Vie Privée : un thriller intérieur vertigineux entre hypnose, psychanalyse et mémoire troublée


Vie Privée explore un trouble vertigineux entre psychanalyse et hypnose, où une psychiatre vacille face à la mort énigmatique d’une patiente. Rebecca Zlotowski orchestre un thriller intérieur sur les souvenirs écrans, la vérité psychique et la lutte intime entre conscient et inconscient.

Vie Privée s’inscrit dans un territoire trouble où l’intime se fissure lentement, laissant affleurer une enquête autant intérieure que policière. Rebecca Zlotowski met en scène Lilian Steiner, psychiatre reconnue, dont la certitude vacille lorsqu’elle apprend la mort de l’une de ses patientes. Persuadée qu’il ne s’agit pas d’un suicide, elle s’enfonce dans un questionnement qui révèle ses propres failles, sa culpabilité sourde et la porosité entre écoute thérapeutique et implication affective. Le film interroge ce qui se joue derrière les apparences de maîtrise, cette vie privée qui peut devenir une vie privée de sens, exposant la fragilité d’une femme trop rationnelle pour ne pas finir par se trahir elle-même.

Lilian Steiner mène une existence réglée, entre son cabinet, son statut social et une posture analytique rigide. La disparition de Paula, sa patiente, agit comme un déclencheur. Refusant la version officielle du suicide, elle entame une enquête personnelle, épaulée par son ex-mari Gabriel Haddad, retrouvant au passage les traces d’une relation qu’elle croyait éteinte. Autour d’eux gravite une constellation de figures troubles, Simon Cohen-Solal, époux inquiétant de Paula, Valérie Cohen-Solal, et leur fille, autant de présences qui densifient le malaise et nourrissent le doute. Chaque personnage devient un miroir déformant des zones d’ombre de Lilian, révélant que cette intrigue criminelle dissimule une quête bien plus intime, celle d’une femme confrontée à ses propres aveuglements.

Notre avis en quelques lignes

Le film est une belle réflexion sur le fameux combat entre la psychanalyse et l’hypnose, celui des souvenirs et des faux-souvenirs, des souvenirs écrans. Nous voyons beaucoup de choses autour de nous, mais l’inconscient et le conscient font un combat permanent pour nous tenir dans une homéostasie.

 Alors pour éviter l’inconfort, on va parfois inventer des choses, se persuader être témoin ou passeur de vérité. Jodie Foster est incroyable dans son rôle de psychanalyste à bout de souffle. Daniel Auteuil est attendrissant dans le rôle de l’ex-mari qui espère encore. Quant à Virginie Efira, elle campe à merveille le rôle de la patiente énigmatique !

L’inconscient, celui de l’hypnose et celui de la psychanalyse, deux mondes et deux approches

Le film articule deux visions de l’inconscient qui s’opposent et se complètent. D’un côté, l’hypnose ouvre une brèche spectaculaire, une plongée immédiate dans un imaginaire visuel onirique, où surgissent rêves, figures fantomatiques et réminiscences historiques, notamment cette séquence troublante renvoyant à la mémoire collective de la Shoah. Cette approche, presque sensorielle, agit comme une porte entrouverte sur un monde irrationnel, où le refoulé se métamorphose en images flottantes. De l’autre, la psychanalyse, plus verbale, plus lente, s’inscrit dans un temps de l’écoute et de la parole, fidèle aux principes freudiens. Lilian, en tant que thérapeute, oscille entre ces deux pôles, savoir objectif et subjectivité bouleversée. Elle découvre que sa rigidité professionnelle masque une fêlure profonde, et que la parole qu’elle croyait maîtriser devient un terrain mouvant. Rebecca Zlotowski explore cette tension entre une science de l’interprétation et une pratique du rêve, révélant que l’inconscient n’est pas seulement un lieu à visiter, mais une force qui agit, dérange et redistribue les rôles. Ce dialogue entre hypnose et psychanalyse confère au film une dimension vertigineuse, où le spectateur est invité à douter de la frontière entre vérité intérieure et reconstruction fantasmatique.

Là où la psychanalyse s’ancre dans une lente construction du sens, faite de silences, de répétitions et de résistances, l’hypnose agit comme une plongée brutale dans une matière non filtrée, dénuée de toute structure rationnelle. Ce contraste renforce la sensation de déséquilibre intérieur qui traverse Lilian, prise dans un mouvement de perte de contrôle qu’elle ne peut plus contenir par ses seuls outils professionnels. Le film met ainsi en scène un glissement progressif, celui d’une femme qui croyait dominer la parole de l’autre et qui se retrouve confrontée à la violence de sa propre intériorité. Cette dualité entre maîtrise et abandon, entre analyse construite et surgissement primaire, devient le cœur du vertige narratif, révélant combien l’inconscient échappe à toute tentative de domestication. Ce qui aurait dû rester dans l’ordre du symbolique se matérialise, et ce qui relevait de la clinique se teinte d’émotion brute, presque archaïque, dévoilant une profondeur psychique où la frontière entre soin et dérive devient trouble.

