DEA KULUMBEGASHVILI dévoile un film poétique et sombre sur la vie, la mort, la naissance et l’espoir. On salue le travail sur la bande son, les bruitages et cette respiration avec un sifflement. La respiration, symbole du souffle de la vie, du premier cri de la naissance. Un film sur la vie, l’espoir et la transformation du corps.
Un portrait de la société géorgienne conservatrice
April de Dea Kulumbegashvili dresse un portrait saisissant d’une société géorgienne conservatrice à travers le personnage de Nina, une gynécologue-obstétricienne. Le film expose crûment la réalité brutale des femmes dans ce contexte, où le droit de disposer de leur corps est nié. La mise en scène audacieuse de la réalisatrice n’hésite pas à montrer des scènes d’accouchement et d’avortement, soulignant la violence des rapports imposés aux femmes.
Nina, entièrement dévouée à son métier, apparaît déshumanisée, reproduisant des gestes mécaniques sans que son individualité ne s’exprime. Cette approche visuelle crue reflète la cruauté d’un cadre de vie étriqué qui semble immuable, où la légalité fluctuante laisse les femmes sans alternatives. Une posture de survie dans un monde d’Homme et lorsqu’elle sonde les hommes en demandant quelque chose, la violence masculine revient au-devant du cadre. On peut voir cela dans la scène dans la voiture où elle propose une fellation à un autostoppeur, puis quand elle lui demande quelque chose, ce dernier la frappe violemment.

Une femme seule et coupée du monde
L’isolement de Nina est mis en exergue par sa position paradoxale : donneuse de vie professionnelle, elle-même sans enfants, dans une société qui valorise la maternité. Sa solitude est accentuée par les rumeurs qui l’accusent de pratiques illégales après la mort d’un nouveau-né.
Le film explore ainsi les tensions entre l’intime et le social, la culpabilité et la pression morale. Ressortira de cela, une forme de créature des marécages, extériorisation de son traumatisme d’enfance où elle a vu sa sœur se noyer.
La mise en scène contemplative de la réalisatrice instaure une tension émotionnelle constante, reflétant le dilemme intérieur de Nina. April interroge non seulement le poids des traditions et la difficulté d’exister dans une société patriarcale, mais aussi la complexité des choix moraux auxquels Nina est confrontée. Le contraste entre sa fonction professionnelle et sa vie personnelle souligne le paradoxe d’une femme qui donne la vie ou l’empêche, tout en étant elle-même privée d’une existence épanouie dans ce contexte oppressant.
Le paradoxe d’une société moderne et conservatrice
On a beaucoup aimé la figure de femme forte et humaniste, qui préfère être celle qui pratique l’avortement avec ses connaissances de médecins, que laisser une infirmière s’en charger et mettre en danger la vie de la mère.
L’héroïne est épuisée, comme un robot qui travaille non-stop dans une société où la pression morale et religieuse exercée par L’Église orthodoxe géorgienne, influence énormément la population sur le rapport à la sexualité, l’avortement et la contraception. La pression sociale est très présente même si officiellement rien n’interdit une femme de prendre une contraception, actuellement le taux de divorce et d’avortements déclarés sont élevés. Ce qui perdure, c’est le tabou et les stigmatisations qui poussent à avoir recours à l’avortement du dernier recours, en marge du parcours de soin officiel.

Un rapport monstrueux au corps
Ce qui est marquant aussi dans ce film, c’est le rapport au corps (médical, sexuel) et aussi la manière où le film va montrer cette sourde et muette et on sait très bien qui est responsable de ses grosses à répétition. On le sait, mais on ne le dit pas, comme pour souligner les tabous de la société Géorgienne encore très conservatrice. Ici, on préfère laisser les choses se faire et brutaliser le corps, plutôt que braver les idéologies de sa famille. Le parfait exemple sont les avortements à répétition ou encore cette jeune fille venant voir la gynécologue à cause de son absence de grossesse avec son jeune mari de 17 ans. La sexualité est taboue, la contraception mal vue et on impose beaucoup au corps de la femme.
Un titre symbolique
Le titre April porte une symbolique riche et nuancée, dépassant sa simple signification littérale. Dans la mythologie romaine, avril était dédié à Vénus, déesse de l’amour, de la beauté et de la fertilité, un choix qui résonne particulièrement dans un film explorant la condition féminine. Cette symbolique s’incarne dans Nina, l’héroïne, qui devient une métaphore vivante : figure à la fois fragile et puissante, elle reflète l’expérience féminine dans toute sa complexité. April évoque un état intermédiaire entre lumière et obscurité, souffrance et résilience, et dépeint Nina comme une présence charnelle et mystique absorbant les douleurs du monde. Ce titre illustre avec subtilité les défis auxquels font face les femmes dans une société géorgienne conservatrice, faisant de ce drame social une œuvre poignante et universelle.
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29 janvier 2025 en salle | 2h 14min | Drame
De Dea Kulumbegashvili | Par Dea Kulumbegashvili
Avec Ia Sukhitashvili, Kakha Kintsurashvili, Merab Ninidze
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Une réflexion sur “April, notre avis sur la poésie visuelle de Dea Kulumbegashvili”