Joker autopsie d’un clown triste (spoiler alerte)


La folie peut avoir mille visages, mille apparitions. Dans le dernier film portant un personnage de l’univers DC nous découvrons celui du Joker.
Personnage tourmenté et si ténébreux, que beaucoup ont cherché à explorer à travers son passé ou l’origine de ses troubles et c’est dans ce film que l’apothéose se passe.

Attention à partir de cette ligne, il y a plusieurs spoilers… Pour lire notre critique qui ne dévoile rien RDV Ici

Un triste clown dans une société malade où l’on doit sourire pour cacher les choses.

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Déjà dans le trailer et la bande annonce, le Gotham présenté était celui des années 80, au moment où la société américaine refusait d’afficher le malheur et la tristesse. Ce qui débouchera progressivement à la montée de la violence dans les quartiers les plus pauvres, mais également à une contre énergie épuisante et écrasante. Il est difficile de se mentir  et de porter au quotidien un masque de clown.

« Avant, je pensais que ma vie était une tragédie, mais je comprends maintenant que c’est une comédie » cette phrase est une référence à Charlie Chaplin. Il est assez drôle que dans le film, Arthur pénètre un  cinéma durant la projection d’un film de Charlie Chaplin, qui d’ailleurs est la source d’inspiration de cette phrase, il disait « La vie est une tragédie lorsqu’elle est observée en gros plan, mais c’est une comédie lorsqu’elle est vue de loin. ».

Cartographie de l’handicape

Arthur Fleck est un clown triste qui fait tache dans cette société, d’ailleurs son nom signifie « tache » en anglais ou encore « point coloré/ point lumineux ». Il agit comme un pantin désarticulé et la performance physique de Joaquin Phoenix est transcendante. Il a confié avoir perdu 25 kg pour ce rôle. Il explique s’être beaucoup documenté sur les personnes souffrant du rire prodromique (rire pathologique).
Depuis des années, personne ne comprenait vraiment pourquoi le Joker riait sans cesse, on répondait machinalement que c’était surement dû à sa folie, mais ce film développe une autre explication qui rend le personnage touchant et le spectateur prend en sympathie ce clown raté qui ne peut s’empêcher de rire, qui essaie bien souvent de garder son calme en vain.

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Arthur en pleine crise de rire pathologique

Dire des jurons, comme dans le syndrome de la Tourette, ou avoir des rires incontrôlés est stigmatisant pour celui qui vit cet handicap au quotidien.  Arthur souffre dans l’autobus, souffre dans le métro, souffre à son travail, souffre dans sa passion. Les gens pensent que c’est une blague, que cela fait partie du personnage, ils veulent nier son handicap qui dérange et qui fait tache dans une société du paraitre où tout doit être sous contrôle.
En interview Joaquin a expliqué que sa transformation physique a été douloureuse, ne manger que des pommes était difficile et pour la préparation de son audition, il n’a pas voulu s’inspirer des autres Joker, il est arrivé à son essai avec uniquement un rire qu’il a travaillé pendant plusieurs semaines. Il voulait que son rire fasse un choc dans l’esprit des spectateurs, il désirait que ce soit « presque douloureux ».  Et le résultat est bluffant. Son rire insuffle au spectateur à la fois rire, gêne, malaise, compassion, voire même de l’empathie notamment quand la mauvaise blague conduit des gens intolérants à frapper une personne souffrant d’un handicap. Mais le scénario permet de savoir quand la limite ne doit pas être franchie et permet au spectateur de comprendre les choix d’Arthur mais en  devenant peu à peu le JOKER, avec le rire et la pathologie qui prennent le dessus, il a définitivement franchi la ligne et ses actes ne peuvent plus être ni excusés et ni légitimés mais le rendent par contre bien plus humain. c’est la beauté de ce film. nous amener dans un univers plausible, réaliste, où finalement cet anti-héros de fiction pourrait être n’importe qui dans notre monde. Et c’est en ça que le film peut déranger certains, par son parallélisme très fort à une actualité brûlante de crise. Car si Thanos n’appelle pas de crainte car personnage fictif doté de super pouvoir, en revanche un simple homme qui part à la dérive à cause d’une société qui l’abandonne, ça arrive tous les jours que nous connaissons.

La société est aussi malade que les malades qu’elle rejette

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 Dans son quotidien bien conditionné, Arthur se rebute à une société qui broie les faibles et noie progressivement la middle class au milieu du néant. Lorsqu’il n’est plus sous médicament, il dit aller mieux, il pense être libéré, comme si finalement la camisole chimique, une fois disparue, permettait d’avoir un semblant de bonheur, mais un bonheur malsain car progressivement on se rendra compte que toutes les scènes de tendresse ou d’amour avec sa voisine n’étaient  dues qu’à son imagination. Toute l’affection reçue n’est qu’illusion, un délire, qui se veut assez bien construit. Il se sent seul, il est abandonné et rejeté par la société, il se crée une relation avec une personne proche de lui, une personne qu’il croise régulièrement. On aurait pu penser à un délire érotomane mais le peu que le film développe ne permet pas d’aller dans ce sens. Il aurait d’ailleurs été assez difficile de classer le Joker dans cette catégorie, surtout si la piste plausible mise en avant sur le passé trouble de sa mère, avance l’hypothèse d’un syndrome de Clérambault (L’érotomanie est une maladie de la famille des psychoses, où le sujet va se focaliser sur une personne, passera par 3 états : espoir, dépit, rancune avec souvent passage à l’acte).

