A Normal Family – Quand la morale vacille, tragédie feutrée sur fond de violence filiale


Deux frères, deux éducations, deux visions du monde, mais un seul chaos : celui de la morale qui flanche lorsque l’amour parental entre en collision avec les lois de la société. Avec A Normal Family, Hur Jin-ho adapte Le Dîner d’Herman Koch dans une version coréenne aussi tendue que limpide, flirtant avec l’élégance formelle de Bong Joon-ho et la noirceur clinique d’un roman de mœurs moderne.

Adapté du roman Le Dîner d’Herman Koch, A Normal Family met en scène deux frères aux valeurs opposées, confrontés à un drame provoqué par leurs enfants. L’un est chirurgien idéaliste, l’autre avocat calculateur, et tous deux voient leur morale mise à mal lorsque le scandale éclate. Le réalisateur Hur Jin-ho explore la famille, l’éducation, et la tentation de trahir ses principes pour protéger les siens. Sobriété de la mise en scène, tension psychologique constante, et critique acerbe d’une société coréenne écartelée entre tradition et cynisme. Un drame intense dans la lignée de Parasite, où l’échec parental devient le reflet cruel d’une époque sans repères.

Portrait de famille et fractures morales

Dans ce drame glacial, le cinéaste oppose deux archétypes de la réussite sociale coréenne : l’un est chirurgien, l’autre avocat. Tous deux mènent une vie rangée, dînent dans des restaurants élégants avec leurs épouses, échangent sourires et ironies. Mais tout bascule lorsque leurs enfants, issus d’un monde où YouTube éduque plus sûrement que les adultes, commettent un acte de violence aussi choquant qu’irréversible.

Ce qui se joue alors n’est pas seulement une affaire de justice, mais un effondrement silencieux des repères : comment défendre l’indéfendable ? Peut-on encore croire que la vertu protège quand tout incite à la compromission ?

A Normal Family © 2024 Hive Media Corp & Mindmark
A Normal Family © 2024 Hive Media Corp & Mindmark

Le respect des aînés, un rituel en voie d’extinction

Chez Hur Jin-ho, le dîner n’est pas qu’un prétexte narratif : c’est une scène de rituel. Les deux frères et leurs épouses s’y retrouvent avec une régularité quasi liturgique, comme pour préserver les apparences d’un lien familial encore debout. Ce décor policé, ce luxe feutré, masque pourtant un effritement plus profond : celui du respect intergénérationnel. En Corée, explique le réalisateur, les jeunes ne vénèrent plus leurs aînés – non parce qu’ils sont rebelles, mais parce qu’ils ne les jugent plus respectables. Les anciens, politisés, arrogants, figés dans un savoir autoritaire, ont rompu le dialogue. Les dîners deviennent alors des mascarades, où chacun fait mine d’être en famille, tout en sachant que la fracture est déjà là. Et lorsqu’éclate la vérité, le vernis cède d’un coup – comme un verre qu’on aurait trop serré. Il existe d’autres rituels comme la photo de famille que l’on reproduit au fil des âges, personne n’a la nature qu’il représente, mais les apparences sont précieuses, ont les cultive.


Deux modèles, un même échec

Le film excelle à montrer que l’autorité parentale ne tient plus qu’à un fil — celui de l’illusion. L’un des frères croit encore aux valeurs traditionnelles, quand l’autre a depuis longtemps compris comment tordre la loi. Pourtant, tous deux sont prêts à se salir pour sauver l’image de leur foyer.

Le plus poignant reste ce renversement : même celui qui prône l’intégrité finit par vaciller. Parce que protéger ses enfants, c’est parfois piétiner ses convictions. Et parce que dans une société où tout se monnaye, l’amour parental peut devenir l’alibi d’un naufrage moral.


La société comme miroir

À travers cette fresque familiale, Hur Jin-ho pointe les dérives d’une société coréenne écartelée entre traditions confucéennes et ultralibéralisme triomphant. Les enfants manipulent, les parents dissimulent, les avocats exploitent les failles. Chacun pense pouvoir contourner la vérité, mais le réel finit toujours par éclater — souvent en plein dîner.

La violence n’est pas gratuite : elle est montrée à distance, comme un reportage. Le film ne filme pas l’agression, il filme le moment où les parents la découvrent, sur un écran, en pleine digestion. Cruauté maximale, plan fixe : la réalité ne s’esquive pas.

A Normal Family © 2024 Hive Media Corp & Mindmark
A Normal Family © 2024 Hive Media Corp & Mindmark

A Normal Family n’est pas une simple variation de Parasite — c’est son frère jumeau, plus sobre, plus clinique, mais tout aussi glaçant. Un film sur la fin de l’autorité, la faillite des repères, et la contagion du cynisme. Avec une mise en scène précise et des acteurs au cordeau, Hur Jin-ho signe une tragédie familiale moderne, où chacun regarde l’autre tomber, en se demandant : et si c’était moi, le prochain ?

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Note : 3.5 sur 5.

11 juin 2025 en salle | 1h 49min | Drame
De Jin-Ho Hur | 
Par Jin-Ho Hur, Park Eun-kyo
Avec Sul Kyung-gu, Jang Dong-gun, Hee-ae Kim
Titre original Bo-tong-ui ga-jog

🎬 Trois choses à savoir sur A Normal Family

Une adaptation coréenne, pas un remake américain

Bien que le film soit tiré du roman Le Dîner d’Herman Koch, A Normal Family n’est pas un remake du film américain de 2017. Hur Jin-ho a reçu un scénario déjà finalisé, mais y a insufflé une lecture résolument coréenne. Il s’y saisit de cette histoire pour interroger les valeurs, l’éducation et la pression sociale spécifiques à la Corée du Sud, tout en livrant une fresque universelle sur le vertige moral.

La scène de violence : un choix de mise en scène douloureux

Initialement tournée comme une vidéo de smartphone filmée par les adolescents, la scène d’agression a été entièrement repensée au montage. Le réalisateur a choisi l’œil froid d’une caméra de surveillance pour renforcer l’impact émotionnel et souligner l’objectivité cruelle de l’image. Le son y joue un rôle clé : les cris entendus pendant un dîner mondain glacent le sang des parents.

Hur Jin-ho signe un virage dans sa filmographie

Connu pour ses mélodrames empreints de chaleur humaine (Christmas in August, The Last Princess), Hur Jin-ho change radicalement de ton avec A Normal Family. Il délaisse la romance pour explorer des sentiments plus sombres, sans renier sa finesse d’analyse. Ce virage vers la tragédie sociale lui permet de dresser un constat lucide sur l’effritement des repères en Corée contemporaine.


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