T’as pas changé, Jérôme Commandeur dévoile sa nostalgie avec pudeur


Retrouvailles, nostalgie et lucidité tendre dans la nouvelle comédie de Jérôme Commandeur. Avec Laurent Lafitte, François Damiens et Vanessa Paradis, T’as pas changé observe la cinquantaine entre rires et blessures anciennes, une chronique des années 90 qui parle d’aujourd’hui,

Avec T’as pas changé, Jérôme Commandeur signe une comédie douce-amère sur les retrouvailles d’une bande d’amis confrontés à leur propre vieillissement. Derrière les rires, le film cache une réflexion subtile sur la nostalgie, les illusions perdues et la difficulté à tourner la page. En mêlant humour et tendresse, Commandeur évoque la cinquantaine comme une étape à la fois mélancolique et libératrice, où chacun découvre que vieillir, c’est aussi apprendre à lâcher prise. Un film générationnel, sincère et d’une justesse parfois désarmante. Le réalisateur, qui a longtemps repoussé cette idée de retrouvailles d’anciens élèves, signe finalement une œuvre profondément personnelle.

À cinquante ans, il confie qu’il a enfin trouvé ce qu’il avait à raconter : la peur de quitter son enfance et la nécessité d’en rire. Dans ses mots, on sent cette lucidité tendre d’un homme qui regarde son passé avec gratitude, mais sans complaisance. En filigrane, le film devient une déclaration d’amour à la vie ordinaire, aux petites défaites et aux grands souvenirs partagés. C’est cette sincérité, à la fois pudique et universelle, qui donne à l’ensemble son humanité et sa force émotionnelle. Le cœur du récit repose sur une incapacité à tourner la page que le cinéaste décline chez chacun, en assumant un mélange d’émotion et de comédie qui privilégie l’observation du quotidien, la musicalité des dialogues et une tendresse sans ironie pour ses personnages.

Une suite d’évènements menant à une réconcilliation

Suite à un événement aussi loufoque que tragique, quatre anciens lycéens cabossés se retrouvent brutalement face à leur passé. Hervé, Maxime, Anne et Jordy n’ont plus grand-chose de leurs années lycée, sinon des souvenirs confus, des rancunes mal digérées et une incapacité chronique à vieillir. Hervé, ex-chanteur de variétés interprété par Laurent Lafitte, rejoue inlassablement son tube de 1998 avec la conviction d’un artiste incompris. Maxime, incarné par François Damiens, se débat avec sa paternité, refusant d’admettre que son fils le surpasse déjà au paddle. Anne, chirurgien cardiaque sous les traits de Vanessa Paradis, tente de recoller les morceaux d’une vie sentimentale en miettes. Quant à Jordy, joué par Jérôme Commandeur lui-même, il accepte sous son toit la nouvelle compagne de son ex-femme et la mère de celle-ci, comme si la cohabitation pouvait effacer la solitude.

Ces quatre personnages se débattent avec la même peur : celle du temps qui passe, du regard des autres et de l’évidence qu’ils ne sont plus les jeunes cools d’hier. T’as pas changé n’est pas une simple comédie de retrouvailles, mais une fable contemporaine sur la confusion des âges et le vertige du désenchantement. Chaque protagoniste incarne une névrose liée au refus de vieillir : l’un reste prisonnier d’une gloire passée, l’autre panique à l’idée de ressembler à son père disparu, une autre se cache derrière le travail pour ne pas affronter ses blessures. Ce thème universel traverse le film avec une justesse rare, révélant combien la peur du temps peut rendre aussi drôle que pathétique. La mise en miroir de leurs failles crée un jeu de correspondances où chacun retrouve un peu de soi. Le scénario, ciselé dans le détail du quotidien, parvient à rendre ces personnages à la fois risibles et profondément humains. On rit de leurs maladresses, mais on se reconnaît dans leurs doutes, leurs vanités et leurs regrets.

Cette vulnérabilité affleure jusque dans les scènes de groupe, où la complicité et la gêne s’entremêlent, et où un simple regard ou une phrase trop ciselée fissure le vernis de l’assurance. La progression dramatique s’appuie sur une structure solide, construite pour laisser circuler l’émotion et pour confronter chacun à son reflet, tandis que la parole sert d’outil de défense, de fuite et de rapprochement.

Jouer sur la nostalgie : un autre regard que Play

Il serait tentant de rapprocher T’as pas changé de Play d’Anthony Marciano, tant les deux films convoquent les souvenirs des années 90. Pourtant, Jérôme Commandeur s’éloigne volontairement du pur hommage générationnel pour aborder la nostalgie sous un angle existentiel. Là où Play célébrait la mémoire heureuse, le sien s’attarde sur ce qu’il en reste : la peur du vide, la conscience du temps et le refus de grandir.

