Entre poésie sociale et réalisme brut, Nos jours sauvages de Vasilis Kekatos explore la solidarité comme dernier acte de rébellion. Une Grèce à la fois brisée et vibrante, où Daphné Patakia incarne la quête d’humanité d’une jeunesse en marge, entre errance, amour et utopie.
Dans Nos jours sauvages, Vasilis Kekatos capture une Grèce post-crise en perte de repères, mais vibrante de solidarité et de rage de vivre. À travers le regard de Chloé, jeune femme en rupture avec sa famille, le film met en scène une jeunesse en quête d’humanité dans un monde rongé par l’indifférence. Porté par la fougue de Daphné Patakia et Nikolakis Zeginoglou, ce road movie social se transforme en une odyssée intérieure, où la révolte devient poésie et où la bonté se fait acte politique. Entre errance et reconstruction, Nos jours sauvages interroge ce qu’il reste de nos rêves lorsqu’on choisit la marge pour retrouver un sens au mot “vivre”.
Pitch et personnages
Recueillie par un groupe de jeunes nomades après avoir rompu tout lien familial, Chloé embarque à bord d’un van pour traverser la Grèce des oubliés. Ensemble, ils forment une communauté d’âmes blessées mais solidaires, vivant de petits services souvent illégaux, restituant parfois des biens saisis à leurs propriétaires ruinés. Ce collectif improvisé se construit autour d’Aris (incarné par Nikolakis Zeginoglou), figure charismatique et ambivalente, qui guide sans dominer, et d’Anna, Sissy, Tzo, Piotr et Kosmas, autant de visages de cette génération privée d’avenir, mais pas d’idéaux.
Daphné Patakia, impressionnante de sincérité, livre une performance habitée, oscillant entre colère et tendresse. Sa Chloé, fragile et indomptable, se fond dans ce groupe comme un fantôme cherchant sa lumière. Le film, tourné sur la route avec des acteurs et actrices mêlant fiction et vécu, brouille la frontière entre jeu et réalité. Chaque scène respire l’authenticité d’une expérience vécue : celle d’une jeunesse qui refuse la résignation et transforme sa survie en acte de résistance.

Une révolte sociale dans un monde mondialisé
Avec Nos jours sauvages, Vasilis Kekatos signe une œuvre profondément politique, mais d’une douceur rare. Fils d’une génération née au cœur de la crise grecque, le cinéaste fait de son film une réponse humaniste à la faillite du système économique et moral qui a broyé son pays. Ses héros n’ont rien d’activistes traditionnels : ils ne brandissent pas de slogans, ils ne détruisent rien. Leur révolution tient dans un geste de restitution, dans la bonté, dans l’acte de rendre ce qui a été volé. Le réalisateur parle de « gentillesse comme guerre active », et cette phrase résume toute la portée de son œuvre : une insurrection douce contre la brutalité du monde.
Il s’éloigne volontairement des cartes postales touristiques pour révéler la Grèce invisible : celle des provinces pauvres, des villages oubliés, des routes poussiéreuses où la survie se conjugue avec la dignité. Ce choix d’un réalisme sans misérabilisme fait de Nos jours sauvages un film profondément ancré dans la réalité sociale tout en flirtant avec l’utopie. Les dialogues évoquent souvent la condition des jeunes Grecs, “enfants de la crise”, qui se sentent comme des fantômes — invisibles, empêchés de rêver, mais porteurs d’un espoir fragile.
La mise en scène, impulsive et organique, épouse la mobilité du groupe. Le van devient un microcosme, un refuge mouvant où se rejouent les rapports de pouvoir, de désir et de solidarité. Le réalisateur s’autorise même une scène d’amour d’une rare intensité symbolique, où il inverse les codes de genre et filme le sexe comme langage intime plutôt que comme domination. Cette audace visuelle s’inscrit dans une logique d’affranchissement : celle des corps, des conventions et des regards.
Enfin, la grâce du film tient dans sa manière de réconcilier la marginalité et la spiritualité. Le cinéaste convoque des échos de contes – Peter Pan, Robin des Bois – pour célébrer une innocence rebelle, un idéal de liberté débarrassé des dogmes et de la propriété. Il filme ses personnages comme des êtres suspendus entre ciel et terre, qui n’attendent plus le salut d’un dieu ou d’un État, mais cherchent une foi humaine dans l’entraide. Ce geste, à la fois poétique et politique, fait de Nos jours sauvages une œuvre rare, où le réalisme se marie à la tendresse et où la révolte devient une forme d’amour.

Des portraits de marginaux – Entre Robin des bois et rêves de sauvetage social.
Le film nous dépeint une Grèce en difficulté, à travers le portrait de marginaux vivant sans téléphone et survivant grâce à de petits services, dont certains ne sont pas toujours légaux, voire pas du tout.
On a l’image de personnages brisés, mais solidaire, comme des robins des bois volant aux prêteurs sur gages pour redonner aux propriétaires. Ici, on y développe une idée de fantômes en marge de la société, ils agissent et déambulent sans laisser de traces. Ils ne laissent que l’impact et la joie de ceux retrouvant des biens parfois personnels et ayant une histoire qui n’a pas de prix.
Certaines scènes nous ont fait penser à Eternal Sunshine, et le film essaie de développer une forme de philosophie où Dieu serait quelque part et il nous attendrait comme le font nos parents. Il attend que les coupables rentrent à la maison, mais coupable de quoi ? D’avoir essayé de survivre et aussi d’aider les plus démunis ? Finalement, Nos jours sauvages est en soit un retour à une forme de bonheur loin de la propriété, celle définie et décriée par Rousseau, celle qui rend malheureuse, celle loin des frontières. Un bonheur dans la déconnexion du monde capitaliste et la volonté de trouver sa place dans un monde dénaturé.
À l’écran, Daphne Patakia et Nikolakis Zeginoglou sont explosifs, révoltés et brisent les frontières pour trouver une forme d’affranchissement. Ce choix de casting, pensé par Vasilis Kekatos comme un prolongement de sa vision, n’a rien d’anodin : il s’agit de réunir deux artistes capables de brouiller la limite entre interprétation et vérité. Daphné Patakia, formée à Athènes et révélée par Tony Gatlif avant d’imposer son intensité physique chez Paul Verhoeven ou Gaspar Noé, incarne ici une jeunesse blessée mais vivante, une flamme fragile qui refuse de s’éteindre. Face à elle, Nikolakis Zeginoglou apporte un équilibre singulier entre puissance et vulnérabilité, figure de guide dont la révolte intérieure se lit dans le silence. Autour d’eux, Vasilis Kekatos a privilégié des acteurs venus du réel, souvent non professionnels, pour que le film respire la route, la poussière et les visages de la Grèce invisible. Ce mélange d’interprètes aguerris et spontanés ancre Nos jours sauvages dans une vérité humaine qui dépasse la fiction, donnant à l’ensemble sa force profondément incarnée.
Crédit photographique : Nos Jours Sauvages: Popi Semerlioglou, Daphne Patakia © 2025 Condor Distribution
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8 octobre 2025 en salle | 1h 44min | Drame
De Vasilis Kekatos |
Par Vasilis Kekatos
Avec Daphne Patakia, Nikolakis Zeginoglou, Stavros Tsoumanis
Titre original I agries meres mas
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Une réflexion sur “Nos jours sauvages – Un film de Vasilis Kekatos”