Mélissa Drigeard signe avec Le Gang des Amazones un polar social puissant inspiré d’un fait divers réel. Cinq amies d’enfance issues des quartiers populaires d’Avignon braquent sept banques au début des années 1990. Un film coup de poing sur la misère, l’injustice et la dignité retrouvée.
Avec Le Gang des Amazones, Mélissa Drigeard quitte la comédie pour livrer un polar social saisissant, inspiré d’un fait divers réel. Au début des années 1990, cinq amies d’enfance issues des quartiers populaires d’Avignon braquent sept banques. Entre révolte et survie, ces jeunes femmes ordinaires, poussées par la misère et la colère, franchissent la ligne rouge. Le film, porté par Lyna Khoudri, Izïa Higelin, Laura Felpin, Mallory Wanecque et Kenza Fortas, dresse un portrait poignant de la précarité féminine et d’une amitié indestructible, sur fond d’injustice sociale et de liberté volée.

Une lettre de la CAF comme élément déclencheur
Hélène reçoit une lettre de la CAF l’informant d’un trop-perçu : ses allocations chutent brutalement. Acculée, elle confie sa détresse à son amie Katy, figure charismatique et rebelle. Avec Laurence, Carole et Malika, elles imaginent l’impensable : braquer une banque. Ce qui devait être un acte isolé devient une série de sept braquages entre 1989 et 1990. Ces femmes, mères pour certaines, vivent dans un monde où tout semble jouer contre elles. Chacune incarne une faille : Hélène lutte contre l’injustice, Katy contre la fatalité, Laurence contre la solitude, Carole contre la honte familiale, et Malika contre un héritage de violence. À travers leur regard, le film explore l’engrenage du désespoir et la frontière ténue entre résistance et criminalité.
Une société qui pousse au crime
Mélissa Drigeard s’empare du concept de « société criminogène » développé par le criminologue Jean Pinatel : l’idée que certains contextes sociaux favorisent la délinquance. Ici, la réalisatrice le transpose au féminin, en montrant comment des mères de famille sans antécédent deviennent braqueuses par nécessité. Le film ne cherche pas à excuser, mais à comprendre. Tout part d’une injustice administrative : une erreur de la CAF qui précipite une famille dans la misère. Ce détail bureaucratique agit comme un détonateur. Dans un monde où la dignité s’effondre avec les chiffres d’un formulaire, la révolte devient une manière de survivre.
Ce qui fascine la réalisatrice, c’est la logique de l’engrenage : comment la première transgression ouvre la voie à d’autres, plus audacieuses, jusqu’à l’inéluctable chute. La réalisatrice capte cette bascule avec une sobriété réaliste, filmant les visages plus que les actes. Le spectateur n’assiste pas à un film de braquage, mais à une autopsie morale. On observe une société qui punit la pauvreté et oublie la compassion. Le regard porté sur ces femmes révèle les fractures de l’époque : sexisme médiatique, stigmatisation des banlieues, mépris de classe. Dans les années 1990, personne n’imagine que des femmes puissent commettre de tels actes ; la presse les ridiculise, les qualifie de « ménagères devenues mégères ».
La cinéaste inverse cette narration en rendant la parole à celles qu’on a jugées sans les écouter. Le film montre qu’il ne s’agit ni d’héroïnes ni de monstres, mais de citoyennes broyées par un système injuste. La juge Françoise Saboye, surnommée « la gaucho », incarne cette autre lecture : elle refuse de réduire ces femmes à leur faute, retarde le procès pour leur offrir une seconde chance. En les condamnant à des peines légères mais à une dette à vie, la justice reconnaît à demi-mot la responsabilité collective d’une société qui fabrique ses propres délinquantes. Le Gang des Amazones devient ainsi un miroir social, où l’injustice, la précarité et l’humiliation sont les véritables armes du crime.

