Hafsia Herzi dévoile un film d’émancipation porté par Nadia Melliti, entre foi, liberté et désir, où l’intime devient acte de courage et miroir de société.
Hafsia Herzi devoile un film touchant sur les femmes, leur émancipation, les tabous de la sexualité et la religion. Nadia Melliti est fracassante par sa force tranquille, face à une palette d’artistes. Un cinéma du vrai et du quotidien de ces personnes en mal-être permanent devant jongler entre le poids de la culture et de la famille.
Avec La Petite Dernière, Hafsia Herzi poursuit son exploration des zones intimes où l’individu se débat entre foi, désir et appartenance. Adapté du roman de Fatima Daas, le film s’impose comme un portrait à la fois pudique et bouleversant d’une jeune femme musulmane issue de la banlieue parisienne, en quête d’elle-même. À travers un réalisme sensoriel et une caméra épaule proche des visages, la cinéaste révèle le combat intérieur d’une génération tiraillée entre héritage spirituel, élan amoureux et liberté de conscience. C’est un récit d’initiation, de courage et de lucidité, qui choisit de parler vrai plutôt que de plaire.
L’histoire d’une jeune femme qui se cherche
Fatima a dix-sept ans. Elle est la plus jeune d’une fratrie de sœurs élevées dans un foyer aimant et bruyant de la périphérie parisienne. Brillante élève, elle rejoint une université de philosophie à Paris, un monde qui lui ouvre de nouvelles perspectives et l’expose à une liberté vertigineuse.
Hafsia Herzi s’empare du texte de Fatima Daas pour créer une héroïne qui vit dans une tension permanente entre le visible et l’invisible. Fatima prie, étudie, aime, doute, et lutte contre la culpabilité que lui impose sa foi face à ses désirs. Autour d’elle, une galerie de personnages accompagne son éveil : Ji-Na, incarnée par Ji-Min Park, jeune femme libre et lumineuse, devient le miroir d’un amour interdit. Sa mère, solide et lucide, incarne la tendresse silencieuse des femmes du foyer. Son père, joué par Razzak Ridha, symbolise le fossé générationnel et le déni affectif. Les sœurs, complices et bruyantes, traduisent cette promiscuité à la fois tendre et étouffante. Fatima navigue entre deux mondes : celui de la tradition, et celui de la modernité urbaine qui bouscule tout.
Ici, on filme avec délicatesse la pudeur des gestes, la respiration d’un corps contraint, la colère d’un cœur qui cherche à vivre sans trahir. À travers le visage de Nadia Melliti, tout passe par le regard, la retenue, le frisson d’un mot tu. Le film devient alors le récit d’une naissance à soi, un manifeste doux et violent à la fois.

La religion, l’amour et la liberté
Chez Hafsia Herzi, la foi n’est ni décor ni provocation. Elle est une respiration intérieure. Fatima se lève à l’aube pour prier, accomplit les ablutions avec la même rigueur qu’un geste de tendresse. Ces scènes disent le lien intime entre spiritualité et apaisement. La réalisatrice ne juge pas, elle observe. Elle montre que croire peut être une source de paix autant qu’une lutte intime quand le désir s’y mêle. L’amour devient un territoire de transgression, non contre la religion, mais contre l’enfermement moral qu’une société impose à celles et ceux qui sortent du cadre.
Dans le film, la prière n’est pas un obstacle à la liberté. C’est une manière de respirer, d’exister en équilibre. Hafsia Herzi filme la foi comme une présence silencieuse qui ne condamne pas, mais questionne. Elle rappelle que l’Islam, lorsqu’il est vécu dans sa profondeur spirituelle, célèbre l’amour, la tendresse, la beauté de l’intention.
Fatima vit sa passion pour Ji-Na comme un appel du cœur. La sexualité y est filmée avec pudeur, presque comme une initiation à la connaissance de soi. Loin des clichés, le film ne cherche pas à opposer l’amour et la religion, il les met face à face. Dans la parole de Fatima Daas, reprise ici avec force, le couple devient un espace d’apprentissage, non une faute.
Dans la tradition islamique, la sexualité, lorsqu’elle s’inscrit dans l’union des époux, est un pilier sacré de la relation. Elle exprime la complémentarité et le respect mutuel. En l’extrayant du couple hétérosexuel pour la placer entre deux femmes, le film interroge ce dogme sans le profaner. Il invite à réfléchir sur la spiritualité du corps et la liberté du cœur. L’amour, filmé ici comme une prière détournée, devient une forme d’adoration sincère. La réalisatrice transforme l’intime en un dialogue entre Dieu et le monde, entre la faute et le pardon. Le spectateur comprend alors que la foi, l’amour et la liberté ne sont pas ennemis, mais parties d’un même élan vital.