Le réalisateur ne cherche pas à saturer son film de références. Pas de pluie de Minitel, de Tang ou de Peugeot 205. Ce qui l’intéresse, c’est l’émotion contenue dans ces fragments de jeunesse. Il filme la nostalgie comme un état permanent, cette mélancolie douce que l’on ressent avant même la fin des vacances. Sans jamais chercher à le nier, il avoue qu’il a toujours eu du mal à quitter les lieux, comme s’il anticipait déjà le manque. Cette lucidité imprègne le scénario coécrit avec Kevin Knepper, où chaque personnage affronte le miroir du passé sans concession.

La nostalgie devient ici un prisme révélateur : elle déforme, attendrit et révèle les blessures. Dans cette comédie à fleur de peau, les rires côtoient la gêne, l’humour se fait miroir d’un mal-être collectif : celui d’une génération qui croyait tout avoir compris et découvre qu’elle n’a rien vu venir. Le film joue sur cette ambivalence, entre rires et vertige, enchaînant les scènes d’amitié maladroite et de règlements de comptes doux-amers. La fameuse scène de la piscine, où les quatre amis barbotent face à un couple échangiste, illustre parfaitement cet équilibre : absurde, touchante, un peu ridicule mais profondément humaine.

En refusant le cynisme, on choisit la tendresse. Jérôme Commandeur célèbre les ratés de l’existence, les erreurs assumées, les illusions perdues. La nostalgie devient un moteur de reconstruction plutôt qu’un piège du passé. Là où Play idéalisait les VHS et les copains d’antan, T’as pas changé s’interroge sur la peur de vieillir et l’envie d’être encore quelqu’un, malgré tout. Ce rapport au temps irrigue le film dans ses moindres détails, jusqu’à la bande-son. Entre MmmBop des Hanson, La fête est finie d’Orelsan ou C’est beau la vie d’Isabelle Aubret, le réalisateur compose une playlist de souvenirs sélective et jamais complaisante. On y sent la patine des années, mais aussi le refus du simple effet nostalgique. Le film n’exploite pas la nostalgie comme une décoration, mais comme une vérité psychologique : celle d’adultes qui ne savent plus à quel moment ils ont cessé d’avoir vingt ans. C’est en cela qu’il se distingue : il ne glorifie pas l’adolescence, il l’analyse avec bienveillance, humour et une pointe de mélancolie.

La mise en scène épouse cette idée en refusant l’illustration appuyée, préférant des situations où l’objet du souvenir reste latent, parfois convoqué par une chanson ou par une expression ressurgie. La question du harcèlement, lue à l’aune d’une génération qui se croyait drôle et populaire, traverse le récit avec une retenue qui évite la leçon, pour privilégier l’examen de conscience. En filigrane, l’amitié apparaît comme un abri fragile, un rituel qui se réinvente pour survivre au temps. Loin de la célébration, la nostalgie devient ici un travail de vérité, une manière d’apprendre à dire adieu à l’âge où tout semblait possible, sans renoncer à la joie d’être ensemble.

Un casting pour jouer ces éternels adolescents boiteux – Sylvie Filloux, son retour au cinéma

Le film réunit un quatuor d’acteurs aussi dissemblables que complémentaires. Laurent Lafitte incarne avec brio ce chanteur has-been à la ringardise attachante, tandis que François Damiens, plus nuancé que jamais, apporte une profondeur inattendue à ce père frustré par sa propre obsolescence. Vanessa Paradis, quant à elle, retrouve un rôle fort où la comédie se teinte d’émotion. Derrière le personnage du Dr Rougier, on découvre une femme fragilisée, prisonnière de ses contradictions et de ses regrets.
Le plaisir du film vient aussi de cette alchimie fragile entre les interprètes : chacun semble jouer avec sa propre image publique, comme un clin d’œil à ce que les spectateurs projettent d’eux. Jérôme Commandeur orchestre cet ensemble avec bienveillance, en privilégiant les silences, les maladresses, les regards qui en disent long.

