Réalisé par Frédéric Farrucci, Le Mohican plonge dans les profondeurs d’une Corse à la fois sauvage et oppressante. Ce thriller haletant met en vedette Alexis Manenti, dans le rôle de Joseph, un berger traqué par les forces mafieuses, et Mara Taquin, interprétant sa nièce Vannina. Porté par un casting d’une intensité remarquable, ce film transcende le simple polar pour offrir une réflexion poignante sur les fractures sociales et les luttes individuelles dans une île en pleine mutation.

Le combat des derniers paysans-bergers corses

Joseph incarne une figure tragique : celle d’un des derniers bergers du littoral corse, dont le mode de vie ancestral est menacé par des forces extérieures destructrices. D’un côté, la spéculation immobilière transforme des paysages préservés en terrains pour villas de luxe ; de l’autre, les pressions mafieuses forcent les petits propriétaires à céder leurs terres sous la menace. Ce personnage, attaché à ses racines, représente un monde en voie de disparition.

Le film, avec une précision quasi documentaire, montre la lutte des derniers bergers pour préserver un patrimoine à la fois culturel et naturel. Les paysages corses, magnifiquement capturés par la caméra de Frédéric Farrucci, jouent ici un rôle clé : ce ne sont pas de simples décors, mais des témoins silencieux de cette lutte acharnée. En ancrant son intrigue dans ce contexte, le réalisateur rend hommage à une communauté résiliente tout en exposant la fragilité de leur héritage face à des forces bien plus puissantes.

Un thriller hitchcockien sous tension

Dès les premières scènes, Le Mohican s’inscrit dans une tradition de suspense proche de celle d’Alfred Hitchcock. La mise en scène, millimétrée, joue habilement sur la tension et les silences pour amplifier la tension exercée sur le protagoniste. À l’image du film Le Fugitif, l’intrigue suit un homme traqué, poursuivi pour des raisons qu’il ne peut maîtriser. Mais ici, la menace n’est pas une erreur judiciaire : elle prend la forme d’un réseau mafieux omniprésent, ancré dans la société insulaire.

Chaque rencontre, chaque interaction semble pesée dans un climat d’incertitude permanente, rappelant les meilleurs thrillers psychologiques où l’étau se resserre inexorablement sur le héros.

Un vase clos corrompu : « Il y a quelque chose de pourri en Corse »

La célèbre réplique d’Hamlet – « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » – s’applique à merveille à la Corse dépeinte dans Le Mohican. Dans cette île, tout semble gangrené par la corruption et les influences mafieuses. La société insulaire agit comme un huis clos, où les réseaux criminels dictent leur loi et imposent le silence par la peur.

Le film dépeint cette oppression avec une intensité palpable. Chaque personnage semble prisonnier d’un système où aucune issue ne semble possible. Joseph, en refusant de vendre ses terres à des hommes liés à la mafia, déclenche une traque implacable. Ce combat inégal, qui oppose un homme seul à une organisation toute-puissante, est une métaphore de la lutte universelle contre l’injustice.

Une héroïne qui refuse le silence

Dans ce contexte oppressant, Vannina (Mara Taquin) incarne une voix de résistance. Refusant de se taire face aux abus, elle s’oppose à la loi du silence imposée par les groupes mafieux. Sa détermination rappelle le poème attribué à Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher… ». Ce texte illustre les dangers de l’inaction face à l’injustice, une leçon que Vannina semble avoir pleinement intégrée.

Son courage est mis en avant dans une scène marquante où, à travers les réseaux sociaux, elle appelle à la mobilisation et expose publiquement les agissements mafieux. Ce geste audacieux, risqué mais nécessaire, montre que la jeunesse corse est prête à briser le cycle du silence. En agissant ainsi, elle redonne espoir dans un contexte où tout semblait perdu.

Un casting convaincant

Le film doit beaucoup à la qualité de son interprétation. Alexis Manenti, révélé dans Les Misérables de Ladj Ly, livre ici une performance magistrale. Sa capacité à incarner des personnages complexes et vulnérables impressionne une fois de plus. En tant que Joseph, il parvient à transmettre un mélange de résilience et de désespoir qui rend son combat particulièrement émouvant. On constate une belle évolution entre chacun de ses rôles dans sa manière d’incarner les personnages. De plus, ce nouveau rôle est à la hauteur de son talent et c’est la révélation !

Mara Taquin, dans le rôle de Vannina, apporte une énergie combattive qui dynamise l’intrigue. Son jeu subtil et intense rend son personnage profondément humain : derrière son courage se cache une vulnérabilité qui la rend d’autant plus touchante. Depuis La Petite, nous étions très impatients de découvrir son nouveau grand rôle, avec ce film, elle confirme nous attentes. Ensemble, Alexis Manenti et Mara Taquin forment un duo puissant qui porte le film sur ses épaules.

Un thriller engagé sous ses allures de western

Le Mohican emprunte aussi au western dans sa construction narrative et visuelle. Joseph, berger solitaire en quête de justice, rappelle ces figures mythiques de cow-boys qui luttent contre un ordre injuste pour défendre leurs terres. La Corse, avec ses paysages escarpés et sauvages, devient un territoire mythique où se joue un combat épique entre tradition et modernité.

Cependant, contrairement aux westerns classiques, Le Mohican ne se termine pas sur une victoire éclatante. Ici, le combat de Joseph est marqué par une fatalité omniprésente, soulignant que, face à des forces systémiques comme la mafia ou la spéculation, l’individu ne peut qu’espérer laisser une trace, un héritage.

Un film nécessaire et bouleversant

Avec Le Mohican, Frédéric Farrucci signe un thriller musclé, mais profondément engagé. À travers le prisme d’un suspense haletant, le film dresse un portrait sans concession des défis auxquels fait face la Corse contemporaine : l’érosion de ses traditions, l’omniprésence de la mafia et la fragilité de son écosystème social.

Porté par des performances d’acteurs exceptionnelles et une mise en scène immersive, le film transcende les codes du thriller pour devenir une œuvre universelle sur la résistance et la nécessité de parler, d’agir, même face à des adversaires redoutables. Ce film est à la fois un cri d’alarme et un hommage poignant à ceux qui refusent de se taire.

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12 février 2025 en salle | 1h 27min | Drame, Thriller
De Frédéric Farrucci | 
Par Frédéric Farrucci
Avec Alexis Manenti, Mara Taquin, Théo Frimigacci