Être étranger, ne pas être hétéro
Être étranger dans un pays, c’est déjà apprendre à se taire. Fatima vit dans une France où le regard pèse, où l’on apprend très tôt à ne pas déranger. Quand on vient d’un milieu populaire, que l’on est croyante et femme, la norme devient un refuge fragile. Ne pas être hétéro dans ce contexte, c’est briser une loi tacite, heurter la pudeur collective.
Le film décrit ce conflit avec une justesse rare. Fatima avance masquée, dissimulant son désir comme on protège un secret dangereux. L’homosexualité féminine, dans de nombreux pays musulmans, est souvent passée sous silence, tolérée tant qu’elle ne s’affiche pas. Celle des hommes, en revanche, est condamnée, parfois violemment. Hafsia Herzi expose cette hypocrisie sans colère, avec la lucidité d’une femme qui connaît les codes du silence.
La caméra observe les regards, les non-dits, les moments où la vérité affleure. Le personnage de Ji-Na incarne la liberté rêvée, celle de pouvoir aimer sans justification. Fatima, elle, reste prisonnière d’une double injonction : être bonne fille aux yeux des siens et fidèle à ce qu’elle ressent.
Cette tension entre visibilité et dissimulation devient le moteur dramatique du film. Le spectateur ressent la peur constante de l’exclusion, l’effort pour se fondre dans la foule sans se trahir. Le cinéma de la cinéaste, toujours incarné, refuse la caricature. Elle ne dénonce pas un dogme, elle montre une société où le poids du regard collectif écrase la singularité.
La réalisatrice évoque en interview et dans le dossier de presse du film une anecdote : un chauffeur de taxi qu’elle connaissait, — passionné de cinéma et de musique, ouvert sur l’occident — a refusé de participer au casting du film après avoir appris le sujet et la place centrale de l’homosexualité. Cela résume l’ampleur du tabou. La Petite Dernière met au jour cette fracture entre l’intime et le social, entre ce qu’on est et ce qu’on montre. Fatima n’est pas une rebelle, elle est une survivante. Son étrangeté devient une force silencieuse. Le film rend hommage à toutes celles et ceux qui vivent entre deux mondes et deux vérités.

Le récit d’un rêve d’émancipation
La Petite Dernière est d’abord un rêve : celui d’une jeune femme qui aspire à se construire loin des regards, sans renier ce qui l’a faite. Hafsia Herzi filme la jeunesse comme une traversée du miroir. Fatima se découvre à travers ses propres contradictions, entre foi et désir, loyauté et fuite, silence et cri.
Les rêves traversent le film comme des éclats d’inconscient. Ils disent ce que la parole ne peut avouer. Dans l’un d’eux, Fatima semble flotter, libre, débarrassée des codes et des peurs. La réalisatrice utilise le rêve comme un révélateur d’âme, une échappée vers la lumière. La symbolique y est forte : l’eau des ablutions devient miroir de l’identité, la respiration d’asthmatique rappelle la suffocation intérieure, la nuit devient espace de renaissance.
Chaque séquence traduit une part du combat intérieur entre l’enfance et l’âge adulte. Les madeleines offertes par la mère, les repas de famille, les prières au petit matin tissent le lien entre héritage et désir de rupture. Le film, construit comme une mosaïque, montre qu’on ne se libère jamais tout à fait de ses racines. On apprend à les habiter autrement.
L’émancipation de Fatima ne se fait pas dans la colère, mais dans la conscience. Elle découvre que la liberté ne réside pas seulement dans le choix d’aimer, mais dans celui de penser. La connaissance, l’université, la philosophie deviennent des outils de guérison. Dans ce parcours, Hafsia Herzi rejoint la lignée des cinéastes humanistes : elle filme l’éveil d’une conscience féminine et spirituelle. Les rêves de Fatima sont ceux d’une génération qui refuse d’être définie par la peur. Dans le silence de ses prières, dans la douceur de ses gestes, on lit l’espérance d’un monde où l’amour ne serait plus une transgression, mais une vérité simple.
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22 octobre 2025 en salle | 1h 53min | Drame
De Hafsia Herzi |
Par Hafsia Herzi
Avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed
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