Parmi les seconds rôles, on remarque le retour discret mais marquant de Sylvie Filloux, qui retrouve ici le chemin du grand écran après plusieurs passages remarqués à la télévision. Son personnage, à la fois lucide et candide, agit comme un miroir pour ces adultes figés dans leur adolescence. Sa présence apporte un contrepoint salutaire à cette galerie de quadras et quinquas empêtrés dans leurs névroses.
Catherine Hiegel et Catherine Allégret complètent le tableau avec une justesse savoureuse : la première incarne une vieille tante indomptable, la seconde une mère désarmante de légèreté. Ensemble, elles insufflent au récit une touche de fantaisie burlesque qui rappelle les grandes comédies françaises d’autrefois.
Le casting s’amuse de son propre vieillissement et en fait une force comique. On sent la complicité, la pudeur, la peur de mal vieillir mais aussi l’envie de rire de soi. Cette sincérité rend le film attachant, même dans ses moments les plus sages. La cohésion entre les acteurs se retrouve dans les scènes de groupe, notamment celle de la piscine, devenue emblématique. Le tournage, que tous décrivent comme une “colonie de vacances”, a favorisé cette énergie collective. Jérôme Commandeur dirige ses partenaires à l’oreille, cherchant la musicalité parfaite des dialogues. Quant à Vanessa Paradis, elle prouve une fois de plus sa précision et son instinct, osant une scène d’ébriété jubilatoire tout en conservant une élégance rare.

Les scènes adolescentes montrent Sylvie Filloux, qui par sa fraîcheur, réintroduit un regard extérieur qui permet au spectateur de respirer. On voit le mal d’être dans le club des anti-stars du lycée, faire partie du club des intellots, ceux qu’on méprise par intermittence et dont on jalouse la réusssite future. Ce mélange d’expérimentés et de visages plus jeunes donne au film un ton à la fois tendre, ironique et profondément humain. Autour du quatuor, une galerie précise renforce la couleur du récit, avec Delphine Baril en confidente au sens comique affûté, Catherine Hiegel en Tatie indomptable et Catherine Allégret en mère au ton léger qui dit l’essentiel sans appuyer. Le personnage d’Hervé, chanteur de la fin des années 90, profite d’un tube original aux sonorités latinos composé dans l’esprit d’époque, tandis que la chorégraphie et les costumes jouent avec les codes rock ethniques d’alors. La direction d’acteurs privilégie la justesse et la bienveillance, permettant à chacun d’oser le décalage sans jamais sacrifier l’émotion.

On a aimé et aussi regretté l’humour habituelle de Jérôme Commandeur

La promesse est tenue : T’as pas changé fait sourire, parfois rire, et souvent réfléchir. Ce n’est pas la comédie la plus explosive de Jérôme Commandeur, mais sans doute la plus sincère. On rit un peu, pas tout le temps, mais chaque éclat de rire a le goût doux-amer des retrouvailles. Le film est peut-être trop sage pour ceux qui attendaient une satire plus mordante, mais il gagne en justesse ce qu’il perd en folie.
Le comédien-comique-réalisateur y confirme son talent d’observateur : il filme ses contemporains sans méchanceté, mais avec une lucidité désarmante. Les dialogues, ciselés et parfois cruels, s’ancrent dans un réalisme touchant. On retrouve cette verve comique qui lui est propre, tempérée par une pudeur nouvelle.
La mise en scène, sobre, laisse la place aux acteurs et au tempo du dialogue. Les années 90 traversent le film comme un parfum, jamais comme une nostalgie forcée. Et la musique, oscillant entre Hanson et Orelsan, vient parfaire cette tonalité mélancolique.

Ce film n’est pas un feu d’artifice, c’est un sourire en coin, une main tendue vers le passé. Jérôme Commandeur signe une comédie humaine sur la difficulté d’accepter le temps, la beauté des désillusions et la tendresse qu’on doit à l’enfant qu’on était. Le film remplit sa promesse : celle de parler de nous, sans excès, avec une sincérité désarmante. Le rire n’y est jamais gratuit, il surgit entre deux silences, entre deux souvenirs. C’est dans ces respirations qu’il excelle. Il offre à la comédie française un regard apaisé sur la maturité, prouvant qu’on peut faire rire en parlant de la peur de vieillir. S’il reste plus sage que dans ses précédents films, c’est qu’il vise plus haut : non plus l’éclat de rire, mais l’émotion durable. Une œuvre qui fait du bien, à la fois miroir et caresse. On y lit enfin une déclaration de méthode, assumée par l’écriture et par le montage : préférer la sincérité à la surenchère, la complicité à la vanne qui claque, le trouble à l’effet. Le film épouse ses personnages, accepte leurs contradictions, cherche la musique juste entre tendresse et honte douce. Cette ligne claire, servie par une interprétation collective au cordeau, scelle la réussite d’une promesse simple et tenue, celle d’une comédie qui parle vrai et qui laisse, après le sourire, une émotion qui demeure.

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Note : 3.5 sur 5.

5 novembre 2025 en salle | 1h 45min | Comédie
De Jérôme Commandeur | 
Par Jérôme Commandeur, Kevin Knepper
Avec Laurent Lafitte, François Damiens, Vanessa Paradis


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