Avec Room Temperature, Dennis Cooper et Zac Farley explorent une dérive familiale où la maison devient scène de terreur ritualisée. Entre malaise diffus, tendresse trouble et critique du pouvoir paternel, le film observe une obsession qui frôle la folie, portée par John Williams et Ange Dargent, dans un quotidien qui bascule vers l’inquiétant.
Dans Room Temperature, Dennis Cooper et Zac Farley plongent le spectateur dans un quotidien détourné où la banalité d’une maison familiale se transforme en théâtre dérangeant. Chaque année, pour Halloween, cette famille métamorphose sa propriété en attraction hantée, poussée par la volonté obsessionnelle du père de créer une expérience toujours plus terrifiante, quitte à en oublier toutes-limites. Le film observe avec une précision presque clinique ce glissement progressif entre jeu et vertige, entre rituel festif et malaise installé. Le regard porté n’est ni moqueur ni complaisant, mais lucide, sensible, parfois même troublant de tendresse. On y sent une réflexion sur l’intimité exposée, sur le besoin de contrôler la peur pour mieux la domestiquer. L’ensemble compose un objet cinématographique singulier, oscillant entre ironie douce, étrangeté permanente et désarroi silencieux.

Le récit suit une famille vivant dans l’ouest désertique des États-Unis qui, sous l’autorité d’un père autoritaire et visionnaire, transforme son foyer en maison hantée domestique. Cette entreprise, loin d’être un simple divertissement, devient une quête personnelle où chaque membre se retrouve enfermé dans un rôle imposé. Le père, incarné par John Williams, agit comme chef d’orchestre d’un cauchemar qui se veut spectaculaire, mais reste maladroit et fragile. Autour de lui gravitent des figures déroutantes, notamment Extra, personnage énigmatique, à la fois martyr et croyant absolu de cette fiction macabre, campé par Ange Dargent. Il incarne cette innocence abîmée, ce désir de faire exister l’illusion coûte que coûte. Dennis Cooper pose un regard profondément humain sur ces âmes étranges, tandis que Zac Farley construit un cadre visuel où la sincérité des non acteurs révèle une vérité presque désarmante.
Un monde de folie où l’on cherche à comprendre comment s’échapper
Le film bâtit un univers où l’absurde devient langage et où la folie s’installe comme une norme tranquille. Ici, la maison n’est plus refuge, mais piège, décor faussement ludique qui enferme autant qu’il amuse. Chaque scène renforce cette sensation d’être pris dans une logique qui se dérobe, où l’on cherche désespérément la sortie sans jamais être certain de vouloir vraiment fuir. Le scénario assume son incohérence apparente et s’en nourrit pour révéler la fragilité de ceux qui le traversent.
Le spectateur avance dans un dédale où la peur n’est pas tant visuelle que psychologique, née de situations grotesques, de silences pesants et de comportements décalés. Dennis Cooper et Zac Farley signent ainsi une fable étrange, dérangeante, presque poétique, qui interroge la frontière entre fantasme enfantin, rituel collectif et dérive intime. Cette immersion progressive trouble nos repères et installe une sensation d’errance mentale où chaque geste semble dicté par une logique intérieure défaillante, mais cohérente dans son délire. Le cadre domestique se mue en espace clos inquiétant, comme une scène figée où l’angoisse devient routine, et où l’humour noir finit par accentuer la gravité du malaise ambiant.
Notre avis sur le film
Le film est en soi réussi dans sa représentation très chaotique et l’approche de la folie d’un père ne vivant plus que pour la construction de sa maison hantée. Une action cathartique et vicésimale. Par l’organisation de cet événement annuel, il s’octroie du pouvoir créateur. Il a déjà beaucoup de pouvoir sur sa famille, mais son fils semble peu à peu lui échapper.
Spoilers
Il y a quelque chose d’absurde et dérangeant dans le film : on perçoit que ce père est sans limites. Son passage à l’acte n’a pas de sens, le film en lui-même se suffisait. Un point de bascule du film gratuit et pourtant nécessaire ; sans ça on perdrait la discussion sur la nécessité de tout ça et même la dimension sadique qui se cache derrière des violences physiques et verbales envers sa famille.
