Quand l’Intelligence artificielle ressuscite les papyrus perdus d’Herculanum


Grâce à l’IA, des papyrus brûlés il y a deux mille ans à Herculanum sont enfin lisibles. Un exploit technologique aux répercussions majeures sur notre connaissance du monde antique.

Sous les cendres du Vésuve, un trésor brûlé, fragile, presque fantomatique, sommeillait depuis deux mille ans. Les papyrus d’Herculanum, figés par la chaleur lors de l’éruption de 79 après J.-C., résistaient depuis des siècles à toutes les tentatives de lecture. Chaque manipulation les réduisait en poussière, condamnant leurs secrets au silence éternel. Mais à l’ère du numérique, une révolution se prépare : l’Intelligence artificielle entre en scène et bouleverse les certitudes. Grâce à elle, des lettres invisibles réapparaissent, des mots anciens reprennent forme, et c’est tout un pan de la pensée antique qui s’ouvre à nouveau à nous. Une prouesse technologique et humaine, portée par la ténacité de scientifiques visionnaires, bien décidés à rendre audible la voix des Anciens.

Une bibliothèque carbonisée et muette

Découverts en 1752 dans les ruines de la villa de Lucius Calpurnius Piso à Herculanum, les papyrus calcinés furent d’emblée jugés indéchiffrables. Vitrifiés par les cendres incandescentes du Vésuve, ils s’effritent dès qu’on les touche. Les tentatives de déroulement physique, du XVIIIe au XXe siècle, les ont presque toujours détruits. Classés, conservés, mais figés, ces rouleaux ont longtemps dormi dans les réserves d’Oxford, Paris ou Naples, objets de fascination autant que de frustration. Seules quelques bribes extraites de fragments peu altérés permettaient de deviner l’ampleur de cette bibliothèque antique. Composée de plus de 1800 rouleaux, elle aurait appartenu à l’un des hommes les plus influents de son temps, beau-père de Jules César et mécène du philosophe Philodème de Gadara. Pendant des siècles, ces textes se sont contentés de survivre, sans pouvoir être lus. Jusqu’à ce qu’une autre flamme – numérique, celle-ci – vienne les illuminer.


L’IA au service du passé : l’exploit de Brent Seales

Le véritable tournant vient d’outre-Atlantique, sous l’impulsion de Brent Seales, professeur à l’université du Kentucky. Depuis 2013, il développe une méthode alliant tomographie par rayons X et algorithmes avancés, pour « dérouler » les rouleaux sans les toucher. En analysant les variations internes du matériau végétal vitrifié, son équipe recrée une cartographie tridimensionnelle du papyrus. Ce travail colossal, long et minutieux, a été d’abord testé avec succès sur un rouleau de la mer Morte. Puis, à l’aide de synchrotrons comme celui de Grenoble, les chercheurs ont pu détecter des traces chimiques invisibles à l’œil nu : un dérivé de plomb utilisé dans l’encre. C’est ainsi qu’en 2023, le mot πορφύρα (« pourpre » en grec) est réapparu, premier signe tangible de réussite. L’IA amplifie ensuite les contrastes entre l’encre et le support, rendant lisibles les lettres enfouies. Grâce à ces percées, des concours comme le Vesuvius Challenge mobilisent aujourd’hui des milliers de jeunes scientifiques pour analyser, ligne par ligne, ces vestiges du savoir.

Depuis les premières lettres déchiffrées, les avancées se multiplient à un rythme saisissant. En un an, seize colonnes ont été reconstituées, et un rouleau entier a presque été lu. L’équipe espère décoder les cinquante papyrus scannés d’ici deux ans. Mais le plus exaltant reste à venir. Ce n’est pas seulement un exploit technique : ce sont des œuvres inédites, philosophiques ou littéraires, qui pourraient ressurgir. Des fragments d’Épicure, des traités oubliés sur l’art, la politique, la morale… Et peut-être, un jour, un récit antique inconnu, un témoignage sur les premiers chrétiens, ou une histoire de Rome alternative. Brent Seales, avec son équipe et ses algorithmes, ne se contente plus d’explorer Herculanum. Il lance un appel mondial aux détenteurs de manuscrits illisibles. Car chaque document oublié, chaque parchemin noirci, pourrait révéler une part de notre mémoire commune. C’est une archéologie du futur, où le passé ne renaît plus dans la poussière, mais dans les pixels.

Ce qui semblait perdu à jamais se révèle peu à peu sous nos yeux, grâce à la patience des chercheurs et à l’audace technologique. Les papyrus d’Herculanum, jadis condamnés au silence par les flammes du Vésuve, parlent à nouveau par la voix de l’Intelligence artificielle. Au croisement de la science, de la culture et de l’imaginaire, cette aventure moderne redonne vie aux mots de l’Antiquité. Elle nous rappelle que le savoir humain ne meurt jamais vraiment : il sommeille, attend, et parfois, renaît là où on ne l’attendait plus. En rendant visible l’invisible, Brent Seales et ses collaborateurs ouvrent une ère nouvelle pour l’archéologie et les humanités numériques. L’histoire, décidément, n’a pas fini de nous surprendre.


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