Happyend – Neo Sora filme une jeunesse japonaise entre amitié, révolte et surveillance


Un film singulier qui s’éloigne des représentations convenues de la jeunesse japonaise. Happyend de Neo Sora explore moins la brutalité ou le harcèlement que l’intimité d’un groupe d’amis confrontés à une mécanique implacable. Entre désir de liberté et pression du conformisme, le récit interroge l’amitié, la contestation et la quête d’émancipation dans un univers où chaque règle devient une barrière.

Le Japon de la jeunesse et des rêves toujours impossibles

Un film étrange loin des clichés des films sur l’École et la jeunesse au Japon. On a eu beaucoup de films traitant de la violence, du harcèlement, mais jamais ainsi : une immersion dans un groupe d’ami, une réflexion sur la liberté et le conformisme au Japon. Mais aussi une remise en question des liens d’amitié, souvent considérée immuable à cause d’une volonté d’être fidèle à ce que l’on est ou a été. Un film sur la difficulté à faire front au changement et la sortie du lycée représente ce tremplin, mais ici, dans une société normative et très codée, ce n’est pas toujours simple ! 

Tokyo, dans un futur proche rongé par la peur d’un séisme, Happyend de Neo Sora s’impose comme une parabole saisissante de la jeunesse japonaise. Deux amis, Yuta et Kou, s’amusent à perturber l’ordre établi de leur lycée, jusqu’à déclencher la mise en place d’une surveillance totale par intelligence artificielle. Entre loyauté et fracture, insouciance et colère, leur relation vacille dans un climat dans lequel chaque geste est scruté. Le film, nourri par l’histoire des catastrophes et du racisme systémique au Japon, explore la tension permanente entre joie de vivre et menace d’effondrement.


Un duo d’adolescent symbole de la jeunesse et de leur époque

Dans Happyend, le réalisateur met en scène un duo adolescent à la croisée des chemins : Yuta, incarné par Hayato Kurihara, et Kou, joué par Yukito Hidaka. Ces deux amis inséparables refusent la soumission à l’autorité scolaire et multiplient les provocations, jusqu’à provoquer une réaction radicale : le lycée tombe sous le contrôle d’une IA qui transforme les couloirs en laboratoire de discipline et de suspicion. Face à ce monde clos, chaque élève cherche sa place : Ata-chan (Yuta Hayashi), meneur charismatique, Ming (Shina Peng), Tomu (Arazi) ou Fumi (Kilala Inori), chacun apporte une nuance à ce récit de rébellion collective. Le proviseur, incarné par Shiro Sano, devient le miroir caricatural d’un pouvoir politique obsédé par l’ordre et le contrôle. Le cinéaste s’appuie sur un casting mêlant comédiens novices et figures reconnues comme Makiko Watanabe ou Pushim, pour donner au film un réalisme brut, porté par l’énergie spontanée de la jeunesse.


HappyEnd © Eurozoom

La jeunesse au Japon entre devoir et rébellion silencieuse – sauf qu’ici on ne veut plus être silencieux !

Neo Sora revendique son admiration pour les films sur la délinquance juvénile, de Nicholas Ray à Edward Yang. Mais son approche s’ancre dans le Japon d’aujourd’hui, où la peur d’un séisme imminent pèse sur chaque génération. Dans ce contexte, la jeunesse se trouve enfermée entre devoir et rébellion. D’un côté, l’obligation de respecter des codes, de suivre une hiérarchie scolaire stricte et d’endosser une discipline presque militaire. De l’autre, un désir d’émancipation, d’humour et de contestation qui refuse de se taire. Yuta et Kou incarnent cette ambivalence : l’un choisit l’indifférence, l’autre la révolte ouverte.Leurs divergences soulignent la fracture qui traverse une génération partagée entre adaptation silencieuse et résistance assumée.

Le film met en lumière cette énergie adolescente qui n’accepte plus de rester dans l’ombre. Les sit-in, les provocations, la musique bannie par l’administration deviennent autant d’armes symboliques contre l’injustice. On retrouve l’écho des grands mouvements étudiants, mais transposés dans un univers où la révolte passe par des gestes du quotidien : refuser un repas, détourner une règle, braver une caméra. La force de Happyend tient à cette transformation d’une rébellion muette en cri collectif. Neo Sora filme cette jeunesse comme des plaques tectoniques prêtes à se déplacer, révélant que la véritable secousse n’est peut-être pas celle du sol, mais celle des consciences.


