Avec Des Preuves d’amour, Alice Douard signe un drame sensible sur l’attente, l’adoption et la quête de légitimité. Céline affronte le regard des autres, les doutes et la loi pour devenir mère. Un film intime, vibrant, où chaque geste révèle l’invisible qui précède la naissance.
Adopter, c’est accueillir un enfant sans avoir traversé la grossesse, et pourtant ressentir chaque vibration de cette attente silencieuse. Des Preuves d’amour explore cette zone fragile, cet entre-deux où l’on se prépare à devenir parent sans en avoir les signes visibles. Alice Douard filme cet apprentissage intime où chaque geste, chaque regard et chaque doute prend une valeur immense. Le film révèle aussi combien la parentalité est faite de questions, de peurs anciennes, de projections, et de cette volonté farouche de trouver sa place auprès d’un enfant à venir.
Devenir mère sans l’avoir porté
Céline attend un enfant qui ne grandit pas dans son ventre, mais dans celui de Nadia, sa femme. Cette situation n’enlève rien à la force de son désir d’être mère, pourtant elle la place constamment sous l’œil des autres, celui de la famille, des amis et du cadre légal qui exige des « preuves » de son engagement. Ella Rumpf incarne une Céline traversée par l’inquiétude, la patience, la tendresse retenue. Elle avance avec une intensité qui dit tout de la difficulté de se sentir légitime quand la loi, les habitudes ou les discours dominants vous placent de côté. Nadia, jouée par Monia Chokri, apporte une énergie solaire qui contraste avec la tension intérieure de Céline.
Leur duo fonctionne par complémentarité, l’une absorbant, l’autre projetant, comme deux façons parallèles d’habiter l’attente. Autour d’elles gravitent des témoins et des proches qui renvoient chacun un miroir différent de la parentalité. Cette galerie de personnages, portée entre autres par Noémie Lvovsky dans le rôle de Marguerite, amplifie la question centrale du film : comment construit-on sa place quand rien, ni la biologie ni le droit, ne vous la donne d’emblée ?
Le choix d’aimer quelqu’un et de le faire rentrer dans sa vie
Quelqu’un a dit qu’adopter c’est faire le choix d’aimer quelqu’un et de le faire entrer dans sa vie. C’est un choix, un risque et un pari sur l’avenir. Des Preuves d’amour montre ces silences et ces doutes que tout parent vivra, du moins ce parent qui accompagne la maternité, celui qui doit trouver sa place dans une homéostasie supernaturelle entre un enfant et une mère. Le film regorge de plusieurs lieux communs sur les peurs de la parentalité, la peur de ne pas aimer ou de trop aimer. Finalement, quand l’enfant est là, on fait avec et on doit apprendre sur le tas. On trouve des solutions, car nous n’avons plus le choix !
Ella Rumpf est explosive et vertigineuse dans son incarnation des craintes et des appréhensions. Elle rappelle combien devenir parent conjugue cette conciliation difficile entre les peurs d’enfants, de ses désirs et des frustrations. Dans l’absolu, on veut devenir des parents modèles ou du moins faire le job. Cependant, le plus compliqué finalement est de savoir trouver sa place entre une mère et un enfant ; raison de plus quand nous sommes ce second parent du même sexe, – juridiquement la vraie mère demeure celle qui a porté –, mais les parents ne sont-ils pas ceux qui aiment et accompagnent l’enfant ? Alice Douard dans son film documente à sa manière le long chemin de la parentalité, de la grossesse à l’accouchement, laissant en suspens le long combat pour l’adoption.
La construction d’un récit entre juridique et psychologie
La cinéaste construit un récit où la procédure d’adoption devient un parcours initiatique, une traversée intérieure autant qu’un enjeu légal. Céline doit rassembler quinze témoignages qui prouvent qu’elle désire et qu’elle saura accueillir cet enfant. Cette règle administrative pourrait n’être qu’un élément de contexte, mais la réalisatrice en fait un moteur dramatique. Chaque rencontre, chaque parole prononcée par les témoins ouvre une zone sensible où se dévoile ce que signifie « vouloir être parent » quand la loi ne vous reconnaît pas immédiatement. La psychologie de la protagoniste se tisse dans ces échanges, car chaque témoignage lui renvoie une part de ses fragilités, un souvenir, une faille ou une attente. La quête juridique devient alors un miroir tendu à son propre désir.
Le film parvient à articuler cette tension entre cadre légal et intériorité sans jamais sacrifier la nuance. Le droit n’est pas seulement un obstacle, il devient une matière dramatique qui oblige Céline à se dire, à se penser et à se montrer autrement. Dans cette dynamique, Ella Rumpf incarne la difficulté d’exister dans un vide symbolique où aucun modèle n’existe encore. Le récit montre comment la lente accumulation des preuves conduit paradoxalement à un dépouillement. Au lieu d’affirmer son autorité, elle se voit contrainte de questionner ses peurs, ses blessures anciennes, et cette impression constante d’être un pas derrière la mère biologique.
Cette tension est renforcée par l’avancée de la grossesse. Plus le terme approche, plus la procédure semble désincarnée, et plus l’attente devient charnelle et vertigineuse pour Céline. La justice demande des documents, mais la vie, elle, lui demande une métamorphose. C’est là que le film trouve sa force : dans cette superposition entre la logique froide de l’administration et l’aube fiévreuse d’un attachement qui ne dit pas encore son nom. Le récit juridique devient une dramaturgie intime, une manière de montrer qu’on ne devient pas parent en signant des formulaires, mais en affrontant tout ce que la grossesse, même vécue de l’extérieur, réveille et bouleverse.
La figure de la mère à travers trois femmes clés et les amis
La question de la mère se déploie dans le film à travers trois présences essentielles : Céline, Nadia et Marguerite. Chacune incarne une variation de la maternité, un rapport distinct au corps, au désir et à la responsabilité. Céline porte l’amour sans porter l’enfant, ce qui la place dans une position paradoxale où l’intensité affective précède la reconnaissance légale. Nadia vit la grossesse dans sa dimension physique, avec un mélange de force et de vulnérabilité. Elle est l’ancrage du couple, celle qui avance en confiance, même lorsque Céline doute d’elle-même. Marguerite, elle, est la mère qui a privilégié sa carrière, une femme qui questionne par sa simple présence les héritages invisibles que l’on transmet malgré soi.

