Entre comédie et mélancolie, Un Poète de Simón Mesa Soto explore la survie de la poésie dans un monde numérique qui l’oublie. Un film touchant sur l’échec, la beauté et la résistance des mots face à l’indifférence moderne.
Dans Un Poète, Simón Mesa Soto s’interroge sur la survie de l’art dans un monde désenchanté. À travers Óscar, un poète à la dérive, il explore la frontière entre idéal et désillusion, entre création et abandon. Le cinéaste colombien signe ici une œuvre introspective, teintée d’humour noir et d’amertume, où chaque mot devient un cri pour exister dans un univers obsédé par la performance. Entre nostalgie et dérision, ce film questionne la place du créateur dans une société qui ne prend plus le temps d’écouter.
Un poète à contre-sens perdu dans un monde
Óscar Restrepo, poète oublié, vit à Medellín, partagé entre ses souvenirs de gloire et une réalité désenchantée. Sa rencontre avec Yurlady, adolescente issue d’un milieu populaire et douée d’une sensibilité rare, vient raviver un souffle qu’il croyait éteint. Ce lien, empreint de maladresse et de sincérité, se mue en miroir de ses propres échecs. Simón Mesa Soto met en scène la confrontation entre deux visions de l’art : celle d’un homme usé, enfermé dans ses illusions, et celle d’une jeune fille qui écrit par besoin vital, sans attendre la reconnaissance. Cette dynamique, à la fois tendre et cruelle, dévoile la dimension profondément humaine de la création : l’art comme refuge, comme rachat, mais aussi comme impasse. En confiant le rôle principal à Ubeimar Rios, le cinéaste trouve une justesse rare, entre comédie et désespoir tranquille. Rebeca Andrade, lumineuse et spontanée, apporte au film cette part d’innocence brute, cette vérité que le poète avait perdue. Ensemble, ils incarnent deux âmes qui s’effleurent sans jamais se sauver vraiment.
Il y a un âge pour tout et la poésie est souvent vue comme futile ou pour des personnes marginales
Dans ce film, on aborde la poésie comme un territoire à contretemps, presque archaïque. Il y a cette tension entre un monde hyperconnecté, où tout doit être utile, et l’art, perçu comme une perte de temps. Óscar incarne cette figure d’un autre âge : un homme qui persiste à croire que les mots peuvent encore changer quelque chose. Son obstination le rend pathétique autant qu’admirable.
Le réalisateur saisit ce paradoxe avec une tendresse pudique : la poésie, aujourd’hui, devient l’acte de résistance le plus discret. En Colombie, où les contrastes sociaux demeurent puissants, le poète n’est pas seulement un rêveur ; il est aussi un témoin, parfois un imposteur, toujours un survivant. Le film traduit cela avec une ironie douce, empruntant autant à la comédie new-yorkaise qu’au réalisme latin. La caméra, filmant en 16 mm, accentue la texture du passé, comme si chaque plan appartenait déjà à un monde révolu.
Le réalisateur confie dans son entretien qu’il s’est lui-même interrogé sur l’échec artistique, sur la lassitude de créer. Cette lucidité se ressent à chaque instant : Un Poète n’est pas une ode romantique, c’est une méditation sur la fin d’un idéal. Yurlady, elle, symbolise la vitalité brute de l’art libre, non contaminé par le marché ni la vanité. Elle ne cherche ni gloire ni absolu, elle écrit parce qu’elle respire. Cette opposition donne au film sa force tragique : Óscar tente d’enseigner la poésie, mais c’est elle qui lui réapprend à vivre. Ce renversement confère au récit une beauté fragile : celle des artistes qui ne produisent plus, mais contemplent, entre nostalgie et lucidité, la disparition de leur propre monde.

Autoportrait déguisé d’un créatif
Peut-être le meilleur film qu’il soit sur « être un poète » à l’heure du numérique. Comment un poète peut survivre à l’hyperactivité. Le Temps de cerveau humain disponible est de plus en plus réduit et nous n’avons plus cette capacité à nous émerveiller et à dépeindre notre tristesse. À une époque, les blogs et journaux intimes avait pris le relai, mais la nouvelle génération semble peu à peu s’éloigner de ce système pour entrer dans une forme de paraitre qui colle à des trends.
Le film arrive parfaitement à montrer ce décalage entre un genre humain et des personnes voulant rendre hommage à la poésie. Parmi eux, un homme, un artiste maudit du nom d’Oscar, incarnant ces êtres romantiques et torturés, espérant une élévation spirituelle et sociale. Un être d’un autre temps perdu dans une époque qui ne lui ressemble pas, son talent précoce n’était que fugace et il est difficile de faire mieux quand on a déjà brillé.
Un être qui vit pour les mots et à fleur de peau crache la bile de ses mouvements d’âme. Simón Mesa Soto offre à Ubeimar Rios l’incarnation héros nostalgique d’un monde qui n’existe plus. Une œuvre d’équilibre, suspendue entre comédie mélancolique et portrait social. Le cinéaste livre un autoportrait déguisé : celui d’un créateur confronté à la vanité de sa quête. La poésie y devient un geste dérisoire et pourtant essentiel, une manière d’habiter le silence. Grâce à la sincérité de Ubeimar Rios et à la fraîcheur de Rebeca Andrade, le film trouve une grâce inattendue : celle de rappeler qu’il faut parfois échouer pour recommencer à croire.
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29 octobre 2025 en salle | 2h 00min | Comédie dramatique
De Simón Mesa Soto |
Par Simón Mesa Soto
Avec Ubeimar Rios, Rebeca Andrade, Guillermo Cardona
Titre original Un Poeta
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Une réflexion sur “Un poète, Simón Mesa Soto offre une satire de la société qui ne rêve plus”