Fuori dévoile la rencontre de deux femmes que tout oppose, dans une dérive lumineuse où la prison devient un espace de vérité. Entre liberté contrariée, conditionnement social et quête de soi, le film révèle ce qui subsiste d’humain quand les masques tombent.
Fuori s’offre comme un récit d’été où souffle un vent de liberté inattendu, porté par une jeune femme qui avance comme si chaque geste pouvait renverser le cours d’une vie. Le film suit l’errance vive et parfois chaotique d’une écrivaine brisée par un refus répété, soudain projetée dans un univers clos où, contre toute attente, naissent de nouvelles respirations. Au fil des rencontres, la routine carcérale devient un espace de révélation qui fissure les illusions du monde extérieur. Ce qui frappe, c’est la manière dont le film transforme l’échec en mouvement, et la chute en possibilité. La liberté ne vient plus d’un dehors idéalisé, mais des liens tissés entre femmes qui se découvrent, se frottent, s’observent et finissent par redonner à l’existence un goût plus juste.
Deux femmes, deux trajectoires, un point d’impact
Fuori raconte la trajectoire de Goliarda Sapienza, écrivaine à bout de forces après dix années passées sur un manuscrit que personne ne veut lire. Un geste désespéré la conduit derrière les murs de Rebibbia, où la vie semble suspendue, mais étonnamment plus vraie. Là, elle rencontre des femmes qui ont tout perdu ou presque, entre voleuses, politiques, prostituées et solitaires abîmées par la rue. Roberta, incarnée par Matilda De Angelis, apporte la fulgurance et la fragilité d’un être qui se débat avec ses propres ombres. Valeria Golino donne à Goliarda une présence dense, oscillant entre lassitude, ironie et obstination. Autour d’elles, un chœur de femmes réinvente un quotidien régi par des codes bruts et une solidarité brute. Le film trace leur dérive lumineuse dans une Rome des années quatre-vingt encore marquée par les fractures sociales et les déséquilibres qui pèsent sur les destins féminins.
Une révélation, un souffle de vie.
Mario Martone a cherché pour Roberta une présence vive et instinctive, et Matilda De Angelis s’est imposée naturellement par l’énergie et la fragilité qui traversent tout le film. Le réalisateur souhaitait un visage capable d’incarner à la fois l’élan brut, l’impulsivité et cette douceur presque clandestine qui définissent le personnage. Matilda apporte cette tension intérieure, un mélange de lumière et de vulnérabilité qui donne à Roberta une intensité immédiatement palpable.
L’émancipation vs le conditionnement de la société
L’une des forces du film tient dans sa manière de renverser la logique habituelle de l’enfermement. La prison, lieu de contraintes et de verticalité, devient paradoxalement un espace où les masques tombent, où les identités ne sont plus réduites à une fonction sociale ou à un rôle imposé. Goliarda, épuisée par la quête d’un regard légitime sur son œuvre, se retrouve entourée de femmes qui vivent sans artifices, avec une dureté qui n’épargne rien, mais aussi avec une humanité débarrassée des faux-semblants. Ce mouvement intérieur donne au film une vibration particulière : l’enfermement devient l’endroit où l’on respire enfin, tandis que le monde extérieur apparaît comme une mise en scène permanente où chacun doit plaire, performer, se conformer.
L’émancipation passe ici par une forme de retour à l’état brut. La romancière observe que les classes, les statuts et les attentes sociales s’effacent dès qu’on franchit la grille. Les règles existent, bien sûr, mais elles sont claires, immédiates, lisibles, presque rassurantes. À l’inverse, la société attend des femmes qu’elles se coulent dans des moules étroits : séductrice, intellectuelle, figure politique, amoureuse sacrificielle, symbole de réussite ou d’échec. Ces fonctions pèsent, battent en brèche l’instinct vital et consument la capacité à se définir soi-même.
Le film tisse ce paradoxe en douceur, à travers des gestes ordinaires, des discussions nocturnes, des silences qui en disent long. Roberta incarne cette tension : magnétique, drôle, libre dans ses impulsions, elle montre pourtant une fêlure profonde qu’aucun cadre social ne parvient à apaiser. Elle représente l’enfant qu’on a un jour bridé, la part de nous que l’âge adulte finit toujours par éroder. En la rencontrant, Goliarda retrouve une vérité essentielle, presque primitive : l’être humain n’est pas fait pour les rôles, mais pour les relations.
Un film reposant sur les paradoxes de l’illusion de liberté
Un film surprenant, on ne s’attendait pas à cela. Une vraie surprise. Matilda De Angelis est explosive dans ce film, la révélation. On aime ce rapport liberté vs société, la manière dont on démontre comment la société brise des enfants avec l’exemple de Marilyn Monroe. Un authentique coup de cœur !
Fuori est le portrait d’une jeune femme qui fait souffler le vent, elle rend vivant l’ennui et tout ce qui l’entoure. Elle est magnétique, drôle, attachante et pourtant, on se perd dans sa tristesse cachée. C’est peut-être cela qui est si puissant : on sait qu’il y a un mystère, mais on ne peut pas le saisir, ni le déchiffrer.
Le film dresse un portrait de deux femmes, mais soulève en arrière-plan des paradoxes liés aux fonctions sociales : Romancière, Politicien etc… Chacune des femmes se bat pour suivre l’effort d’émancipation, mais face à elles se dresse une forme de dénaturation de l’insouciance brisée en quittant l’enfance. Un enfant nait sans être bridé et sans être dans un rôle de fonction sociale. Finalement, devenir adulte abime quelque chose en nous d’aimant.
Sous ses faux airs de comédie sur la fascination d’une romancière pour une jeune femme pleine de vie, le film donne un regard négatif sur la société des Hommes, qui abime toutes les choses de la vie. La réplique la plus saisissante du film est celle de la médium, évoquant Marilyn Monroe comme le plus bel exemple : la société des hommes l’ont détruite à ne pas vivre ou à ne pas avoir le droit d’être heureuse. « Être un enfant, c’est vivre. Être un adulte, c’est survivre.».
Le plus grand paradoxe de ce film est qu’ici la prison donne un sentiment de liberté à la romancière, car elle voyait un monde cloisonné avec ses limites et ses règles. En somme, la prison demeure comme un écosystème régit par des codes bruts et un planning. En dehors de la société, nous sommes prisonniers des apparences et du système social où l’on doit plaire et répondre aux obligations de nos fonctions sociales.
C’est cette idée qui traverse tout le film : la société façonne, classe, corrige, mais finit par user les êtres. À l’inverse, la marge éclaire ce qui demeure vivant. Fuori ne propose pas une fuite, mais une reconquête, un geste de lucidité sur ce qui nous abîme et sur ce qui nous rend encore capables de joie, même au cœur de l’abîme.
_________
3 décembre 2025 en salle | 1h 57min | Biopic, Drame
De Mario Martone |
Par Mario Martone, Ippolita di Majo
Avec Valeria Golino, Matilda De Angelis, Elodie
En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.



