Dans une ville grise, Selon Joy explore la foi comme refuge intime et comme fracture intérieure. Camille Lugan signe un premier long métrage où spiritualité, solitude et amour s’entrelacent sans jugement ni provocation gratuite.
Joy est une jeune femme orpheline, croyante, habitée par une foi profonde qui structure son quotidien et lui permet de tenir debout dans un monde urbain froid et indifférent. Sa vie est rythmée par l’église, les prières, le silence, et une discipline intérieure qui n’a rien de spectaculaire, mais qui la définit entièrement. Un jour, elle est témoin d’une agression et croise la route d’Andriy, un jeune homme blessé, instable, porté par une rage sourde et une détresse qu’il ne parvient pas à formuler. Entre eux naît une relation fragile, presque maladroite, faite de regards, de retenue et d’une attirance qui ne dit pas son nom. Autour d’eux gravitent deux figures majeures, le Père Léonard, incarnation d’une foi structurée et institutionnelle, et Mater, personnage interprété par Asia Argento, présence trouble, charnelle, qui incarne une autre manière de croire, ou peut-être de se perdre. Camille Lugan ne construit pas des archétypes, mais des êtres traversés par des tensions intimes, où chacun cherche une forme de salut, sans certitude d’y parvenir.
Quand la religion et la psyché se font du mal
Selon Joy ne parle pas de religion au sens dogmatique, mais de la manière dont la foi peut devenir un espace psychique total, parfois protecteur, parfois étouffant. Camille Lugan aborde la croyance comme une structure mentale, une architecture intérieure qui aide à survivre au chaos, mais qui peut aussi enfermer lorsque le monde réel vient la fissurer. Joy n’est pas fanatique, elle est habitée. Sa foi est sincère, profonde, presque organique, mais elle repose sur un équilibre fragile. Lorsqu’Andriy entre dans sa vie, ce n’est pas seulement une histoire de rencontre ou de sentiment, c’est une intrusion du réel, du désordre, de la violence et de l’imprévisible dans un système intérieur qui fonctionnait jusque-là comme un rempart.
Le film montre avec une grande finesse comment la religion peut parfois servir de mécanisme de compensation psychique. La prière devient un refuge contre l’angoisse, la culpabilité et la solitude, mais aussi un moyen de ne pas affronter certaines blessures enfouies. À l’inverse, le personnage d’Andriy incarne une psyché à vif, sans cadre, sans rituel, livrée à ses pulsions et à ses traumatismes. La rencontre entre ces deux mondes n’est jamais idéalisée. Elle est inconfortable, parfois dérangeante, car elle met en lumière ce que chacun refuse de regarder en soi.
Camille Lugan évite soigneusement tout discours moralisateur. La religion n’est ni glorifiée, ni attaquée frontalement. Elle est montrée comme une force ambivalente, capable de donner du sens, mais aussi de nourrir une forme de déni émotionnel. Le film questionne subtilement la frontière entre foi et fuite, entre abandon confiant et dépossession de soi. À travers Joy, il interroge aussi la place du corps, du désir et de la culpabilité dans une spiritualité qui peine à intégrer la complexité humaine. C’est là que Selon Joy devient profondément psychologique, en montrant comment le sacré et le trauma peuvent se nourrir l’un l’autre, parfois jusqu’à la fracture intérieure.
Trois choses à savoir sur le film
Une mise en scène sensorielle et contenue
Camille Lugan privilégie une réalisation épurée, presque austère, où la lumière, les cadres et les silences jouent un rôle central. La photographie, très travaillée, installe une atmosphère nocturne et introspective, proche du cinéma expressionniste et du film noir, sans jamais tomber dans l’esthétisation gratuite.
Un travail sonore et musical au service de l’intériorité
La musique de Rémi Boubal n’accompagne pas l’émotion, elle la creuse. Les nappes sonores, discrètes mais oppressantes, prolongent l’état mental des personnages et renforcent le sentiment de solitude. Le son devient un outil narratif à part entière, presque invisible, mais essentiel.
Un premier long métrage habité et risqué
Avec Selon Joy, Camille Lugan ose un sujet délicat, rarement traité sans caricature. Le film assume sa lenteur, son inconfort et son refus des réponses simples. Il s’adresse à un spectateur prêt à accepter le doute, l’ambiguïté et la complexité des âmes humaines, sans promesse de réconfort facile.
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24 décembre 2025 en salle | Drame
De Camille Lugan |
Par Camille Lugan
Avec Sonia Bonny, Volodymyr Zhdanov, Asia Argento
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