Deux Pianos – Zoom sur le mélodrame d’Arnaud Desplechin, quand aimer ne suffit plus.


Deux Pianos, le nouveau film d’Arnaud Desplechin : un drame intime et spirituel où François Civil et Nadia Tereszkiewicz incarnent la passion, la perte et la rédemption à travers la musique. Entre Lyon, les fantômes du passé et les reflets du cœur, le cinéaste compose une œuvre bouleversante sur l’amour, la filiation et la solitude des âmes

Avec Deux Pianos, Arnaud Desplechin signe un mélodrame à la fois intime et mystique, où les notes deviennent des échos du passé. Le cinéaste revient à une forme classique qu’il bouscule de l’intérieur, en mêlant le fantastique au romanesque. À travers Mathias Vogler, pianiste revenu d’exil, et Claude, son amour de jeunesse, le film explore la frontière trouble entre la raison et la passion, la création et la folie. Entre Lyon, la musique et les fantômes du cœur, Deux Pianos joue une partition d’émotions contenues, d’ombres intérieures et de lumière retrouvée.


Mathias Vogler, interprété par François Civil, revient en France après un long exil, invité par Elena, son ancienne mentore, à jouer à l’Auditorium de Lyon. Mais une rencontre improbable bouleverse son retour : un enfant lui ressemble trait pour trait, comme un double égaré du passé. Ce choc le ramène vers Claude, jouée par Nadia Tereszkiewicz, son amour perdu, devenue entre-temps veuve et mère.
Autour d’eux gravitent des figures tutélaires et fragiles : Elena, la pianiste incarnée par Charlotte Rampling, figure d’autorité et d’élégance tragique ; Max, joué par Hippolyte Girardot, l’ami protecteur et désabusé ; et Anna, la mère, symbole d’une tendresse impossible.
Chaque personnage incarne une solitude : celle du deuil, du renoncement ou du désir, tous unis par la même note dissonante qu’est la nostalgie.

Deux pianos © Deux pianos © Emmanuelle Firman – Why Not Productions

Une guerre des mondes et des milieux, motrice d’un malheur presque tragique

Sous ses airs de drame romantique, Deux Pianos s’inscrit dans une guerre silencieuse : celle des classes, des valeurs et des sensibilités. Le cinéaste filme l’entrechoc entre deux univers, le monde lyrique, celui des conservatoires, des philharmonies, des grandes dames du piano, et celui, plus prosaïque, des sentiments humains.
Mathias, musicien habité mais en décalage, revient dans une France qu’il ne reconnaît plus. Son exil lui a donné la distance, mais pas la paix. Le retour à Lyon agit comme un miroir brisé : son double enfantin, symbole de l’innocence perdue, vient fissurer ses certitudes. À travers lui, le cinéaste questionne la paternité, la filiation, et cette idée que le sang ne suffit pas à définir un lien.
Claude, de son côté, vit dans la respectabilité d’une veuve installée, mais son corps et son regard trahissent l’envie d’un élan vital. La passion ressurgit comme un reflux incontrôlable, réveillant des désirs longtemps tus.

Entre la folie de l’artiste et la culpabilité bourgeoise, la tension devient presque métaphysique.
Lyon, ville de fleuves et de souterrains, devient le théâtre de cette lutte : la lumière dorée du Parc de la Tête d’Or contraste avec les recoins sombres où Mathias poursuit son enfant fantôme. Le film avance comme un songe troublé, où la musique, celle de Bach, Chopin, Grégoire Hetzel, agit comme exorcisme et prière.
Au fond, Deux Pianos parle de la solitude des êtres, de ces âmes qui se croisent et s’étreignent un instant avant de se perdre à nouveau. Le fantastique n’y est jamais spectaculaire, mais intime : il glisse entre les doigts, comme une mélodie qu’on croit reconnaître. La tragédie se joue dans le silence, entre une note suspendue et une larme retenue.


