Avec Dossier 137, Dominik Moll plonge au cœur de l’IGPN et signe un thriller social tendu où Léa Drucker livre une performance magistrale. Entre vérité, pression institutionnelle et fractures françaises, le film dévoile la mécanique complexe d’une enquête qui bouscule toutes les certitudes.
Un film prenant, l’intensité du jeu, du montage. Et cette immersion de l’IGPN nous offre l’occasion de découvrir la police des polices. Léa Drucker est ici dans son rôle le plus intense à ce jour !
Avec Dossier 137, Dominik Moll reprend son regard précis sur les zones d’ombre de notre société pour suivre Stéphanie Bertrand, enquêtrice à l’IGPN, plongée dans une affaire qui dépasse vite le cadre froid d’une procédure. Un jeune manifestant a été gravement blessé lors d’une soirée de tensions et la responsabilité d’un tir doit être établie. Ce travail, qu’elle aborde d’abord avec la rigueur qu’impose sa fonction, se trouble lorsqu’un détail personnel fait vaciller son point de vue. En observant cette policière naviguer entre exigence professionnelle, pression institutionnelle et questionnements intimes, le récit interroge la façon dont on cherche la vérité dans un pays traversé par des fractures profondes.
Tout le monde est sous le radar des enquêtes
Stéphanie Bertrand, interprétée par Léa Drucker, est une enquêtrice méthodique de l’IGPN. Elle reçoit le dossier 137, affaire en apparence ordinaire, liée à un jeune manifestant grièvement blessé lors d’une manifestation agitée. Avec Benoît Guérini, Carole Delarue et toute son équipe, elle doit interroger des policiers, analyser des images et naviguer parmi des versions parfois contradictoires. Lorsque Stéphanie découvre que la victime, Guillaume Girard, vient de la ville où elle a grandi, une tension intime s’installe entre ce qu’elle doit faire et ce qu’elle ressent. Autour d’elle gravitent aussi Joëlle Girard, mère digne et meurtrie, Alicia Mady, témoin clé, ainsi que Victor, le fils de Stéphanie, qui lui renvoie une image troublante de son métier. Chaque personnage révèle une part des fractures françaises, celles d’un pays où la défiance et la lassitude s’entrechoquent. Autour d’elle, ses collègues apportent un mélange de solidarité, de doutes et de petites failles intimes qui rendent le groupe crédible. La famille Girard, elle, incarne une France blessée, mais encore debout.
Immersion dans la police des polices
Dossier 137 s’appuie sur une immersion réelle du réalisateur au sein de l’IGPN, rendue possible par l’ouverture d’esprit de sa nouvelle direction. Le réalisateur découvre alors un service bien différent de l’image souvent caricaturale qui circule. Les femmes et les hommes qu’il observe sont des policiers qui enquêtent sur d’autres policiers, et cette position inconfortable les place entre défiance extérieure et méfiance intérieure. Ils sont critiqués par une partie de leurs collègues, qui les voient comme un service capable de mettre en danger des carrières, et parfois bousculés par des médias qui les accusent d’être juge et partie.
Le film montre ce que le réalisateur a constaté au quotidien, un service où l’on traite des affaires sensibles, notamment celles liées au maintien de l’ordre. Ces dossiers génèrent les tensions les plus vives, car ils renvoient à la place de la police dans une démocratie secouée par des crises successives. Les enquêteurs interrogés disent très clairement qu’ils n’ont aucune difficulté à travailler sur les affaires de corruption ou de probité, car la faute y est clairement identifiable. Les dossiers liés aux manifestations sont plus complexes, car ils connaissent le terrain, ses contraintes, sa fatigue et ses injonctions contradictoires.
Dans le film, cette réalité apparaît dans les auditions menées par Stéphanie et ses collègues, dans les doutes qu’ils portent et dans la précision de la procédure. Les vidéos deviennent l’outil principal. Elles sont scrutées image par image pour reconstituer le fil de l’évènement, malgré leur qualité médiocre, leur caractère fragmentaire et les interprétations qu’elles suscitent. C’est une part essentielle de leur travail, long, répétitif, minutieux. Cette démarche nourrit le rythme du film, construisant peu à peu une mécanique où la vérité se faufile entre des récits opposés.
Le point de vue devient central. Stéphanie découvre que la victime vient de Saint Dizier, sa propre ville. Ce détail, en apparence mineur, agit comme un grain de sable dans la rigueur qu’elle s’impose. Le film interroge alors la question du regard, la frontière entre empathie et distance professionnelle, et la difficulté de maintenir une neutralité parfaite quand l’enquête touche des lieux, des vies et des origines qui nous rappellent notre propre histoire.
Préparation du film et origine de l’idée
Dominik Moll prépare le film après l’immense écho de La Nuit du 12. Porté par l’envie d’explorer un autre versant de l’institution policière, il s’intéresse à l’IGPN, service peu représenté au cinéma. L’ouverture exceptionnelle de la direction lui permet une immersion rare, où il peut observer les méthodes, les tensions du métier, les interrogations morales et le poids administratif que portent les enquêteurs. Cette expérience fonde l’authenticité du film, pour lequel il collecte aussi des témoignages et des récits liés aux premières manifestations des Gilets jaunes en 2018.
