Dans la Chine contemporaine, un fils unique voit son équilibre familial bousculé par l’arrivée d’un ami énigmatique. Rivalités, désir d’appartenance et faux-semblants se mêlent dans ce thriller psychologique finement observé par Lin Jianjie.

Avec Brief History of a Family, Lin Jianjie signe un premier long-métrage d’une précision chirurgicale, où la cellule familiale devient à la fois objet d’étude biologique et microcosme social. Au cœur d’une Chine contemporaine en pleine mutation, il observe comment l’arrivée d’un élément extérieur – l’énigmatique Shuo – vient fissurer l’harmonie apparente d’une famille aisée. Entre thriller psychologique et drame intimiste, le film questionne subtilement la place que chacun occupe dans le cercle familial et les tensions invisibles qui s’y nouent.

Dans la Chine urbaine d’aujourd’hui, Wei, fils unique d’une famille aisée, se lie avec Shuo, un camarade aussi discret qu’énigmatique. Peu à peu, l’adolescent s’immisce dans leur quotidien, jusqu’à dérégler l’harmonie patiemment affichée par le foyer. Rivalités, manque, désir d’appartenance et peur du remplacement s’entrecroisent, révélant la fragilité d’une famille tenue par les apparences et la réussite, thriller intime sur une homéostasie familiale qui vacille.

Un film sur les désirs et frustration au sein d’une famille

Le film explore avec finesse les méandres de la frustration, du désir d’avoir une meilleure vie, d’avoir de l’affection, un foyer et des amis. Jusqu’où peut-on aller pour avoir un semblant d’écoute et de prise en considération ? Doit-on blâmer ceux voulant compenser une perte par une surcompensation à travers quelqu’un d’autre ?
Ce film dévoile combien la famille repose sur des faux-semblants, des désirs et interdit que l’on s’impose pour paraitre uni, solidaire et irréprochable ! Un casting à la hauteur de son intrigue vertigineuse !

Un drame moderne où le bonheur se heurte au poids politico-culturel de la Chine

Brief History of a Family s’ancre dans un contexte social profondément marqué par l’héritage de la politique de l’enfant unique, qui a façonné des générations entières en Chine. Pendant plus de trente ans, cette restriction a imposé aux enfants uniques un poids considérable : réussir non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour porter les ambitions et les espoirs de toute une famille. Wei, le protagoniste, incarne cette tension : chéri et protégé, mais aussi étouffé par des attentes qui ne laissent que peu de place à l’épanouissement personnel. Son attirance pour l’escrime, discipline exigeante mais perçue comme secondaire face aux objectifs éducatifs traditionnels, devient un terrain de friction révélateur.

Dans la société chinoise actuelle, l’assouplissement de cette politique, permettant désormais deux enfants, bouleverse les équilibres établis. L’arrivée de Shuo, figure symbolique de ce « second enfant » possible, agit comme un catalyseur : rivalité, crainte de remplacement, remise en question du statut d’enfant unique. Parallèlement, la culture de la réussite imprègne chaque interaction : la famille n’est pas seulement un refuge affectif, mais aussi une vitrine sociale, où tout doit paraître harmonieux et irréprochable.
Le film explore ainsi la tension entre le désir individuel de liberté et la force contraignante du devoir familial, entre l’envie d’échapper au cocon protecteur – devenu prison – et la fatalité de reprendre un jour les traditions, l’entreprise ou le rôle attendu par les aînés. Ce contexte nourrit chaque scène : les gestes, les silences et même les regards deviennent autant de signes d’un équilibre fragile, toujours à deux doigts de se rompre.

Un travail de recherche entre l’intensité du jeu et la minutie de la psychologie

Pour incarner Wei, le cinéaste choisit Lin Muran, jeune acteur animé par une volonté farouche de prouver son talent, ce qui se ressent dans l’intensité et la sincérité de son jeu. Face à lui, Sun Xilun interprète Shuo avec une pudeur et un mystère qui nourrissent l’ambiguïté du personnage : est-il un simple ami, un rival, ou un intrus menaçant l’ordre établi ? Leur alchimie, construite sur un mélange d’attraction et de méfiance, est l’un des moteurs dramatiques du film.

Guo Keyu, dans le rôle de la mère, signe un retour marquant après plus de dix ans d’absence, apportant une profondeur émotionnelle qui mêle douceur maternelle et froideur stratégique. Zu Feng, parfait en père raffiné – amateur de musique classique, calligraphe et joueur de tennis – incarne la figure patriarcale exigeante et charismatique, symbole d’un héritage culturel et social.

À la mise en scène, le réalisateur apporte une approche singulière : formé à la biologie, il transpose sa fascination pour l’infiniment petit dans l’observation microscopique des dynamiques familiales. Le réalisateur ne se contente pas de filmer des interactions : il les scrute, les décortique, laissant apparaître fissures et tensions. Entouré d’une équipe internationale – du monteur Per K. Kirkegaard au compositeur Toke Brorson Odin, en passant par l’ingénieure du son Margot Testemale – il construit un univers où la précision clinique de l’image contraste avec la subjectivité immersive du son. Cette combinaison confère au film une identité hybride : réaliste dans ses détails, mais traversé d’un souffle mystérieux, presque organique

Avec Brief History of a Family, Lin Jianjie signe un film d’une rare justesse, capable de mêler l’observation sociologique, le drame psychologique et une tension quasi-thriller. Loin des clichés, il livre une fresque intime sur la place que l’on occupe – ou que l’on croit occuper – au sein de la famille, et sur les menaces invisibles qui peuvent ébranler cet équilibre. Porté par un casting inspiré et une mise en scène qui marie précision et poésie, le film invite à repenser ce que signifie « appartenir » à une famille.

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13 août 2025 en salle | 1h 40min | Drame, Thriller
De Jianjie Lin | 
Par Jianjie Lin
Avec Zu Feng, Xilun Sun, Ke-Yu Guo
Titre original Jia ting jian shi