Reedland scrute un monde rural traversé par la routine, les silences et une inquiétude qui s’insinue dans les gestes les plus simples. Dans un décor de roseaux mouvants, la réalité glisse vers une zone trouble, où l’invisible façonne la peur autant que le paysage.
Reedland s’impose comme un récit qui avance à pas lents, dans une tension que l’on sent d’abord diffuse avant qu’elle ne prenne toute la place. Sven Bresser installe son film dans un paysage menacé, fragilisé par les mutations économiques, où chaque geste du quotidien devient un rituel presque ancestral. Le décor n’est jamais un simple cadre, il s’impose comme une matière vivante qui absorbe les émotions et les non-dits. Au cœur de cette terre de roseaux, un fermier découvre le corps d’une jeune fille, un choc qui fissure l’ordre immuable de sa routine. Le film scrute alors, avec patience, la manière dont l’invisible se glisse dans les interstices du réel et révèle l’ambivalence des êtres. Entre lumière et opacité, « Reedland » façonne un monde où l’on avance en cherchant ce qui se cache derrière les apparences.
Le point de départ est simple : Johan, fermier vieillissant et homme de la terre, découvre une jeune fille morte sur ses propres terres. Ce geste du hasard devient une fracture intime. S’ensuit une recherche sans fin, cette quête de vérité n’est qu’un prétexte, car le film s’attache surtout à la manière dont Johan absorbe ce trouble silencieux qui contamine son quotidien. Il ne s’agit pas d’un polar classique, mais du portrait d’un homme tiraillé entre affection, instinct, violence intérieure et solitude. À ses côtés, Dana, sa petite-fille, apparaît comme la seule présence lumineuse dans un univers fait d’obligations agricoles, de rituels répétés et d’un silence qui devient presque un langage. Autour d’eux, le village, les coupeurs de roseaux, les réunions opaques et les tensions territoriales dessinent un microcosme rigide, où chacun tente de protéger ce qu’il reste d’un monde menacé par la mondialisation et les rivalités ancestrales. Tous les personnages portent d’ailleurs cette ambiguïté : à la fois bienveillants et capables de dureté, ils évoluent dans un environnement où chaque interaction peut basculer vers la méfiance ou le repli.

Un film fort de symboles
En se plongeant dans la dimension symbolique, on comprend clairement que Sven Bresser conçoit son film comme une exploration morale plus que comme une enquête. Il s’intéresse à ce qui circule sous la surface, à ce que la nature révèle et dissimule en même temps. La symbolique omniprésente vient de son propre lien aux paysages de roseaux de son enfance, aujourd’hui disparus. Pour retrouver cet imaginaire perdu, il s’est tourné vers les zones humides du Weerribben-Wieden, où persistent encore les derniers artisans du roseau. Ce décor n’est donc pas un simple environnement visuel : il devient une arène mentale. Le mouvement des roseaux, tantôt apaisant, tantôt menaçant, reflète l’état intérieur de Johan et la manière dont la violence, la culpabilité ou l’innocence s’entremêlent. Le film interroge aussi la notion de « paysage coupable », inspirée par l’artiste Armando, pour évoquer l’indifférence de la nature face aux drames humains.
La dimension symbolique prend également racine dans les enjeux sociopolitiques évoqués : rivalités locales, identité menacée, xénophobie latente, influence des politiques néo-libérales, disparition d’un artisanat. La peur de l’autre devient une matière narrative autant qu’un moteur dramatique. Le cinéaste ne représente d’ailleurs jamais explicitement les « Trooters », renforçant l’idée d’une menace diffuse, d’un inconnu fantasmé.
Enfin, la part de surnaturel vient se fracasser à une esthétique traditionnelle du genre. Elle surgit au même niveau que les gestes les plus banals, brouillant ainsi les frontières entre réel et imaginaire. Les phénomènes météorologiques, filmés parfois en 16 mm hors tournage, deviennent des signes, des respirations, des forces qui dépassent les personnages. L’ensemble compose une expérience sensorielle où la lumière, la brume, le vent et les ombres s’entrelacent pour exprimer ce que les mots ne peuvent plus porter. Ce symbolisme n’est pas un effet de style, mais une manière pour le film de sonder la zone grise où se mêlent affection, violence et solitude, et où l’homme finit par se confronter à ce qu’il dissimule en lui-même.
Notre avis – Un beau film, mais en demi-teinte
Le film est beau visuellement, mais on sent perdu dans ce quotidien sans échappatoire. C’est long à vivre avec une répétition sans fin et pour seule distraction les évènements de la jeunesse : la garde de la petite fille, les spectacles à l’école.
Le film offre beaucoup de symbolique dans le geste et aussi la Nature. Un homme de la terre enfermé dans une routine où tout se ressemble jour après jour. Une sensation de silence, des mots qui n’ont pas de puissance face au travail et le contact avec les paysages. On a un travail sur la puissance des éléments, des décors. Tout est sons et matières, si l’enquête est présente, elle se fait absorber par le quotidien, au point où elle en devient anecdotique !
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3 décembre 2025 en salle | 1h 51min | Drame, Policier
De Sven Bresser |
Par Sven Bresser
Avec Gerrit Knobbe, Loïs Reinders
Titre original Rietland
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