Franz K explore l’intériorité de Franz Kafka avec une approche sensorielle portée par Idan Weiss, Jenovéfa Boková et Katharina Stark. Agnieszka Holland signe un portrait kaléidoscopique où fragments, émotions et souvenirs dévoilent un auteur insaisissable et profondément moderne.
Agnieszka Holland revient avec Franz K, un film qui explore l’existence tourmentée de Franz Kafka à travers une matière intérieure qui oscille entre lucidité et vertige. Dès les premières images, le film s’éloigne des sentiers attendus pour chercher un homme plutôt qu’une icône. Il embrasse des fragments de vie, des éclats de sensations, des instants où l’écrivain se débat entre son désir d’une vie simple et l’appel irrésistible de l’écriture. Ce portrait sensible éclaire un être déchiré entre un quotidien qui lui échappe et un imaginaire qui le consume.
Un Franz Kafka fragile et sensible
Franz Kafka, interprété avec une intensité rare par Idan Weiss, traverse le récit comme une présence fragile et brûlante à la fois. Le film observe son parcours depuis son enfance à Prague jusqu’à ses derniers jours à Vienne. Il met en scène les forces qui le poussent et l’entravent, qu’elles soient familiales, sociales ou sentimentales. Les relations amoureuses de Franz deviennent des espaces de tension où il cherche un ancrage qu’il ne trouve jamais complètement. Jenovéfa Boková incarne Milena Jesenská, femme libre qui lit Franz avec une précision bouleversante. Elle devient un miroir lucide, capable de comprendre sa différence et d’y répondre sans détours. Katharina Stark prête une délicatesse étrange à Ottla Kafka, figure essentielle de stabilité, présence douce qui accompagne, protège et éclaire une sensibilité constamment en déséquilibre. Autour d’eux, la famille, les amis et les collègues dessinent un monde parfois hostile, parfois bienveillant, mais toujours incapable de saisir la profondeur intérieure d’un homme dont chaque perception semble amplifier le réel.
NOTRE AVIS en quelques mots
FRANZ K ne prend pas le même chemin de poésie que celui sorti plus tôt, Kafka, le dernier été. Ici, nous sommes dans une forme d’imagerie entre empirisme et traduction sensorielle du monde intérieur de Kafka. Idan Weiss est incroyable dans le rôle de Franz Kafka, Jenovéfa Boková dans le rôle de Milena, la discrète Katharina Stark apporte une nuance étrange dans l’univers de l’auteur, entre confidente et écho à un monde indescriptible. Le film s’aventure dans une mise en scène où la subjectivité devient un langage, nourri de visions fragmentées, d’émotions éclatées et d’une texture presque tactile qui immerge totalement le spectateur. Cette approche exigeante, renforcée par une narration kaléidoscopique, privilégie la sensation plutôt que l’explication. Cette audace crée un lien intime avec un auteur qui échappe naturellement à toute tentative de simplification. Le résultat est déroutant, envoûtant et profondément respectueux de cette sensibilité atypique.

Un auteur dont on n’a jamais eu le mode d’emploi
Agnieszka Holland ne cherche jamais à expliquer Franz Kafka. Elle tente plutôt de l’approcher par fragments, comme si seule une forme éclatée pouvait rendre justice à un homme dont la pensée était elle-même dispersée, dense et insaisissable. Le film adopte une narration non linéaire qui épouse ce mouvement intérieur. Il refuse le récit classique où chaque événement entraînerait une conséquence claire, car la vie de Franz n’a jamais fonctionné ainsi. Son rapport à la famille, en particulier à son père, traverse le film comme une blessure constante.
La Lettre au père, longue déchirure de mots jamais vraiment entendus, devient un spectre silencieux qui façonne chaque choix. Sa relation avec sa mère et ses sœurs dessine un environnement affectif ambigu où seule Ottla offre un repère véritable. Le film rappelle aussi que Franz était obsédé par le poids des mots. Il écrivait avec une précision presque métaphysique. Chaque phrase portait un impact que lui-même percevait comme absolu. Cette exigence donne au film une matière documentaire tout en conservant une liberté narrative. L’irruption du présent, avec les guides de musée qui réduisent Kafka à un objet touristique, montre à quel point on tente encore de le saisir, de le résumer, de le manipuler. Franz apparaît alors comme un observateur qui regarde ce que le monde fait de lui. Le film rappelle aussi la modernité de son profil, marqué par une forme de neuroatypie que son époque ne pouvait pas nommer.
En regardant ce film, on comprend mieux comment cet auteur dans La Métamorphose arrivait à si bien écrire sur les sensations au point qu’on a fait de ce livre une référence en littérature et aussi en philosophie. Le film montre à quel point Franz Kafka percevait le monde avec une acuité presque douloureuse, comme si chaque détail se déposait en lui avec une intensité démesurée. Cette manière de ressentir les choses, ce mélange de lucidité et de vertige, devient une clé pour saisir la puissance de son écriture. On perçoit que chez lui la sensation n’était pas un simple outil narratif, mais un état qui façonnait sa manière d’exister, une présence constante qui dictait sa façon de regarder les êtres et les situations. En suivant les fragments de son quotidien, on comprend comment un geste, un souffle, une lumière ou une brusque émotion pouvaient devenir des éléments centraux et nourrir ensuite ses récits. Le film rappelle aussi qu’il ne séparait jamais le corps de l’esprit, que tout passait par une traduction intime des mouvements, des peurs, des élans et des contradictions. Cette manière d’habiter le réel, toujours en décalage, mais toujours sincère, explique pourquoi La Métamorphose résonne encore avec autant de force. Derrière le fantastique, il y a cette sensibilité extrême qui rend chaque scène profondément organique et chaque réaction étrangement familière.

Une œuvre sensorielle, un auteur à la croisée de l’empirisme et du roman phénoménologique (en épistémologie, on emploie ce terme pour désigner une œuvre qui traite de la perception, de l’expérience vécue, du corps et du monde en tant que phénomènes.). On ressort de cette œuvre en comprenant que Kafka ne cherchait pas à créer un symbole, mais à traduire un état intérieur. Et c’est justement cette fidélité à la sensation, qui fait de lui un auteur essentiel. Il a étudié autant pour ce qu’il raconte que pour la manière dont il donne corps à l’angoisse, au doute et à la fragilité humaine.
Cette lecture du film et de ses écrits donne un nouveau relief à son rapport aux sensations, aux structures, aux corps. Enfin, le choix d’une imagerie nourrie par l’expressionnisme sans céder à la caricature révèle un artiste dont l’univers ne peut être approché que par des gestes précis, des mouvements incertains et une dose assumée d’obscurité. Franz K devient ainsi une tentative honnête de toucher un homme sans jamais prétendre le posséder. Et si finalement le mode d’emploi pour comprendre Kafka était ses écrits et non sa correspondance, lire ses mots et sentir son mal-être dans un monde qui l’agresse. Ses textes deviennent alors la seule carte possible, un miroir brut où sa lucidité, sa fragilité et sa manière unique de percevoir le réel se dévoilent sans filtre.
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19 novembre 2025 en salle | 2h 07min | Biopic, Drame
De Agnieszka Holland |
Par Marek Epstein, Agnieszka Holland
Avec Idan Weiss, Peter Kurth, Carol Schuler
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Une réflexion sur “Franz K – le film le plus sensoriel de l’année”