Vie privée © George Lechaptois

Un policier éclairé par les théories freudiennes du souvenir et faux souvenirs

L’enquête menée par l’héroïne s’apparente à un polar atypique, nourri par les questionnements freudiens autour du souvenir et de sa fiabilité. Chaque indice, chaque témoignage semble contaminé par la subjectivité de celle qui cherche. La mémoire devient suspecte, oscillant entre reconstruction et illusion. Ce jeu sur les faux souvenirs, sur ce qui a été réellement vécu ou symboliquement transformé, inscrit le film dans une réflexion subtile sur la vérité psychique. Lilian projette sur Paula ses propres manquements, questionne les silences, soupçonne les mensonges, sans jamais pouvoir s’extraire de son implication émotionnelle. Le cadre policier sert alors de révélateur, non pas d’une simple culpabilité extérieure, mais d’un trouble intérieur plus ancien. Le récit épouse la dynamique de la psychanalyse, où toute enquête est aussi une introspection, et où la résolution ne vient pas clore le doute, mais le rendre plus conscient.

Le film donne beaucoup d’importance sur les vies antérieures que l’on découvre durant une séance d’hypnose… Et si finalement ces visions n’étaient qu’une création de notre inconscient qui va chercher à donner du sens à nos insécurités et nos traumatismes ? Il est plus réconfortant de se cacher derrière la somme des erreurs d’une vie passée, que d’accepter que notre propre réalité nous effraie, car elle ne nous suffit pas ou bien fait de nous des gens peu fréquentables.

Ce policier intérieur repose sur une mécanique fragile, où le souvenir n’est jamais une certitude, mais une construction mouvante, modelée par la peur, la culpabilité et le besoin de donner sens à l’insupportable. Chaque fragment de mémoire devient une pièce ambiguë, susceptible d’être déformée, recomposée ou fantasmée, révélant la violence silencieuse des souvenirs écrans. Lilian ne cherche pas seulement une vérité factuelle, elle tente de comprendre ce qui, en elle, refuse d’accepter la version officielle du réel. Cette quête la mène progressivement vers une remise en cause de sa propre posture, de sa légitimité et de son autorité morale. L’enquête se transforme alors en un chemin sinueux où le doute règne en maître, où la vérité semble toujours se dérober derrière une nouvelle strate de perception. Le film questionne ainsi la capacité humaine à se fabriquer des récits protecteurs pour éviter l’effondrement, quitte à confondre conviction personnelle et réalité objective. Ce thriller psychologique devient le miroir d’un esprit en déséquilibre, où le soupçon n’est plus seulement dirigé vers les autres, mais vers soi-même, dans une tentative désespérée de préserver une cohérence intérieure menacée.

Prestation remarquable des acteurs et des actrices.

Jodie Foster incarne Lilian Steiner avec une précision presque chirurgicale, révélant la lutte silencieuse entre intellect et émotion sur son visage. Daniel Auteuil insuffle à Gabriel Haddad une douceur teintée d’ironie, apportant une respiration bienvenue au récit. Virginie Efira, dans le rôle de Paula, irradie malgré une présence fragmentaire, imposant une aura trouble et magnétique. Mathieu Amalric compose un personnage inquiétant, trouble et instable, tandis que Luàna Bajrami impose une justesse fragile. Chaque interprétation participe à cette partition sensible où la parole, le regard et le silence dessinent une musique intérieure.

Vie privée © George Lechaptois

Trois anecdotes autour du film

Le choix de Jodie Foster s’est imposé à Rebecca Zlotowski comme une évidence, la réalisatrice étant fascinée par sa capacité à rendre lisible le trajet d’une pensée sur un visage. Leur première rencontre à Los Angeles s’est transformée en un échange intensif de plusieurs heures, passant le film en revue scène par scène, scellant une confiance artistique rare. Autre singularité, une partie des vêtements portés par Lilian provient directement de la garde-robe personnelle de la réalisatrice, renforçant l’idée d’une porosité entre fiction et intimité. Enfin, la séquence d’hypnose, mêlant images oniriques et références historiques, a été conçue comme une matière artificielle évoquant le rêve et le refoulé, ouvrant une dimension presque secrète dans le récit.

La musique phare du film Vie privée

Psycho Killer marque l’une des premières sorties emblématiques de Talking Heads, groupe new wave né à la fin des années 70, devenu rapidement une référence pour son écriture nerveuse et son sens du malaise stylisé. Le clip nouvellement dévoilé, réalisé par Mike Mills et porté par Saoirse Ronan, adopte une mise en scène très cinématographique, jouant sur la tension intérieure et la dérive psychologique avec une précision presque hypnotique.

La chanson parle d’un esprit instable, prisonnier de son anxiété, de sa paranoïa et de son incapacité à communiquer sincèrement. Elle traduit cette peur diffuse de soi, ce sentiment d’étouffement face à un monde perçu comme hostile, entre pulsion incontrôlable et désarroi intime.

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Note : 5 sur 5.

26 novembre 2025 en salle | 1h 45min | Drame, Policier, Thriller
De Rebecca Zlotowski | 
Par Rebecca Zlotowski, Anne Berest
Avec Jodie Foster, Daniel Auteuil, Virginie Efira


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