Que ma volonté soit faite – Le film de genre à ne pas manquer de Julia Kowalski


Plongée âpre et sensorielle dans un monde rural dominé par la peur du désir féminin, Que ma volonté soit faite interroge la frontière trouble entre foi, superstition et rejet social, à travers un récit où le regard moral écrase l’intime et transforme la différence en menace.

Que ma volonté soit faite s’impose comme une œuvre rugueuse, organique, presque tellurique, où le cinéma de genre devient un prisme pour interroger la peur de l’anormal, du désir et de ce qui échappe aux cadres établis. Le film de Julia Kowalski inscrit sa narration dans une campagne âpre, boueuse, hostile, où les corps et les regards sont soumis à une pression constante, sociale autant que morale. Ici, la foi ne rassure pas, elle enferme. La communauté ne protège pas, elle scrute, juge et condamne. Dans cet univers où la superstition se confond avec une religiosité rigide, chaque pulsation intime devient suspecte, chaque trouble un signe du mal. La réalisatrice évite toute facilité spectaculaire, préférant une tension sourde, une lente montée de malaise, nourrie par une mise en scène précise, par le grain du 16mm, et par une bande sonore à la fois charnelle et dissonante. L’ensemble compose une plongée importante dans le rapport conflictuel entre désir féminin et norme sociale, entre pulsion vitale et répression collective.

Une histoire de fascination et de peur de l’inconnu

Nawojka vit au sein d’une ferme familiale, sous l’autorité d’un père austère et dans un environnement où la parole ne libère rien, mais maintient chacun à sa place. Elle porte en elle un secret : un pouvoir qu’elle assimile à une malédiction, qui se manifeste lorsqu’elle éprouve du désir. Ce trouble, loin d’être célébré comme une expression de vie, devient un motif de honte et de peur, renforcé par le mythe trouble entourant la mort de sa mère, supposément consumée par les flammes. Nawojka grandit ainsi dans une ambivalence douloureuse, partagée entre attraction et répulsion face à sa propre sensualité.

L’arrivée de Sandra bouleverse cet équilibre fragile. Figure libre, solaire mais perçue comme sulfureuse, elle incarne une féminité assumée, autonome, presque provocante. Cette présence agit comme un révélateur, un catalyseur qui accélère l’éveil intérieur de l’adolescente. Ce qui se joue entre elles n’est pas une histoire d’étiquette ou de définition, mais une circulation de désir, de fascination, de projection et de miroir. Nawojka cherche autant à comprendre ce qu’elle ressent qu’à s’en délivrer. Entre elles s’esquisse une tension complexe où admiration, trouble et quête d’identité se mêlent, sans jamais tomber dans le simplisme.

Quand la religion assombrit le jugement et provoque une chasse aux sorcières des temps nouveaux.

Le film met en scène une société où la croyance ne relève plus de la spiritualité, mais d’un mécanisme de contrôle. La religion y apparaît comme une force normative qui déforme les regards et fossilise les peurs. Tout ce qui s’écarte de la bienséance devient une menace. Le désir féminin, en particulier, est scruté avec une suspicion quasi inquisitoriale, comme si la moindre pulsion contenait en germe une déviance satanique. Cette vision archaïque transforme Nawojka en figure marginale, perçue comme dangereuse, instable, voire possédée.

Julia Kowalski orchestre ainsi une véritable chasse aux sorcières contemporaine, ancrée non pas dans un folklore fantasmé, mais dans une réalité sociale familière, où la peur du corps féminin sert de justification à la violence morale et symbolique. Les regards des hommes, les murmures du village, les silences du père, tout participe d’un climat où le soupçon remplace la compréhension, où l’ignorance se drape dans le vernis de la morale.

Cette tension rappelle combien notre société continue de pathologiser ce qu’elle ne parvient pas à nommer. Ce qui pourrait relever d’une crise psychique, d’un trouble identitaire ou d’un éveil sensuel est au contraire interprété comme une manifestation du mal. La mise en scène renforce cette idée par l’usage récurrent de la boue, du feu, du sang, comme autant de matières symboliques associées à la souillure, à la transgression et au tabou. La ferme elle-même devient un espace clos où la tradition écrase toute possibilité d’épanouissement, où la foi n’apaise rien, mais attise le rejet.

Un long parcours d’écriture

Le projet de Que ma volonté soit faite s’inscrit dans un long parcours, mûri sur plusieurs années. Julia Kowalski l’envisageait déjà avant la réalisation du moyen métrage J’ai vu le visage du Diable, mais celui-ci a joué un rôle décisif dans l’affinement de ses intentions. Ce travail préalable lui a permis d’approfondir sa réflexion sur la porosité entre fiction et réel, sur la puissance narrative de la croyance et sur la manière dont la peur peut s’inscrire dans les corps. C’est également à cette occasion qu’elle rencontre Maria Wróbel, qui s’imposera très vite comme une évidence pour incarner Nawojka, tant son intensité et sa fragilité correspondaient à l’univers du film.

Le casting témoigne d’une volonté claire de mêler figures connues et présences plus brutes, issues du réel. Roxane Mesquida est choisie pour son charisme hors norme, sa part indomptable, son allure libre, presque rebelle. Elle incarne Sandra avec une puissance magnétique qui dépasse la simple séduction pour atteindre une forme de vérité dérangeante. Le reste de la distribution participe de cette recherche d’authenticité : acteurs professionnels, habitants locaux, visages marqués par la vie rurale, tous contribuent à créer une texture humaine crédible et viscérale.

Le tournage, réalisé dans une véritable exploitation agricole, accentue cette dimension quasi documentaire. La boue omniprésente, les animaux, les conditions climatiques rudes et l’utilisation de la pellicule 16mm renforcent la sensation de matière, de chair, de rugosité. Le cinéma de Julia Kowalski se construit ainsi dans une tension permanente entre rigueur formelle et pulsation instinctive, entre cadre pensé et abandon contrôlé, au service d’un propos qui explore sans complaisance la peur du féminin, la violence du jugement et la difficulté d’assumer sa propre nature.

Notre avis, pourquoi a aimé ce film

 Que ma volonté soit faite nous plonge dans cette fameuse guerre entre le Normal et le Pathologique, quand les superstitions et l’ignorance grondent et poussent au pire : chasse aux sorcières, rejets des différences.

Le film reprend les codes du cinéma de genre, applique une distorsion violente autant que la guitare électrique qui ponctue la bande originale du film. Des acteurs habités, si bien du côté de la distribution masculine que féminine. Maria Wrobel est troublante, Roxane Mesquida est magnétique, elle qui nous avait déjà percuté dans son rôle dans Fotogenico (2024).

Une réussite dans son genre, un film qui rappelle combien chacun voit le mal là où d’autre verront des psychopathologies.

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Note : 5 sur 5.

3 décembre 2025 en salle | 1h 35min | Drame
De Julia Kowalski | 
Par Julia Kowalski
Avec Maria Wróbel, Roxane Mesquida, Wojciech Skibinski


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