Un film sur la culture américaine, celle d’Halloween
On peut trouver absurde à première vue cette envie du père de faire quelque chose de grandiose et d’y mettre tout son cœur. Toutefois, si on retire le côté un peu dérangeant et presque pathologique, on peut y voir quelque chose de culturel. Room Temperature s’ancre profondément dans une tradition spécifiquement américaine : celle des « Home Haunts », ces maisons hantées domestiques conçues chaque année par des particuliers pour Halloween. Contrairement aux attractions professionnelles, ces espaces bricolés reposent sur une économie artisanale et communautaire, mêlant décors faits main, déguisements, effets sonores et scénographies improvisées. Cette culture transforme le foyer, symbole de sécurité, en théâtre de la peur, et confronte le visiteur à une forme d’intrusion dans l’intimité familiale, bien plus perturbante que la simple mécanique de l’effroi. Le film exploite cette tension en faisant de la maison un lieu redéfini, où chacun circule avec la conscience troublante d’entrer dans une sphère privée mise en spectacle.
La genèse du projet émane directement d’une expérience personnelle de Dennis Cooper, qui, adolescent, transformait déjà le sous-sol de sa maison en attraction pour Halloween. Avec Zac Farley, ils ont arpenté la Californie du Sud pour observer des centaines de ces installations, nourrissant une réflexion sur ce phénomène culturel comme forme d’art populaire immersive, à la frontière du bricolage et de la performance collective. Leur approche consiste à documenter cette pratique tout en la transposant dans une fiction qui en révèle la dimension mélancolique, presque pathétique, et profondément humaine.
Un film de genre, quand la réalité se confond avec la fiction, malaise social et maltraitance
Zac Farley définit explicitement le film comme une attraction hybride où réalité familiale et dispositif théâtral s’entremêlent. Loin du simple exercice de style horrifique, le film devient un miroir déformant du quotidien, où le père transforme sa quête de terreur en projet totalitaire, imposant à chacun un rôle figé. La maison hantée cesse d’être un jeu pour devenir une structure de domination, révélatrice d’un malaise social latent et d’une forme de maltraitance psychologique insidieuse.
Spoilers
Le personnage d’Extra cristallise cette dérive. Assassiné pour donner plus de crédibilité à l’attraction, il renaît sous forme de fantôme paradoxalement apaisé, presque décoratif, qui ne suscite plus la peur, mais une étrange compassion. Cette métamorphose illustre la réflexion philosophique centrale du film : ce que nous cherchons à rendre terrifiant reste profondément familier, et c’est précisément cette proximité qui dérange. Le désir que « les choses familières nous effraient » devient ainsi un moteur poétique et cruel, mettant en lumière notre fascination pour le trouble.
Le recours à des non-acteurs, issus du monde artistique ou musical, participe à cette ambiguïté. Leur jeu, dénué de codes académiques, repose sur un charisme instinctif et une sincérité brute, renforçant la sensation de réalité dévoyée. La méthode de création, fondée sur un dialogue constant entre Dennis Cooper et Zac Farley, révèle un processus à deux voix où écriture et mise en scène évoluent ensemble, sans planification rigide, laissant émerger une vérité imprévisible.
Contexte artistique et technique, un socle invisible mais essentiel
Le film s’inscrit dans un parcours artistique fort porté par Dennis Cooper, figure majeure de la littérature contemporaine américaine, dont l’œuvre mêle depuis des décennies cruauté et tendresse, explorant la fragilité émotionnelle et les zones troubles de l’intime. À ses côtés, Zac Farley prolonge cette sensibilité par une approche visuelle singulière, déjà remarquée dans Like Cattle Towards Glow et Permanent Green Light, leur collaboration avec Gisèle Vienne nourrissant un dialogue fécond entre cinéma et performance. Présenté dans de nombreux festivals internationaux, le film repose sur une équipe technique exigeante, avec une musique originale signée Puce Mary et une photographie de Yaroslav Golovkin, qui donnent à la maison hantée une texture presque organique. Produite par Octo Productions et Local Films, distribuée par Léopard Films, l’œuvre conserve une étrangeté artisanale assumée, renforcée par des décors surréalistes où dérision, malaise et poésie macabre cohabitent.

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26 novembre 2025 en salle | 1h 33min | Comédie, Drame, Epouvante-horreur
De Dennis Cooper, Zac Farley |
Par Dennis Cooper, Zac Farley
Avec Charlie Nelson Jacobs, John Williams (V), Chris Olsen
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Une réflexion sur “Room Temperature – Un monde de fou avec un scénario absurde.”