaste. Son apprentissage du cinéma français lui a enseigné la pudeur, le silence et l’art de la suggestion. Ces influences transparaissent dans la mise en scène minimaliste de The Cord of Life, où les silences racontent plus que les dialogues. L’œuvre devient ainsi une traversée spirituelle, entre Orient et Occident, où chaque respiration du vent rappelle que l’amour filial, même quand il s’efface, continue de battre comme un cœur enfoui dans la mémoire du monde.

Notre avis

Le film m’a touché pour sa manière de montrer le pouvoir de la musique qui peut changer le monde, mais aussi crée un lien. Elle est présente partout et libère. La fin fait beaucoup penser à La Ballade de Narayama, y réside une poésie simple et rare, qui offre une sincérité palpable. Une leçon de vie, d’amour et d’humanité.

Ce qui marque en premier lieu, c’est la manière dont il arrive à filmer la musique, peu de films y arrivent. On a A Star Is Born qui l’a fait avec succès, La Reine des Damnés n’a pas réussi et donne l’impression d’avoir une série de clips MTV. The Cord Of Life donne un mariage intelligent entre l’ancien et le moderne. L’amour des traditions et le la recherche du modernisme. La musique transforme tout, un peu comme l’apprentissage de l’autre qui peu à peu s’efface.

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Note : 4.5 sur 5.

5 novembre 2025 en salle | 1h 36min | Drame
De Sixue Qiao | 
Par Sixue Qiao
Avec Badema, Yider, Nahia
Titre original Qi Dai


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