Trans Memoria, un récit intime sur la transition, la mémoire et le besoin d’être aimé


Un portrait intime et vibrant où Trans Memoria suit Victoria Verseau, Athena et Aamina dans une quête de vérité, de mémoire et d’identité. Entre deuil, transition et désir d’être aimé, le film révèle la lutte profonde pour exister comme soi, loin des clichés et des récits simplifiés.

Dans Trans Memoria, Victoria Verseau remonte le fil de son histoire pour comprendre ce qui la construit comme femme et affronter la disparition de Meril. Le film devient un espace de vérité où se mêlent douleur, mémoire et reconstruction. En suivant Athena et Aamina, encore au début de leur transition, la réalisatrice compose un portrait intime de la lutte pour exister, dans un monde où la quête d’identité ne cesse de se heurter au silence et au manque de réponses.


Exister comme on se sent être

Trans Memoria s’impose d’abord comme un récit intérieur. La réalisatrice retourne sur les lieux de son opération et du deuil de Meril, cherchant dans ces ruines thaïlandaises des fragments de ce qu’elle a été. Son geste est simple, presque instinctif, celui d’une femme qui veut comprendre comment elle est devenue elle-même. Le film entrelace images d’archives, souvenirs reconstruits et discussions avec Athena et Aamina, qui avancent à leur tour sur ce terrain fragile. Elles se confrontent à la question de savoir si l’on peut vraiment exister comme on se sent être, quand le corps, la société et la mémoire ne suivent pas toujours la même direction.

Victoria évoque la transition sans détours, avec ses changements physiques, ses douleurs, sa lente réappropriation du corps. Elle montre ce qui est souvent tu, comme la pratique quotidienne de la dilatation ou la violence des suites opératoires. Mais là où tant de récits se contentent d’un discours militant ou spectaculaire, elle cherche davantage. Elle interroge le sens d’une existence qui ne tient qu’à force de volonté, et ce vertige qui surgit lorsque l’objectif est enfin atteint. Après la transition, dit-elle, un vide immense s’ouvre, car disparaît aussi la lutte qui la définissait.

Ce questionnement s’étend aux deux jeunes femmes qui l’accompagnent. Athena et Aamina ne sont pas filmées comme des symboles, mais comme des individus en pleine construction, parfois en désaccord avec la réalisatrice. Leurs doutes, leurs tensions, leurs phases de retrait deviennent partie intégrante du processus. Le film révèle alors l’essence même de la transition, un état mouvant, incertain, traversé de contradictions. Exister comme on se sent être n’est pas une destination, mais un mouvement permanent, fait de renoncements, d’espoir et d’une quête obstinée de cohérence.


Un parcours de vie, un portrait singulier et pourtant universel

Ce qui frappe dans Trans Memoria, c’est la manière dont une histoire profondément personnelle devient un miroir pour tous. Victoria ne cherche pas à représenter toute la transidentité, elle raconte simplement son parcours, sa relation avec Meril et cette douleur qui ne la quitte pas. Pourtant, dans cette intimité surgit quelque chose de plus vaste. Le film parle d’identité, mais aussi de perte, de mémoire et de cette nécessité d’être vu pour ce que l’on est vraiment. Le combat pour être accepté se mêle au besoin fondamental d’être aimé, un besoin partagé par chacun de nous, indépendamment du genre.

Le film n’idéalise rien. Il montre la solitude, les périodes où faire son lit devient une montagne, la façon dont le désordre physique se met à refléter l’obscurité intérieure. Il montre aussi la peur de disparaître, cette inquiétude qui ronge lorsque l’on avance sans garantie que les autres sauront comprendre. Pourtant, malgré la dureté, l’œuvre ne tombe jamais dans le larmoyant. Le regard de Victoria reste droit, pudique, presque tendre. Elle filme les lieux qui l’ont façonnée comme des personnages silencieux, habités par une présence qui persiste même quand tout s’effondre. Elle filme le temps qui passe, les traces qui s’effacent, les souvenirs qui s’altèrent mais continuent de construire qui l’on devient.

