Teresa – Noomi Rapace et l’objectivation de la sainteté comme champ de bataille intérieur


Teresa de Teona Strugar Mitevska propose une relecture abrupte et troublante de la figure de Mère Teresa, entre foi, tension intérieure et mise en scène rock, où la sainteté devient un combat intime, politique et profondément dérangeant.


Dans Teresa, Teona Strugar Mitevska déplace radicalement le regard porté sur la figure mythifiée de Mère Teresa pour en révéler une incarnation âpre, traversée de tensions, d’ambitions et de doutes. Loin de l’icône apaisée, la réalisatrice choisit un moment précis, sept jours charnières en 1948, pour sonder ce que signifie réellement répondre à un « appel », quand la foi ne se contente plus d’être mystique, mais devient un acte politique, presque subversif. Le film observe cette femme au cœur d’un système religieux rigide, dans une ville marquée par la misère et les contradictions coloniales, et interroge la sainteté non comme une posture lumineuse, mais comme une lutte intérieure, exigeante, parfois brutale. La mise en scène stylisée, ponctuée d’anachronismes assumés et de ruptures visuelles, fait de cette trajectoire un espace de questionnement profond sur l’autorité, la liberté et la place d’une femme face à un dogme séculaire.


La vie de Teresa

L’action se concentre sur Calcutta en 1948, alors que Teresa s’apprête à quitter le couvent pour fonder l’ordre des Missionnaires de la Charité. Ce moment de bascule, condensé sur une semaine, devient un champ de forces où se croisent trois figures essentielles : elle-même, Sister Agnieszka et le Père Friedrich. Chacun incarne une facette de la tension entre foi, autorité et désir d’émancipation. Teresa apparaît comme une femme de décision, presque une cheffe d’entreprise spirituelle, animée par une volonté farouche de transformer la compassion en action concrète. Agnieszka, plus fragile, dévoile les failles et les peurs qui traversent la sororité, tandis que Père Friedrich concentre les ambiguïtés du pouvoir masculin et du contrôle moral. Ensemble, ils dessinent un triangle dramatique où se rejoue la question centrale : jusqu’où une femme peut-elle aller pour imposer sa vision au sein d’une institution façonnée par les hommes. Le récit privilégie les regards, les silences et les gestes, faisant de chaque interaction un lieu de tension autant que de révélation.

Teresa : Photo Noomi Rapace © Entre Chien et Loup

La religion au piège d’une forme de patriarcat

Le film met à nu une Église qui se présente comme refuge moral, mais fonctionne aussi comme un espace de domination normée, où toute ambition féminine devient suspecte. La phrase « Dieu nous préserve d’une femme ambitieuse ! » ne résonne pas comme une simple réplique, mais comme le symptôme d’un système qui redoute la liberté lorsqu’elle prend un visage féminin. Teresa évolue dans une structure où le dogme contrôle les corps, les décisions et jusqu’aux élans intimes. La religion apparaît alors comme un paradoxe : espace de libération pour ces femmes refusant le destin social ordinaire, mais aussi prison symbolique, définissant ce qu’elles peuvent être ou ne pas être.

La mise en scène accentue cet enfermement par des lignes de démarcation visuelles, des cadres surchargés, des murs qui deviennent presque des entités oppressantes. Les vues zénithales, associées au motif de la croix, traduisent le regard omniscient de Dieu, mais rappellent aussi la surveillance permanente qui pèse sur Teresa. Elle est filmée comme plus petite que ce qu’elle affronte, prise entre un idéal spirituel exalté et la rigidité d’un patriarcat qui tolère l’engagement tant qu’il reste soumis. La sororité se construit ainsi dans un espace de résistance silencieuse, où la foi devient moins une soumission qu’une stratégie pour reconquérir une forme de pouvoir intérieur.


Un travail de longue haleine

Le projet trouve son origine dans un travail de longue haleine entamé quinze ans auparavant avec le documentaire Teresa et moi, consacré aux dernières sœurs fondatrices des Missionnaires de la Charité. Ces témoignages ont nourri le scénario, jusque dans certains dialogues directement issus de ces entretiens. Teona Strugar Mitevska souhaitait rompre avec l’image figée de la sainte pour construire une figure complexe, ambivalente, profondément humaine, en résonance avec les interrogations contemporaines sur le pouvoir, le genre et la mémoire.

Le choix de Noomi Rapace s’est imposé pour sa capacité à incarner une énergie brute, presque « punk rock », capable de traduire la dureté et la vulnérabilité du personnage. Leur collaboration s’est étendue sur plus d’un an et demi, marquée par des lectures intensives, des réécritures multiples et un travail minutieux sur chaque mot du scénario. La réalisatrice recherchait une actrice qui ne mime pas Teresa, mais la traverse, jusqu’à en éprouver les failles. Cette immersion totale a conduit à une interprétation où la force s’accompagne d’une fragilité palpable, révélant une femme qui doute autant qu’elle agit, et pour qui la sainteté devient un chemin accidenté, loin de toute iconographie rassurante.

Agréablement surpris par la force du film : Le jeu des actrices, la bande-originale dévoilant à merveille une ambiance Hard Rock, allant jusqu’à la synchronisation du célèbre Hard Rock Halleluja de Lordi . Le film est entre tension d’un idéal de dogme et les aléas de l’âme, en proie aux doutes et désirs de dévotion. Le film arrive à donner de l’espace et de la respiration alors que tout est quasiment en huis-clos !

Un film à prendre avec des pincettes !

En découvrant ce film, la bande son très Rock et Hard Rock donne une forme d’externalisation de la violence intérieure du personnage, comme si cette énergie sonore venait matérialiser un cri de l’âme, un besoin viscéral d’être contre le courant, de s’arracher au cadre imposé, d’affirmer une tension presque irrépressible face au dogme. Cette pulsation musicale accompagne une quête intérieure faite de doutes, de ferveur et de volonté, révélant une figure qui refuse la douceur attendue pour embrasser une posture plus âpre, plus radicale.

Cependant, beaucoup de polémique tourne autour du personnage historique. En effet, des pratiques lui sont reprochées, comme le fait d’avoir baptisé de force des pauvres, ce qui nourrit une lecture plus complexe, où la foi se heurte à la morale contemporaine. Le film ne cherche pas à effacer ces zones troubles, mais à les confronter, à les regarder en face, dans toute leur ambiguïté.

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Note : 3.5 sur 5.

3 décembre 2025 en salle | 1h 44min | Biopic, Drame, Historique
De Teona Strugar Mitevska | 
Par Teona Strugar Mitevska, Elma Tataragic
Avec Noomi Rapace, Sylvia Hoeks, Nikola Ristanovski
Titre original Mother


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