Des Feux dans la plaine, un thriller nihiliste où rien ne peut être sauvé


Des feux dans la plaine est un film qui brûle lentement, à la croisée du thriller et du drame existentiel, dans une Chine post-industrielle où les ruines morales rivalisent avec les carcasses métalliques des usines désertées. Le film de Zhang Ji, librement adapté du roman Moïse dans la plaine, interroge la perte des repères, la mémoire des blessures sociales, et la quête éperdue de sens dans un monde en décomposition. Au cœur de cette fresque : un amour à contre-courant, deux âmes égarées dans une ville où la justice s’efface et les souvenirs s’effondrent.

Un film où l’amour seul repère peine dans un monde sur le déclin. Les personnages sont perdus dans leurs désirs et les décombres d’une ville ouvrière. Un drame aux allures de film noir avec une photographie à la hauteur de ses acteurs, contrastée et intriguant.

Un film entre thriller, film noir et questionnement existentialiste

Dans Des feux dans la plaine, la forme épouse le fond : visuellement tranché, narrativement morcelé, le film s’impose comme une œuvre hybride entre le polar, le mélodrame, et le film noir. Zhang Ji, chef opérateur de formation, impose une mise en scène où chaque plan raconte davantage qu’un dialogue. À travers les trajectoires entremêlées de Li Fei et Zhuang Shu, le film révèle un monde abîmé, où les individus, fragiles, mais tenaces, cherchent à fuir l’ombre des générations précédentes. Le passé est omniprésent, pesant, mais il ne s’impose pas comme un fardeau narratif : il hante les regards, alimente les silences et justifie les fuites.

Le récit évolue sur deux temporalités : celle de l’enquête criminelle — moteur narratif classique du thriller — et celle plus profonde de la quête de sens. Si l’enquête permet de remonter le fil d’un crime oublié, elle est surtout prétexte à sonder l’effondrement d’une société rongée par l’injustice sociale, la décomposition des repères moraux, et la précarité émotionnelle des individus.

Des feux dans la plaine © Memento Distribution
Des feux dans la plaine © Memento Distribution

Ce qui saisit, c’est le traitement quasi tactile du décor urbain. Fentun n’est pas simplement un décor : c’est un personnage à part entière. La ville, exsangue, post-soviétique, semble respirer à travers ses brumes, ses friches, ses silences industriels. La photographie (signée Chengma Zhiyuan) magnifie ces ruines, entre lumières diaphanes et ombres épaisses, pour ancrer l’action dans un temps suspendu.

À ce décor sinistré répond une mise en scène économe, parfois rigide, où la narration avance par ellipses et tensions retenues. Le film n’a pas peur du silence, de la durée, de l’indécision. C’est aussi ce qui le rend profondément humain, viscéral, souvent dérangeant.


📍 Indices et repérages pour comprendre l’histoire :
L’action de Des feux dans la plaine se déroule dans la ville fictive mais réaliste de Fentun, dans le Nord-Est industriel de la Chine, une région marquée par le déclin post-soviétique.
Le récit débute en 1997, année où une série de meurtres secoue la ville, avant de se prolonger huit ans plus tard, soit en 2005, quand un jeune policier rouvre l’enquête.
Le film s’inscrit dans un contexte de profondes mutations sociales, consécutives à la Réforme et ouverture initiée dans les années 1980. Ce tournant économique a entraîné la fermeture massive des entreprises d’État, creusant les inégalités et provoquant un effondrement moral et spirituel dans les classes populaires autrefois soutenues par le régime socialiste.


L’amour comme seul remède dans un monde qui s’effondre, mais qui ne peut durer

Dans ce monde où tout s’effrite — les valeurs, les espoirs, les familles — l’amour semble être la dernière lueur possible. Mais cet amour, comme les feux dans la plaine, vacille, fragile et voué à disparaître. Li Fei et Zhuang Shu s’aiment sans pouvoir se sauver l’un l’autre.

Leur relation est marquée par l’asymétrie des parcours, par l’écart entre volonté et condition sociale, entre fuite et enracinement. L’un tente de comprendre, l’autre d’oublier. Et les deux échouent, comme si aimer dans un monde pourri ne suffisait plus à construire un avenir.

Ce fatalisme assumé, ce nihilisme doux-amer, donne au film son âme noire : aimer ne sauve pas, mais cela empêche de sombrer tout à fait. C’est dans cet entre-deux — entre la tendresse et le renoncement — que le film frappe juste.

Des feux dans la plaine © Memento Distribution
Des feux dans la plaine © Memento Distribution

Genèse du film, formation de Zhang Ji

Zhang Ji, chef opérateur de formation, découvre le court roman Moïse dans la plaine de Shuang Xuetao, et le choc est immédiat. C’est ce texte qu’il choisit pour passer à la réalisation, convaincu par la puissance de son propos : l’impact des mutations sociales sur les destins individuels. Cinq années seront nécessaires pour mener ce projet à terme, avec le soutien de l’auteur. Le film transpose la matière littéraire dans une forme cinématographique forte, centrée sur deux personnages et une ville, où le temps a délité l’espoir. Zhang Ji souhaitait, par cette histoire, redonner un visage aux oubliés, et transmettre le souffle de ceux qui, malgré tout, cherchent encore à croire.

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Note : 3 sur 5.

9 juillet 2025 en salle | 1h 41min | Policier, Drame
De Ji Zhang | 
Par Shuang Xuetao
Avec Zhou Dongyu, Liu Haoran, Yuan Hong
Titre original Moses on the pain


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