Un Étranger d’une beauté sèche et hypnotique, où François Ozon revisite Albert Camus à travers la lumière d’Alger et le visage habité de Benjamin Voisin. Un film existentiel, lucide et charnel, qui redonne sens à l’absurde et au silence.
Avec L’Étranger, François Ozon renoue avec une œuvre fondatrice tout en affirmant un geste de cinéma limpide. En filmant l’absurde à hauteur d’homme, il évite le piège du manifeste pour retrouver la pureté du regard camusien. Loin du clinquant, Ozon choisit la retenue, la lumière sèche et la lenteur des plans. Le film s’ouvre comme une méditation : un homme face à un monde sans émotion. Le cinéaste observe, dénude, interroge. Rien n’est démonstratif, tout est sensation. L’épure devient son langage, la vérité du silence son moteur. Derrière ce dépouillement, Ozon signe l’un de ses films les plus justes, où la mise en scène s’efface pour laisser apparaître la question essentielle : qu’est-ce qu’exister, sinon regarder sans juger ?
Alger, 1938 – L’étranger
Alger, 1938. Meursault vit sans passion, guidé par la routine et l’indifférence. L’enterrement de sa mère n’éveille rien en lui, pas plus que son histoire avec Marie Cardona, jeune femme solaire qu’il désire sans se l’avouer. Son voisin, Raymond Sintès, le tire vers un engrenage dont il ne sortira pas indemne. Sous le soleil, le monde bascule.
Benjamin Voisin incarne ce vide avec une précision quasi physique, habitant chaque silence d’un trouble intérieur. Rebecca Marder, libre et sensible, apporte à Marie une densité que le roman n’esquissait qu’à demi. Pierre Lottin campe un Sintès populaire, roublard, qui sent le trottoir et la fatalité. Autour d’eux, Denis Lavant et Swann Arlaud tissent la toile morale d’une époque. Ensemble, ils composent une humanité bancale, fascinante dans sa banalité.
François Onzon et Camus
Tout est parti d’un scénario inachevé. François Ozon, alors en quête d’un portrait de jeunesse contemporaine, retrouve par hasard L’Étranger. La lecture agit comme une révélation : Camus lui offre le miroir de son propre questionnement sur la solitude et la vérité. Découvrant que les droits du roman étaient libres, il se lance dans une adaptation épurée, presque spirituelle.
Le réalisateur confie à Benjamin Voisin le rôle de Meursault, après Été 85. Il en tire une performance intérieure, tendue, à contre-courant du jeu habituel de l’acteur. Il lui demande de se taire, de respirer lentement, d’habiter l’attente. Face à lui, Rebecca Marder reçoit le rôle de Marie. Loin du simple sourire amoureux, elle en fait une femme consciente, attirée autant que blessée par l’absence de l’autre. Pierre Lottin devient l’incarnation parfaite du verbe brut, celui d’un monde populaire où la parole remplace la pensée.
Denis Lavant, bouleversant en vieil homme usé, et Swann Arlaud, en prêtre à la foi tremblante, complètent la fresque. La rencontre de ces comédiens donne au film un équilibre rare : chaque visage raconte une époque, chaque regard devient un fragment de vérité.

Camus au cinéma – 2025 ou le choc de l’absurde au regain de l’existentialisme
Adapter L’Étranger en 2025, c’est se confronter à un texte qui refuse la morale et déjoue les lectures figées. François Ozon relève ce défi sans chercher à expliquer. Il filme la matière brute du roman : la chaleur, le silence, l’éblouissement du réel. Le noir et blanc devient une peau, une texture de pensée. Les ombres dessinent un monde sans repère, où chaque plan respire la distance et la vérité du doute.
Le cinéaste inscrit son film dans une continuité historique. Il réinscrit la colonisation, la fracture invisible entre deux peuples, la violence d’un regard occidental posé sur l’autre. Sans jamais accuser, il contextualise. La ville d’Alger surgit des archives, la mémoire remonte, et le spectateur se retrouve face à la question qui hante toute l’œuvre : qu’est-ce qu’un homme qui ne joue pas le jeu ?
Ce cinéma-là ne commente pas, il contemple. Le réalisateur redonne aussi leur place aux femmes, absentes du roman : Marie devient conscience, Djemila, voix de l’injustice. À travers elles, le réalisateur déplace le centre moral du récit.
En retrouvant l’esprit de l’existentialisme, il rappelle que l’absurde n’est pas un vide mais un appel à vivre. Meursault, face à la mort, découvre la liberté de celui qui n’a plus rien à perdre. Le film devient alors un espace de réconciliation entre la littérature et le cinéma, entre la pensée et la chair. À l’heure où le monde se cherche un sens, François Ozon offre une leçon d’équilibre : il ne faut pas comprendre Camus, il faut le sentir.
Notre avis sur le film
Un film très s(c)olaire et le début montre la volonté de François Ozon à s’inscrire dans le cinéma classique de l’époque de Pasolini, celui du début des caméras embarquées, celle où l’on sortait des studios.
Nous sommes dans un choix artistique de placer le film dans une époque et une ambiance. Dans certaines séquences, on retrouve même un jeu masculin avec un phrasé à la Belmondo. Le réalisateur dirige trois grands talents de cette dernière décennie : Benjamin Voisin, Rebecca Marder et Pierre Lottin. Les poussant dans le retranchement de leur Art et dans certaines scènes, la magie opère et nous finissons par confondre Benjamin Voisin et son personnage de Meursault.
Le film reprend les paradoxes du livre, le refus de voir sa mère, une veillée qui s’éternise. Un personnage ambigu qui semble vivre sans affecte son quotidien. Il n’attend rien de la vie, il ne réagit jamais au monde, il reste dans le passif : il devient lui-même qu’après son passage à l’acte. Ce moment l’a comme reconnecté à lui-même et l’univers. Il cesse d’être passif, il cesse d’être un homme qui ne ment jamais, qui ne dit que ce qu’il pense. Il commence à éprouver la sensation du bonheur.
En refermant L’Étranger, on garde en tête le choc d’un film qui respire le silence et la chaleur. François Ozon ne filme pas l’absurde, il l’incarne, dans chaque souffle, chaque lumière blanche, chaque visage déserté. Benjamin Voisin s’y fond jusqu’à disparaître, Rebecca Marder y dépose une émotion vibrante, et la caméra semble suspendue au temps. Entre fidélité et réinvention, Ozon signe une œuvre d’équilibre : à la fois hommage à Albert Camus et miroir d’une époque qui cherche encore son humanité. Un film brulant et certes très scolaire, mais pour mieux déplacer l’attention du spectateur sur le sujet et non la forme !

L’étranger François Ozon 2025 © Carole Bethuel – FOZ – GAUMONT – FRANCE 2 CINEMA
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Une réflexion sur “L’étranger – François Ozon donne vie au roman phare d’Albert Camus”