Un drame social puissant signé Laura Carreira, On Falling explore la déshumanisation du travail moderne à travers le regard d’Aurora, ouvrière d’entrepôt. Un film d’une justesse rare, à la fois poétique et implacable, sur la solitude au cœur du progrès.
Au cœur d’un entrepôt écossais où chaque geste est minuté, On Falling suit Aurora, immigrée portugaise préparatrice de commandes, qui lutte pour ne pas glisser vers la paupérisation et l’aliénation. Laura Carreira filme l’épuisement discret, les solidarités ténues et la dignité des existences précaires, avec une économie de moyens qui n’exclut jamais l’empathie. Sorti du circuit des festivals avec de solides distinctions, le film arrive en France le 29 octobre 2025, en rappelant que derrière l’innovation vantée par les plateformes se cache un corps, un souffle, une fatigue, et parfois une main tendue.
Notre avis en quelques mots
Le film nous donne l’impression d’être enfermé dans une boucle infernale. Un sentiment d’enfermement et de dépersonnalisation extrême des employés. Une vraie réflexion à avoir sur cette société ubérisée et hyper capitaliste où nous voulons tout et immédiatement. L’actrice est touchante dans l’incarnation d’un personnage romantique, espérant une ascension dans la société qui la maltraite…

Un monde où chaque seconde est facturée.
Aurora collecte, scanne, marche et recommence. Son temps est compté, ses pauses chichement octroyées, son espace intime grignoté par la cadence. La présence d’un nouveau colocataire polonais, Kris, ouvre pourtant une parenthèse de respiration, une humanité possible au milieu des bip d’un pistolet et des allées numérotées. La cinéaste ancre ce récit dans un réalisme sensible, où l’on ressent physiquement la répétition des tâches et la fragmentation des relations. L’isolement imprègne les appartements partagés, où la cuisine devient lieu de passage plus que de vie, car chacun récupère, se tait, puis repart au travail. Aurora tente des gestes vers l’autre, mais plus la solitude s’installe, plus ces gestes deviennent hésitants. C’est là que le film trouve sa tension morale, entre envie de lien et mécanismes de défense. Le scénario, écrit par la cinéaste, s’appuie sur une enquête de terrain auprès de travailleurs et travailleuses d’entrepôt, dont des fragments de paroles nourrissent dialogues et situations, jusque dans un simple « je fais la lessive » qui dit la confiscation du temps libre par la préparation du prochain shift.
Un monde ubérisé où l’Homme n’est plus qu’une machine
Le film saisit l’idéologie logistique à hauteur d’humain. On promet « innovation » et « optimisation », car les plateformes ont besoin d’un récit héroïque de la vitesse. Mais la matérialité crue demeure : une personne ramasse chaque article pendant dix heures, sous surveillance, et parcourt des kilomètres entre des étagères anonymes. La réalisatrice démonte ce vernis en rendant au temps son épaisseur, comme elle impose au regard d’accompagner Aurora plus d’une minute sur une tâche monotone, et rappelle qu’une ouvrière fait cela des heures durant.
Cette politique du plan devient une éthique, car elle restitue la peine, l’endurance, l’attention brisée. L’aliénation n’est pas spectaculaire, elle est granulée, elle s’infiltre par les micro-contrôles, les toilettes chronométrées, les pauses trop courtes pour « faire groupe ». Dans ces conditions, la communauté se délite. Ici, les rotations et le turnover empêchent l’émergence d’un « nous » durable. L’appartement n’offre pas davantage de refuge, car l’on y passe plus qu’on y habite. Le film montre alors des tentatives de care minimal, des mains qui se cherchent, un cadrage qui embrasse ce contact en gros plan comme un événement politique.
L’ubérisation est filmée sans slogans, avec des corps réels, et l’on comprend que la précarité produit autant de culpabilité que de silence, car elle isole et elle ronge l’imaginaire. Cette lucidité, jamais misérabiliste, replace la dignité au centre, car elle affirme que le travail n’est pas qu’un coût et une métrique, c’est un monde vécu qui façonne la perception de soi et des autres.

Le casting, comment mettre en scène une journée sans fin
Joana Santos compose une Aurora opaque et translucide à la fois, car l’actrice a appris les rythmes du métier dans un entrepôt pour intégrer gestes, trajectoires et micro-rituels, puis laisser affleurer une intériorité retenue. Cette préparation donne au jeu une précision rare, car chaque mouvement est juste et chaque silence pèse. Laura Carreira orchestre ce réalisme avec un dispositif de mise en scène qui assume la proximité inconfortable, car la caméra se tient près du visage, coupe moins dans l’embarras, et respire davantage dès qu’une interaction s’esquisse, tandis que le montage de Helle le Fevre module ce balancier entre exposition et répit. Le regard de Karl Kürten épouse la dureté fonctionnelle des lieux sans esthétiser la misère, car la lumière travaille l’entre-deux des couloirs et l’opacité des zones de stockage. La bande-son, menée par Olivier Blanc, privilégie l’environnement, car les bips, les pas, les souffles et les frottements tracent une partition concrète qui remplace la musique illustrative.
Le choix d’ouvrir largement la distribution à des non-professionnels, dont beaucoup ont réellement travaillé en entrepôt, ajoute une rugosité de diction et une justesse d’accent qui densifient le réel, car certaines répliques ont été ajustées en répétition pour gagner en naturel. Avec cinquante-cinq rôles parlants, la direction d’acteurs devient un art de l’oreille et du rythme, car la réalisatrice capte des micro-variations de fatigue et de politesse, puis laisse un plan vivre autant que nécessaire pour faire sentir que la journée ne finit pas. Cette méthode, humble et exigeante, signe un premier long métrage d’une cohérence rare.
On Falling s’impose comme une œuvre d’une précision et d’une sensibilité rares. Laura Carreira capte l’épuisement invisible, les gestes répétés et la résistance muette d’une génération enfermée dans la productivité. En suivant Aurora, la cinéaste nous renvoie à notre propre rapport au travail, à la fatigue et à la perte de sens. Sans effets ni jugement, elle signe un film nécessaire, lucide et profondément humain, où chaque silence pèse comme un cri discret contre l’indifférence d’un monde qui a oublié d’écouter. Il y a au loin un espoir, et si on avait une promotion permettant de sortir de la servitude des machines pour devenir celui qui donne les ordres sous la contrainte de patron de multinational ? Mais ce n’est qu’une illusion, car même en gravissant les échelons, on reste prisonnier d’un système qui broie les individus derrière une façade de mérite et d’évolution. Il n’y aucune émancipation possible dans un monde ubérisé, nous restons esclave d’une machine et on travaillera toujours plus pour toujours moins de joie.
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29 octobre 2025 en salle | 1h 44min | Drame
De Laura Carreira |
Par Laura Carreira
Avec Joana Santos, Neil Leiper, Ola Forman
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Une réflexion sur “On falling, Laura Carreira dévoile un drame sensible sur la société d’hyper-consommation.”