La société de la surveillance et de la norme

En confiant le contrôle d’un lycée à une intelligence artificielle, on met en scène une dystopie familière, où la discipline s’érige en valeur suprême. Chaque élève devient suspect, chaque interaction surveillée. Derrière ce dispositif se dessine une critique de la société japonaise contemporaine, marquée par l’obsession du contrôle social et de la conformité. Le proviseur, figure autoritaire incarnée par Shiro Sano, est l’incarnation caricaturale d’un système qui punit le moindre écart, tout en se drapant dans une supériorité morale.

La confrontation autour des sushis et des kimbap illustre cette logique : un simple acte culinaire se transforme en affrontement idéologique, révélant comment le pouvoir manipule la norme pour imposer son autorité.
Cette société de surveillance dépasse le cadre scolaire. Elle résonne avec les traumatismes de l’histoire japonaise, des rumeurs meurtrières de 1923 aux discriminations réactivées après Fukushima. L’IA incarne la continuité de cette logique : une machine qui prétend neutraliser les failles humaines, mais qui enferme surtout la jeunesse dans une cage invisible.

HappyEnd © Eurozoom

Une jeunesse rêvant de révolution avant la normalisation

HappyEnd, c’est un réalisateur piégé dans une forme de nostalgie des révoltes adolescentes. L’amitié, l’amour et l’envie de changer le monde moteur d’un accomplissement avant de tomber dans une forme de normalisation totale. Comme Hair ou tous les films avec des adolescents contre leurs ainés ! Neo Sora revendique cette filiation cinéphile en citant La Fureur de Vivre de Nicholas Ray, Une Belle journée d’été d’Edward Yang et Les Rebelles du dieu néon de Tsai Ming-liang. Ces films, centrés sur des jeunesses en marge, infusent Happyend d’une énergie à la fois rageuse et mélancolique. Mais le cinéaste ne se limite pas au cinéma : il convoque la mémoire du massacre des Coréens de 1923, conséquence d’un séisme et de rumeurs racistes, pour la rapprocher de Fukushima et des discours discriminants ressurgissant sur les réseaux sociaux. On voit sans cesse le comportement agressif des policiers et du gouvernement envers les non-japonais. Ils sont même exclus de la vie civique où l’on estime qu’ils n’ont pas à être sensibilisé aux enseignements de la défense. Ils vivent, naissent dans ce pays, paient des impôts et contribuent à l’essor du Japon, mais n’ont jamais le droit d’être reconnu comme de vrais japonais !

Cette tension innerve aussi la mise en scène. Avec Bill Kirstein à la photographie, Neo Sora compose des images traversées de faisceaux lumineux, d’ombres mouvantes et de profondeurs de champ appuyées, métaphores visuelles d’une amitié instable comme des plaques tectoniques prêtes à céder. Les décors, choisis à Kobe plutôt qu’à Tokyo, apportent une authenticité brute : les lycées techniques ont offert leurs couloirs bétonnés, décorés et graffés par les élèves eux-mêmes.

La bande-son agit comme un manifeste. Lia Ouyang Rusli mêle techno, ambiant et partitions classiques, dialoguant avec les sets du DJ Yousuke Yukimatsu et la chanson contestataire de Nobuyasu Okabayashi, jadis interdite pour son contenu politique. La musique devient un cri de résistance arraché au silence imposé. Enfin, le cinéaste insuffle une ironie grinçante avec la confrontation entre sushis et kimbap ou le bento lancé en référence à George W. Bush, rappelant que la révolte sait aussi se moquer. Né en 1991 à New York, déjà auteur de The Chicken et Opus, Neo Sora signe avec Happyend un premier long-métrage où mémoire collective, énergie adolescente et cinéma s’entrechoquent pour redonner voix à une jeunesse qu’on voudrait étouffer.

Happyend dénonce ce monde où la norme s’impose jusque dans les désirs intimes, où la musique elle-même devient une menace. Pourtant, à travers l’énergie des adolescents, le film esquisse une échappée possible : l’amitié, l’art et la révolte comme brèches dans ce système totalitaire. Neo Sora rappelle ainsi que si la surveillance prétend protéger, elle fabrique surtout des générations prêtes à exploser.

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Note : 3.5 sur 5.

1 octobre 2025 en salle | 1h 53min | Drame, Science Fiction
De Neo Sora | 
Par Neo Sora
Avec Hayato Kurihara, Yukito Hidaka, Ayumu Nakajima


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