Un simple accident, quand le passé refait surface


Un banal accident, un doute qui déchire, une société hantée par ses fantômes. Avec Un simple accident, Jafar Panahi signe un thriller implacable sur la mémoire, la culpabilité et l’impossible reconstruction après la guerre.

Avec Un simple accident, Jafar Panahi livre un thriller tendu qui puise sa force dans l’intime et le politique. Né de sa propre expérience carcérale, le film scrute les cicatrices invisibles de la guerre et des régimes autoritaires, en les transposant dans une histoire d’apparence banale : un accident, une rencontre fortuite, un doute qui bouleverse tout. Loin d’un simple drame, le récit emprunte aux codes du film noir et installe une atmosphère suffocante, où le spectateur est happé dans un huis clos psychologique. La mort d’un chien, métaphore du basculement, agit comme une sentence divine : chaque regard détourné entraîne ses propres retombées. Entre mémoire collective et drame personnel, Jafar Panahi signe une œuvre radicale sur l’impossible oubli et sur la survie morale des victimes comme des bourreaux.

Une collision banale qui devient le détonateur d’un retour du passé

L’intrigue repose sur une collision banale, qui devient le déclencheur d’une spirale infernale. Vahid, interprété par Vahid Mobasseri, croit reconnaître dans un père de famille son ancien tortionnaire. Mais l’homme, campé par Ebrahim Azizi, nie farouchement. Le doute s’installe, et le spectateur est entraîné dans cette zone grise où vérité et mensonge se confondent. Autour de ce duo, Jafar Panahi orchestre une galerie de personnages marqués par l’histoire récente de l’Iran. Maryam Afshari incarne Shiva, figure féminine résistante, tandis que Hadis Pakbaten et Majid Panahi prêtent leurs visages aux mariés, symboles d’innocence et de fragilité. Mohamad Ali Elyasmehr (Hamid) et Georges Hashemzadeh (Salar) enrichissent encore cette fresque, chacun portant une facette de l’opposition ou de la mémoire collective. Le film repose sur l’intensité de ces interprètes, souvent non-professionnels, dont la sincérité confère à l’ensemble une force brute.

Un simple accident © Les Films Pelleas

Quand le passé refait surface.

Le film avec un ton grave prend les railles du thriller et film noir. On plonge dans un enchainement fortuit d’évènements arrivant après un simple accident. Un peu comme si tout était écrit, les protagonistes se battent contre l’impossible remise à zéro de leur vie.

Comme pour marquer la fatalité ou l’impact spirituel dans la vie des personnages, Il y a une symbolique importante dans la mort du chien percuté dans l’ouverture du film. Quand ce père de famille semblant bon et honnête détourne les yeux, il enclenche comme une forme de retour de bâton divin.

Le film montre l’impossible reconstruction des victimes et des bourreaux dans une guerre. Des vies brisées qui n’arriveront jamais à réparer, l’impossible oubli et la tentative d’avancer, mais à cloche pied. Le film entraine le spectateur dans un bourbier où plus on avance, et plus on s’enfonce vers l’impossible retour…

La guerre et ses conséquences

Un simple accident dépasse le thriller pour se transformer en méditation sur les séquelles de la guerre et des régimes oppressifs. Jafar Panahi s’inspire des récits de prisonniers pour explorer les traumatismes laissés par la violence institutionnelle. Les personnages portent dans leurs gestes et leurs silences l’impossible reconstruction : qu’ils soient victimes ou bourreaux, tous avancent à cloche-pied, incapables de guérir totalement. Le film met en scène cette tension permanente, où l’amour, la famille ou l’oubli semblent dérisoires face aux blessures intérieures.

Le film souligne cette dimension : chaque accident, chaque détour du regard devient une métaphore du poids du passé. La mort du chien, symbole brutal, incarne ce retour de bâton quasi divin qui rappelle que rien n’échappe aux conséquences. Le cinéaste enferme ses personnages dans des huis clos étouffants, où la confrontation ne laisse aucune échappatoire. Plus on avance, plus on s’enfonce dans un bourbier moral où la frontière entre bien et mal se dissout.

Un simple accident © Les Films Pelleas

La guerre apparaît ainsi sous une forme insidieuse, invisible, mais omniprésente. Elle ne se réduit pas aux combats : elle persiste dans les psychés, les familles, les regards. À travers Vahid, simple ouvrier réclamant son dû, ou Shiva, qui incarne une résilience féminine, le film dévoile une société fracturée, marquée par la répression, mais aussi par des élans de survie. Comme l’explique le réalisateur, certains anciens détenus deviennent obsédés par la vengeance, quand d’autres cherchent à se projeter malgré tout dans l’avenir.

Cette ambivalence innerve tout le film, et c’est là que le réalisateur réussit : il ne cherche pas à opposer victimes et bourreaux dans un schéma manichéen, mais à montrer la complexité d’êtres humains écrasés par l’Histoire. L’accident n’est jamais vraiment simple : il est le révélateur d’un passé enfoui qui refait surface, d’une douleur que ni le temps ni la société ne parviennent à effacer.


Des personnages intenses, des scènes en huis-clos brutales. Un simple accident nous fracasse dans notre vision du bien et du mal ! Jafar Panahi ne filme pas seulement une histoire de vengeance ou de doute, il orchestre une plongée dans les cicatrices invisibles laissées par la guerre et l’oppression. Chaque geste, chaque silence, devient une fissure où s’engouffre le spectateur, incapable de se détacher du poids de cette confrontation. Le film impose une atmosphère suffocante, où l’impossible réconciliation entre victimes et bourreaux se dessine avec une lucidité implacable. La tension dramatique ne s’épuise jamais, jusqu’à transformer un simple fait divers en métaphore universelle : la mémoire collective n’oublie rien et l’Histoire, même enfouie, finit toujours par resurgir.

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Note : 4 sur 5.

1 octobre 2025 en salle | 1h 42min | Drame
De Jafar Panahi | 
Par Jafar Panahi
Avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi
Titre original Yek tasadef sadeh


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