Alice Douard orchestre entre ces trois figures une circulation émotionnelle qui éclaire la complexité de faire famille. Marguerite représente ce parent qui a laissé des traces par ses absences, mais aussi par les dons silencieux : la musique, l’exigence, la liberté. Son héroïne se reconstruit en prenant appui sur cette ambivalence. Nadia, au contraire, porte une énergie plus directe, plus solaire. Ensemble, elles dessinent trois façons d’habiter la maternité, trois façons d’aimer avec des angles différents.
Autour d’elles, les amis et les témoins ajoutent une couche supplémentaire, parfois tendre, parfois intrusive. Chacun croit savoir ce qu’est être une « bonne mère », chacun projette une vision héritée de son histoire ou de sa sensibilité. Ces voix extérieures, parfois maladroites, parfois lumineuses, révèlent le poids des normes et des injonctions. Elles montrent aussi que la parentalité n’existe jamais seule, qu’elle se construit dans un réseau de regards, de soutiens, de maladresses et d’éclairages multiples. Le film rend palpable cette polyphonie en laissant chaque personnage apporter son fragment de vérité.
La figure maternelle n’est jamais figée. Elle traverse le corps de Nadia, les doutes de Céline, les cicatrices de Marguerite et les projections de tout un entourage. C’est ce maillage qui donne au film sa profondeur, cette manière de montrer que devenir parent, c’est accepter de composer avec ce que l’on reçoit, ce que l’on rejette, et ce que l’on réinvente. Le plus difficile est de faire face à ce monde en face : ces gens qui jugent et dévalorise son rôle dans la maternité.
L’art de filmer l’invisible et l’indescriptible
Ici, la réalisatrice filme ce que le cinéma montre rarement : l’attente intérieure, les doutes qui n’ont pas de mots, les vibrations d’un lien qui se forme avant même la naissance. La réalisatrice choisit de suivre Céline au plus près, de capter les mouvements infimes de son visage, ses respirations, la verticalité de son corps en marche. Avec Jacques Girault, elle travaille une image qui épouse l’état d’âme plutôt que l’action. Les références assumées, de Terminator 2 à Elephant, servent de jalons discrets pour comprendre la manière dont elle construit une tension intérieure sans recours au spectaculaire. Les optiques anamorphiques donnent aux regards une épaisseur qui transforme chaque silence en espace émotionnel.
Le choix du hors-champ est fondamental dans cette mise en scène. L’accouchement n’est pas montré. Ce qui importe, c’est l’instant juste après, ce moment où tout bascule sans jamais être surligné. La réalisatrice refuse l’illustration, elle préfère le tremblement, le frémissement, l’ombre. L’archive sonore qui ouvre le film, le vote du « mariage pour tous », pose un cadre historique sans détourner l’attention du cœur du récit. Ce son devient une matière mémorielle et affective qui dialogue avec l’intimité des personnages.

La lumière et les déplacements participent de cette volonté de filmer ce qui ne se voit pas. Céline semble toujours en mouvement, comme si l’immobilité menaçait de révéler une faille trop intime. La caméra la suit, mais ne la harcèle jamais. Elle trouve cette « juste distance » dont parle Alice Douard, une distance qui permet l’identification sans voyeurisme. Les scènes sensuelles entre Céline et Nadia s’inscrivent dans cette logique : elles suggèrent, elles respirent, elles s’éteignent dans un fondu. L’indescriptible désir de devenir mère se construit ainsi dans les interstices.
Le film devient alors un geste de cinéma rare, un geste qui refuse de tout montrer pour mieux laisser exister ce qui échappe. Des Preuves d’amour filme l’invisible dans les regards, l’indicible dans les silences, et cette part secrète de la parentalité qui ne se mesure ni en lois ni en preuves. C’est une mise en scène qui fait confiance au spectateur, qui lui offre un espace de projection et d’écoute, comme si elle ouvrait la porte à ce que chacun a vécu ou rêvé autour de la naissance.
___________
19 novembre 2025 en salle | 1h 37min | Comédie dramatique
De Alice Douard |
Par Alice Douard
Avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémie Lvovsky
En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.


Une réflexion sur “Des preuves d’amour, Alice Douard dévoile l’intime et le long combat de l’adoption”