Bugonia, le nouveau choc cinématographique de Yorgos Lanthimos porté par Emma Stone


Bugonia sidère par sa satire mordante et son malaise maîtrisé, orchestration glaciale signée Yorgos Lanthimos. Huis clos paranoïaque, critique médiatique et performances habitées composent un choc grotesque et lucide, dérangeant et jubilatoire, qui scrute la peur de l’autre et l’illusion du contrôle jusqu’à l’absurde.

Bugonia s’impose comme une vraie belle surprise, un choc de cinéma aussi dérangeant que jubilatoire, qui confirme la singularité de Yorgos Lanthimos. Après un premier retournement déjà marquant cette année, cette œuvre pousse encore plus loin l’art du malaise contrôlé et de la tension absurde. Tout y est saisissant, du jeu d’acteur à la photographie en passant par la construction d’un univers oppressant, où la critique sociale surgit avec une précision chirurgicale. Cette satire féroce flirte avec une démesure presque burtonienne, rappelant par instants l’ironie mordante de Mars Attacks! dans sa conclusion. On assiste à un spectacle radical, à la fois grotesque et inquiétant, qui questionne nos croyances, nos peurs, et notre rapport au réel sans jamais chercher à rassurer.

Dans Bugonia, Michelle, PDG d’un géant pharmaceutique, est kidnappée par deux cousins persuadés qu’elle est une extraterrestre venue anéantir l’humanité. Teddy, meneur instable nourri par le dark web, entraîne Don dans cette mission absurde, oscillant entre fanatisme et détresse intime. Enfermée dans un sous-sol devenu laboratoire de fantasmes paranoïaques, Michelle incarne une figure de pouvoir glaciale qui, peu à peu, révèle une humanité plus complexe. Don, âme sensible et boussole morale du récit, doute face à la violence infligée, tandis que Theodore s’enfonce dans ses certitudes. Cette relation triangulaire devient le cœur d’un huis clos tendu, où chacun projette ses peurs, ses failles et sa vision déformée du monde.

Un monde dirigé par les médias, les apparences et la peur de l’autre

Le film expose une société prisonnière de ses écrans, de ses flux d’informations et de ses vérités alternatives. En plaçant l’action dans un espace clos, presque clinique, Yorgos Lanthimos construit un microcosme qui devient le miroir grossissant de notre époque. Ici, les idées se fabriquent dans des bulles numériques, où la défiance envers les élites et les institutions nourrit une spirale obsessionnelle. Teddy incarne cette dérive contemporaine, celle d’individus qui, se sentant invisibilisés et rejetés par le système, cherchent un sens dans la théorie du complot. Sa peur de l’autre, attisée par une lecture déformée du monde, transforme Michelle en symbole à abattre, non plus une femme, mais une menace fantasmée.

Ce glissement révèle l’impact des médias et de la désinformation, capables de redessiner la réalité au point de justifier l’impensable. Le discours idéologique devient un refuge, une arme, parfois une religion. Don, plus fragile, plus lucide, incarne le spectateur face à ce chaos de perceptions, pris entre loyauté et conscience morale. La mise en scène insiste sur cette perte de repères, laissant apparaître une humanité qui doute, qui se radicalise et qui s’enferme dans ses propres convictions. En scrutant ces comportements, le film interroge la facilité avec laquelle la peur envahit l’espace intime et transforme l’altérité en ennemi.

Une satire de la société moderne et américaine

Bugonia se dresse comme une satire acerbe de l’Amérique contemporaine, rongée par la paranoïa, la défiance et la fragmentation sociale. Le réalisateur pointe une civilisation qui prétend maîtriser le progrès, mais s’abandonne à une panique collective, nourrie par la crise écologique, la désinformation et la perte de repères. Le film détourne les codes du thriller pour révéler une absurdité tragique, où le grotesque côtoie une lucidité glaciale. Les références à une apocalypse imminente, à la disparition des abeilles et à un monde en dérive soulignent l’angoisse diffuse qui traverse les consciences.

À travers cette fable dérangeante, le cinéaste observe une société qui fabrique ses monstres, ses héros autoproclamés et ses figures sacrificielles. Michelle devient le symbole d’un pouvoir froid, fantasmatique, tandis que Teddy cristallise la colère d’une population en quête de repères. L’humour noir, profondément surréaliste, renforce cette critique, transformant chaque scène en réflexion sur la manipulation, l’endoctrinement et l’illusion de contrôle. Le film refuse toute morale simple, préférant exposer la complexité d’un monde qui se regarde sombrer, fasciné par son propre chaos.

Mention spéciale pour la prestation des acteurs-actrices

Emma Stone livre une performance saisissante, oscillant entre froideur autoritaire et vulnérabilité contenue, incarnant une Michelle paradoxale, à la fois figure de domination et femme en souffrance. Jesse Plemons compose un Teddy troublant, à la frontière du pathétique et du terrifiant, traduisant avec justesse la dérive mentale de son personnage. Quant à Aidan Delbis, il insuffle à Don une sincérité touchante, faisant de lui le cœur émotionnel du récit. L’alchimie entre ces interprétations porte le film, donnant à chaque regard une intensité rare, et renforçant la portée dérangeante de cette œuvre singulière.

Le saviez-vous ? Trois points à connaitre pour comprendre mieux le film

Une origine inattendue venue du cinéma coréen

Le point de départ de Bugonia ne sort pas de nulle part. Le scénario de Will Tracy trouve ses racines dans Save the Green Planet de Jang Joon Hwan, une œuvre culte de science-fiction coréenne conseillée par Ari Aster. Cette filiation n’est pas anodine. Elle inscrit le film dans une tradition de récits décalés où le grotesque et le tragique se mêlent pour questionner la société. L’écriture a également été façonnée par le climat anxiogène du confinement et de la pandémie, donnant à l’ensemble une tonalité presque claustrophobe, marquée par le doute, la peur du monde extérieur et une sensation d’urgence existentielle.

Un travail sonore pensé comme un personnage à part entière

Le film a été tourné en VistaVision, choix rare qui renforce la sensation de grandeur et de vertige. À cela s’ajoute la musique de Jerskin Fendrix, enregistrée avec un orchestre de 90 musiciens, conçue pour traduire la colère intérieure de Teddy et amplifier la dimension apocalyptique du récit. La bande sonore ne se contente pas d’accompagner les images, elle les prolonge, les heurte parfois, et participe pleinement à la montée de tension, jusqu’à devenir un véritable vecteur émotionnel.

Le passé trouble de Teddy, clé de sa dérive

Teddy n’est pas seulement un extrémiste paranoïaque. Son histoire est marquée par une mère plongée dans le coma après un essai clinique aux opioïdes, un traumatisme fondateur qui nourrit sa colère et son sentiment d’abandon. Cette blessure intime éclaire sa radicalisation, son besoin de trouver un ennemi, et sa quête désespérée de sens dans un monde qu’il perçoit comme indifférent et cruel. Une dimension plus humaine, presque tragique, qui complexifie fortement la lecture du personnage.

Credit photo © Focus Features

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Note : 5 sur 5.

26 novembre 2025 en salle | 1h 59min | Science Fiction
De Yorgos Lanthimos | 
Par Will Tracy
Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Alicia Silverstone


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