Quelques mots sur le film

Le tournage a été nourri par un véritable travail de composition intérieure des acteurs. François Civil, fasciné par l’idée de jouer un personnage « passif », a trouvé dans ce paradoxe une action en soi : aimer devient un acte. Refusant le simple doublage des scènes de piano, il a tenu à interpréter lui-même Ich ruf zu dir de Bach, dont la douceur presque religieuse a bouleversé l’équipe. Le son mixé dans le film est celui de sa propre performance.

Charlotte Rampling, quant à elle, a incarné Elena avec la rigueur d’une prêtresse du silence. Elle aurait confié à Arnaud Desplechin : « Je suis Elena, mais je n’ai jamais peur. » Une phrase qui résume toute la grandeur de ce personnage, mentor sans faille, figure à la fois maternelle et distante.

Nadia Tereszkiewicz, en Claude, mêle sensualité et retenue. Elle incarne cette femme transgressive qui, par défi, a choisi la maternité très jeune et qui, veuve, redécouvre le vertige de la passion. Son visage, que le réalisateur compare à celui de Mathilde de La Mole, exprime à la fois la jeunesse et la maturité, la fragilité et la puissance.
Quant à Hippolyte Girardot apporte à Max une dimension d’ange gardien presque burlesque, maternant un Mathias perdu entre trois femmes : sa mère Anna, sa mentore Elena et son amour Claude. Tous ces personnages ne sont que des monades isolées : ils se rencontrent pour fuir la solitude, mais celle-ci finit toujours par les rattraper.

Dans ce film, la musique n’est pas un décor, mais un langage. Elle relie les êtres par ce qu’ils n’arrivent pas à dire. Et dans ce monde où aimer, c’est déjà désobéir, le réalisateur signe un film de résonance, d’héritage et d’abandon, un requiem lumineux pour les âmes égarées.

Un film fort avec des personnages qui sont pris dans la tristesse d’une vie dans laquelle chacun en espère beaucoup. Mais malgré toute la bonne volonté, on sent que ça finira mal. On est pris dans le tourbillon des désirs et des espoirs, mais parfois quand on manque le train, le suivant ne mène jamais à l’heure adéquate pour ne pas manquer la fenêtre menant au bonheur. François Civil est touchant dans ce rôle de père tardif, Nadia Tereskiewicz marche sur le fil du rasoir, Charlotte Rampling est terrifiante et Alba Gaia Bellugi reste cette éclaircie dans un monde en deuil.

Deux pianos © Emmanuelle Firman – Why Not Productions

Deux Pianos s’achève comme une méditation sur ce qu’il reste quand les mots n’ont pas suffi. Arnaud Desplechin y explore la tension entre partir ou rester, entre l’élan vital et la résignation. Le film observe ces êtres qui s’aiment mal, ou trop tard, prisonniers de ce qu’ils n’ont pas su dire. Lorsqu’un être cher ne dit pas les choses essentielles et nous laisse croire qu’on n’est pas accepté pour ce que l’on est, naissent alors deux blessures jumelles : le complexe d’infériorité et celui de Pygmalion. Mathias cherche à être reconnu, Claude à être aimée pour ce qu’elle fut et non pour ce que la société attend d’elle. Entre eux, la musique devient la seule vérité possible, un langage pur qui dépasse les hiérarchies, les classes, les convenances. C’est à cet endroit que le film trouve sa force : dans la collision entre la passion et la bienséance, l’instinct et la morale. Deux Pianos n’est pas seulement un drame sentimental, c’est l’explosion des préjugés et des paradoxes sociaux, un cri feutré contre tout ce qui empêche d’aimer librement.

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Note : 5 sur 5.

15 octobre 2025 en salle | 1h 55min | Drame
De Arnaud Desplechin | 
Par Arnaud Desplechin, Kamen Velkovsky
Avec François Civil, Nadia Tereszkiewicz, Charlotte Rampling


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