Des actrices d’une grande intensité dans leur jeu
Le succès du film repose sur une distribution d’une justesse rare. Lyna Khoudri, dans le rôle de Katy, impose une intensité bouleversante. Mélissa Drigeard confie avoir pensé à elle dès l’écriture : « Elle possède cette douceur capable de virer à la rage en un instant. » L’actrice s’est préparée physiquement, apprenant à manier les armes pour incarner cette femme habitée par la colère et la loyauté. Elle décrit Katy comme « un mélange de violence intérieure et de tendresse ». Izïa Higelin, en Hélène, trouve un rôle à contre-courant : celui d’une mère dépassée par la fatalité. Son interprétation, vibrante de sincérité, évoque la résilience et la dignité des femmes invisibles. Laura Felpin, dans un registre inattendu, offre à Laurence une humanité pudique et fragile, portée par une profonde empathie.
Mallory Wanecque, découverte dans Les Pires, incarne Carole avec une sincérité bouleversante. Son personnage, issue d’un milieu plus aisé, se rebelle par amour, non par besoin. L’actrice a suivi quatre mois de cours de violon pour rendre ce détail crédible. Kenza Fortas, enfin, prête sa sensibilité brute à Malika : « Je n’ai rien préparé, je me suis laissée envahir par l’émotion », confie-t-elle. Leur rencontre avec les vraies « Amazones » pendant le tournage du procès a marqué un tournant. Lyna Khoudri se souvient : « Nous étions toutes en larmes. » Ce moment scelle la dimension humaine du film : un hommage vivant à ces femmes qui ont survécu à la honte, à la prison et au regard des autres.
Derrière la caméra, la réalisatrice revendique une méthode immersive, privilégiant la vérité du jeu à la technique. Le chef opérateur Stéphane Vallée adopte une lumière naturaliste, sans fard, proche du documentaire. En interview, la réalisatrice cite La Haine ou Un Prophète parmi ses influences ; elle filme « dans la tête des filles », sans jamais les juger. La musique électro de Chloé Thévenin, ancrée dans les années 1990, amplifie la tension entre rage et mélancolie. Loin du spectaculaire, Le Gang des Amazones fait du regard féminin un acte de résistance. Ce n’est pas un film sur le crime, mais sur la dignité.
Immersion totale dans les années 90
Un récit que l’on ne cite jamais assez, mais qui est incarné par des actrices incroyables. Le jeu est intense, la contamination de la jeunesse par une société qui gangrène peu à peu les esprits pour les pousser au crime. – L’axe d’une société criminogène est intéressant –, le choix de montrer les différentes lignes de défense l’est tout autant et encore plus instructif.
La société criminogène crée ses criminels en les mettant au pied du mur. Elle engendre ces délinquants qui vont devoir encore et encore recommencer de peur de retourner dans une précarité. Puis plus c’est simple et plus, on est tenté de recommencer.

Itinéraire de l’adaptation d’un fait divers
Mélissa Drigeard aborde Le Gang des Amazones avec la rigueur d’une documentariste et la sensibilité d’une conteuse. Tout commence par le podcast Affaires sensibles de Fabrice Drouelle, découvert par Vincent Juillet, son co-scénariste. De cette écoute naît l’envie de comprendre la mécanique intime d’un fait divers trop vite jugé. La cinéaste descend à L’Isle-sur-la-Sorgue, retrouve Hélène via Facebook, puis rencontre Katy. De visites en conversations, la confiance s’installe. Les avocats Maîtres Guenoun et Billet participent au travail de reconstitution, tout comme la directrice de la prison de Tarascon. Chaque détail du film repose sur des témoignages vérifiés, loin du sensationnalisme.
Au cœur du récit, une figure capitale : la juge Françoise Saboye, surnommée « la gaucho ». Refusant de réduire les accusées à leurs fautes, elle retarde le procès, espérant leur donner une seconde chance. L’erreur de date de convocation, jugée par certains volontaire, a permis aux jeunes femmes d’éviter la prison ferme. Ce geste, à la frontière du juridique et de l’humaniste, incarne la conviction de Melissa Drigeard : la société façonne parfois les crimes qu’elle condamne.
Le choix du naturalisme et de l’authenticité
Pour ancrer cette histoire dans son époque, la réalisatrice choisit un naturalisme précis, brut, sans fard. Le directeur de la photographie Stéphane Vallée s’inspire de La Haine, Un Prophète ou Le Fils de Saul, tandis que les scènes de prison reprennent le ton documentaire de Borgo et d’archives tournées aux Baumettes dans les années 1990. Le montage de Sabine Emiliani, artisane de la nuance, transforme le film en un flux organique où chaque regard devient mémoire.
La musique électro de Chloé Thévenin agit comme une passerelle entre passé et présent. Connue pour son travail sur Arthur Rambo de Laurent Cantet, la compositrice injecte une tension sourde, mélange de pulsations mécaniques et de mélancolie. Sa bande sonore, à la fois ancrée dans l’époque et intemporelle, évoque la rage contenue de ces femmes enfermées dans un monde sans issue.
Sur le plateau, Melissa Drigeard dirige ses actrices avec douceur et exigence. Peu de répétitions, mais de longues discussions, aucun espace pour l’improvisation afin de préserver la justesse du langage des années 1990. Laura Felpin, Lyna Khoudri, Izïa Higelin, Mallory Wanecque et Kenza Fortas apprennent à écouter le silence des autres, à respirer ensemble. Kenza, soucieuse d’authenticité, a même travaillé sa diction pour coller à la tonalité de l’époque.
Cette immersion dépasse la fiction : les comédiennes rencontrent les vraies « Amazones » durant le tournage du procès, dans une émotion partagée. Les vraies femmes, aujourd’hui réinsérées, portent encore la trace de leur dette morale et financière, mais aussi la fierté d’avoir survécu. Laurence a fini de rembourser il y a deux ans ; Hélène et Malika vivent toujours dans la même région.
Enfin, Melissa ne s’arrête pas là : elle prépare avec Vincent Juillet un nouveau film sur les disparitions volontaires. Fidèle à sa démarche, elle poursuit l’exploration d’une société qui efface ses invisibles. Avec Le Gang des Amazones, elle signe une œuvre de mémoire et de vérité, un pont entre cinéma social et émotion pure, où les années 1990 deviennent le miroir d’un présent encore inégal.
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12 novembre 2025 en salle | 2h 05min | Drame, Policier
De Melissa Drigeard |
Par Melissa Drigeard, Vincent Juillet
Avec Izïa Higelin, Lyna Khoudri, Laura Felpin
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