Athena et Aamina trouvent, elles aussi, leur place dans ce portrait. Elles apportent une vision différente de la transition, parfois critique, parfois incertaine, mais toujours authentique. Leur parcours croise celui de Victoria comme un rappel que chaque histoire est unique et que l’existence n’a rien d’un chemin linéaire. Le film montre alors que l’envie d’être heureux, accepté et aimé est une quête universelle, que l’on soit trans ou non. C’est là que Trans Memoria touche si juste, en révélant que la lutte pour être soi n’est jamais isolée. Elle fait partie du mouvement plus large de toute vie humaine, cette recherche obstinée d’un lieu où l’on peut enfin respirer, exister et être aimé pour ce que l’on est.

Le journal intime de la trans identité et du combat au quotidien pour être femme

Le film rappelle combien une transition n’est pas simple aussi bien sur le plan psychologique, physique, physiologique… Mais aussi ce combat de tous les jours qui perdurera.
On parle souvent des opérations pour devenir un homme très compliqué avec des pompes à utiliser au quotidien… Mais personne ne parle jamais des obligations de pratiquer des stimulations et dilatation chez ces femmes trans.

Un parcours de vie intéressant, car authentique, sans jamais tomber dans le pathos et la surenchère. Nous sommes comme des témoins silencieux dans une lutte interminable pour essayer d’être heureux dans son corps et surtout être aimé ! 
Comme une dissertation pour répondre à cette fameuse question « Qui a envie d’être aimé » (2011,Anne Giafferi), à laquelle tout le monde se cache ou lève timidement le doigt. Réalistement, lorsque nous sommes seuls, quand il n’y a plus personne autour, jaillit ce besoin des autres et aussi du sentiment d’être aimé pour qui l’on est !  Ce n’est plus une question de genre, mais une question existentielle ici, une question de survie dans un monde de plus en plus désolidarisant pour nous mener à une solitude étouffante. 

Là où le souvenir devient un lieu, un geste artistique et une présence qui persiste

Dans ce film, les lieux deviennent une mémoire vivante. Victoria Verseau retourne dans cette ville thaïlandaise isolée où elle et Meril ont traversé leur convalescence, un espace suspendu qui semble s’être figé avec elles. L’hôtel silencieux, aujourd’hui fermé, le centre commercial effondré où elles avaient acheté leurs premiers bikinis, les chemins de terre censés mener à l’océan, mais qui s’ouvrent sur un terrain boueux, tout participe d’une géographie du souvenir. Ces lieux ne sont pas de simples décors, ils sont les témoins d’une histoire que le temps a abîmée et que la réalisatrice tente de raviver. Ce geste résonne d’autant plus fort que Meril n’a laissé aucune trace, ni tombe, ni espace pour le deuil. Le film devient alors ce monument manquant, un lieu symbolique où sa présence subsiste malgré l’effacement.

Cette approche mémorielle nourrit aussi la forme du film. Victoria mélange fiction et documentaire, reconstructions stylisées et images tremblées, tableaux hyper cadrés et fragments numériques brutaux, comme si sa mémoire ne pouvait se dire qu’en glissant d’un langage à l’autre. Athena et Aamina traversent ce processus avec elle, parfois comme partenaires, parfois comme critiques, jusqu’à ce qu’Aamina décide de se retirer, refusant une vision qui ne lui semblait plus juste. Leur présence, leurs ruptures et leurs doutes structurent le récit, rappelant que trois femmes, trois transitions et trois sensibilités cohabitent dans ce même geste artistique. La scène finale, tournée en 2023, cristallise cette évolution. Prévue comme une chorégraphie de couleurs, elle se transforme en pluie de confettis emportés par le vent, un chaos involontaire, mais profondément humain. Ce moment, à la fois drôle, tendre et imparfait, répond à une phrase prononcée plus tôt dans le film : « peut-être trouverons-nous de l’espoir à la fin ». Il scelle l’idée que la transition, comme le deuil, n’a pas de clôture nette. On continue simplement à avancer, à respirer, à vivre.

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Note : 3 sur 5.

19 novembre 2025 en salle | 1h 12min | Documentaire
De Victoria Verseau


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