Le récit prend ses racines dans plusieurs affaires réelles, sans jamais en reproduire une seule. Le réalisateur s’inspire notamment des blessures graves infligées à des manifestants qui découvraient la capitale pour la première fois, souvent depuis des territoires oubliés par l’Etat. Ces histoires nourrissent la famille Girard, venue protester pour défendre les services publics et confrontée à un drame brutal. Le cinéaste voit dans ce contexte une manière de raconter la France fracturée, le décalage entre Paris et les régions, et le sentiment d’abandon ressenti dans de nombreuses villes ouvrières.
L’écriture, menée avec Gilles Marchand, repose sur l’idée que l’enquête doit être vue à travers les yeux de Stéphanie. Cette orientation donne au film son intensité. Chaque audition, chaque silence, chaque variation de ton raconte l’évolution de cette femme confrontée à ses propres repères. Les auteurs travaillent aussi sur la langue procédurale, dont la froideur devient paradoxalement poétique. Le montage intègre dès le scénario des séquences elliptiques qui traduisent la répétition du travail, ses longueurs, ses contradictions, ses révélations progressives.

Un film comme Dossier 137 rappelle une vérité essentielle, celle que l’on a parfois tendance à oublier dès que les tensions montent, que les manifestations s’enchaînent et que la colère brouille tout. Ce récit montre que la police n’est pas au-dessus des lois, et qu’il existe au cœur même de l’institution un service chargé de regarder les siens droit dans les yeux, de questionner leurs actes et de répondre à la nécessité d’une justice égale pour tous.
Ce n’est pas un discours, c’est une mécanique bien réelle, portée par des femmes et des hommes souvent isolés, mal compris et placés dans une position inconfortable.
Ce que le film montre avec finesse, l’importance de prendre en compte tous les parties et point de vue, comme celui de la femme de chambre incarnée par Alicia Mady.
Elle est une témoin fragile et réticente , permettant d’ouvrir une autre dimension du récit. Elle vit en banlieue, travaille dans un hôtel de luxe et se retrouve au cœur d’un système où la peur de témoigner dit quelque chose de plus vaste que l’affaire elle-même. À travers elle, le film rappelle que la violence et la défiance ne touchent pas seulement les manifestants. Elles traversent tout un pays où certains n’osent même plus parler.
Dossier 137 rassure sans naïveté, car il montre un travail rigoureux, imparfait peut être, mais réel. Il rappelle que la loi ne protège pas seulement ceux qui la portent, elle protège aussi ceux qui la redoutent. Il rappelle combien ceux qui sont souvent contrôlés pour leur couleur de peau ou leur différence n’ont plus confiance dans la police et dans les institutions censées les protéger.
Ce travail de préparation inclut également une réflexion profonde sur la manière de représenter les institutions et les fractures sociales sans tomber dans le didactisme. Le réalisateur s’attache à construire un récit qui reste accessible, clair et tendu, tout en portant une attention méticuleuse à la justesse des situations, des gestes et des dialogues. Même Léa Drucker a fait une préparation en rencontrant des enquêtrices pour comprendre leur quotidien, leur manière de travailler. Elle s’est imprégnée du rythme particulier des enquêtes, de la gestuelle retenue des policières et de la façon dont ces professionnelles gèrent l’effacement nécessaire à leur fonction. Ce qu’elle retient de ces rencontres n’est pas seulement une technicité, mais une posture, une manière de contenir ce qui se passe intérieurement pour ne laisser transparaître que l’essentiel. Cette économie d’expressions devient la colonne vertébrale de son interprétation. La préparation inclut aussi une réflexion sur la solitude que ces femmes peuvent ressentir, leurs zones de doute et cette rigueur presque ascétique qui leur permet de tenir face à des situations complexes. En travaillant ces nuances plutôt que les démonstrations visibles, l’actrice façonne un personnage crédible, ancré, et profondément humain. Tout ce travail est renforcé par la mise en scène, qui se concentre sur les visages, les silences, les hésitations, et sur la façon dont une vérité institutionnelle se heurte parfois à une vérité humaine. Le choix des décors, entre bureaux impersonnels, rues froides et espaces plus intimes, contribue à souligner cette tension permanente. En privilégiant un regard sobre et une caméra attentive, le film façonne une atmosphère où chaque détail, même anodin, peut infléchir le récit et refléter les contradictions d’un pays en quête de cohérence.
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19 novembre 2025 en salle | 1h 55min | Policier
De Dominik Moll |
Par Dominik Moll, Gilles Marchand
Avec Léa Drucker, Guslagie Malanda, Mathilde Roehrich
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Une réflexion sur “Dossier 137 – Immersion dans la police des polices”