Une tragédie de l’Homme moderne :

Le Joker n’est pas un film de super-héros, mais une origine story mettant en scène la vie d’un personnage phare de l’univers DC. Ce personnage va évoluer comme dans une tragédie. La société de Gotham n’est pas parfaite, c’est une réelle dystopie. Ce qui frappe le plus dans ce film, c’est cette façon où les gens sont pourris de l’intérieur, mais brillent en société. Une illusion de perfection, qui se rompt lorsque l’idole de toujours d’Arthur finit par le briser. Arthur ne devient pas brutalement le Joker, en réalité il va peu à peu accumuler des épreuves et vivre des choses qui vont le mener à éclore. Tel un phœnix qui renait de ses cendres, le Joker va naître dans le sang et le chaos.

Le Joker n’est rien sans Batman parce que Arthur n’est rien sans l’ombre malsaine de la famille Wayne. Et c’est dans une ruelle et dans le sang que vont naître deux entités : l’une deviendra le Batman et l’autre le Joker.

Un film qui rend attachant un meurtrier :

Ce n’est pas rare que dans la culture populaire, nous essayons de rendre attachant un tueur, les cinéphiles et amateurs de séries penseront à Dexter qui a déjà réussi avec brio à rendre attachant le personnage. En réalité, lorsque l’on fouine dans la tête d’un tueur et qu’on essaie de justifier sa démence, on finit par le rendre séduisant ou simplement attachant.

Si ce film permet aux spectateurs de s’attacher à un méchant, il soulève également une question d’ordre éthique, qui décide ce qui est bon ou mauvais ? La société ? Qui décide de ce qui est drôle et ne l’est pas? La société! Mais quand cette société est pourrie comment peut-on tolérer les choses ?

Le Joker est plus ou moins le rejeton d’une société qui l’a créé, en psychiatrie et psychanalyse depuis Freud nous disons cette chose, la folie n’existe pas, c’est simplement la société qui crée ses malades. Ici dans ce film, le Joker n’est finalement que le résultat d’une société qui est malade : il a une famille défaillante, une mère malade, il a subi des tortures enfant et une fois adulte le système l’abandonne pour raisons budgétaire. Il est suivi, soigné mais brutalement la société l’abandonne. Et c’est cette vérité qui dérange dans ce film dont le message à un véritable sens comparé aux autres blockbusters.

Dans toute tragédie il y a un sacrifice :

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Finalement ce film permet de mettre en perspective l’idée que la vie paisible de Bruce Wayne est sacrifiée pour qu’un changement puisse avoir lieu. Dans l’Antiquité et même dans le mouvement Romantique, les héros tragiques se battaient contre des forces qui les écrasaient et attendaient le deus machina. Ici, c’est les ténèbres et le seul Deus Machina n’arrive que si l’on se place dans un univers coloré. Il n’y a pas de fin joyeuse, seulement des gens qui courent dans les rues avec des masques de clowns. Etrangement, le Bruce Wayne qui deviendra Batman est né à quelque pas de là où le Joker est né, comme si le réalisateur ne pouvait faire un film sur le Joker sans évoquer Bruce Wayne! Le parallélisme touche à son comble quand il laisse planer un doute sur l’éventualité que Bruce Wayne serait le frère (demi-frère) du Joker.
Comme ce film repose sur la folie, nul ne saura jamais si cette info est vraie ou fausse, car il se pourrait très bien que le grand Thomas Wayne ait fait interner de force son employée en la faisant passer pour folle puis fait établir un certificat d’adoption pour justifier l’existence Arthur Fleck.

Enfin, il ressort que Fleck avait prévu de se suicider, mais au dernier moment dans sa montée délirante, il tue son idole à laquelle il s’identifiait. Comme si sacrifier son idole représentait son suicide, et dès lors, à partir de ce moment clef, Arthur disparaît à jamais et donne naissance au Joker.
A partir de ce moment, le Joker improvise : fini le carnet qui lui servait à structurer son quotidien et sa pensée. Arthur est sacrifié pour laisse place à la folie meurtrière du Joker, acclamé et soutenu par un peuple qui se soulève et se révolte contre la société.

En tout temps, il est difficile de savoir qui est réellement le Joker, car il peut-être aussi bien Arthur Fleck, que Jack, Joseph, Joe, Jack Napier (film Batman)
Jack The White (surnom), Gelos, Mr. J , Le Clown Prince du Crime,J ack White, Joe Kerr, John Doe, Jerome Valeska puis Jeremiah Valeska (série Gotham)… Bref il peut être n’importe qui, il se cache un peu en chacun de nous, et permet de répondre à une question : Y a-t-il quelqu’un qui va enfin faire avancer les choses ?  Le Joker est cette carte qu’on abat pour battre son adversaire. Arthur est ce porte-parole des opprimés, il n’est ni bon, ni mauvais en soit, il est simplement le résultat de cette société qui va mal. Une société basée sur la dictature du sourire. Une invitation à sourire quoi qu’il arrive, car la société ne supporte pas de regarder en face le mal être qu’elle génère. C’est cela qu’exprime Arthur dans son carnet « Le pire aspect de la maladie mentale réside dans l’attente des autres à ce que le malade se comporte comme s’il n’en avait aucune ».

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