La mort n’existe pas : le conte tragique et animé de Félix Dufour-Laperrière sur la révolte, le doute et l’élan vital


Un conte animé qui questionne nos idéaux et nos hésitations : entre violence, amour et révolte, La mort n’existe pas de Félix Dufour-Laperrière fait du mouvement le cœur battant de la vie.

Avec La mort n’existe pas, Félix Dufour-Laperrière propose un conte tragique animé où le politique et l’intime se superposent. À travers le destin d’Hélène, jeune militante qui hésite au seuil de l’action violente, le cinéaste explore l’impossible équilibre entre convictions et sentiments, loyauté et fuite, idéal et désespoir. L’animation, à la fois poétique et brutale, matérialise ces dilemmes en images mentales, paysages mouvants et visions animales. Ce récit en suspension, à la fois ancré dans l’actualité et intemporel, interroge la légitimité de la révolte, la tentation du renoncement, et l’éternelle tension entre violence et immobilisme.

Le militantisme ou la prise de conscience brutale ?

L’histoire s’ouvre sur une attaque menée par Hélène et ses compagnons contre une demeure riche et influente. Mais au moment crucial, elle fige et s’enfuit, laissant derrière elle Manon, son amie et complice. Dès lors, le récit bascule dans une logique de seconde chance : Manon revient hanter Hélène, l’invitant à rejouer son choix, à affronter à nouveau l’alternative entre trahison et loyauté. Autour de ce duo féminin, d’autres figures s’entrelacent : Marc, aimé mais impuissant à canaliser ses doutes ; Martine et Rémi, compagnons d’armes ; et la vieille dame, paradoxal miroir d’Hélène, à la fois cible et double symbolique. Ces personnages portent des contradictions intimes, coincés entre l’élan de l’action collective et les fractures intérieures. Leurs dilemmes deviennent le cœur dramatique du film : comment concilier amour, amitié et idéaux quand l’engagement exige rupture et sacrifice ?

Une œuvre digne d’une réflexion existentialiste entre Les Mains Sales et La Peste. La vie ici est représentée par le mouvement, il a un coût. Pour changer les choses, il faut avoir « les mains sales »… Le film pousse à se questionner sur les dangers d’une vie passive dans laquelle on regarde les choses se détruire. Un peu comme le chantait Mickey 3D, un jour il n’y aura plus personne pour se laver les mains.

La révolte sans action ne mène à rien

Le film déploie une réflexion sur l’illusion des certitudes et la nécessité du passage à l’acte. Hélène, paralysée au seuil de la violence, incarne l’impasse de l’immobilisme : vouloir changer le monde sans en assumer le prix revient à condamner l’élan révolutionnaire à l’extinction. Félix Dufour-Laperrière confronte ses personnages à ce paradoxe : il faut parfois s’attaquer aux symboles pour remettre en marche l’Histoire, même si les conséquences échappent à ceux qui déclenchent l’étincelle. La demeure assiégée devient ainsi métaphore du statu quo, forteresse d’un ordre social figé. Manon, en revenant hanter Hélène, incarne la voix de l’engagement pur, sans compromis, rappelant que la révolte ne vit que dans l’action. Mais cette radicalité se heurte à ses propres limites : la violence bouleverse, mais ne garantit pas la justice. C’est ce tragique qui traverse le film, où chaque personnage prend conscience de l’impossibilité du statu quo comme de l’impossibilité de la violence, laissant le spectateur face à une vérité brute : sans mouvement, aucun fruit édifiant ne peut naître.

La révolte sans action ne mène à rien. Immobilisme et les certitudes sans changement par l’action ne mènent jamais à des fruits édifiants. Il faut s’attaquer aux symboles pour remettre les choses en marche. 

La réflexion animiste et romantique

Le cœur philosophique du film s’enracine dans une vision animiste et romantique du monde : l’Anima, c’est-à-dire le mouvement, équivaut à la vie. L’animation, par ses métamorphoses et ses formes mouvantes, traduit ce principe vital où chaque souffle, chaque geste, devient acte de résistance au néant. Les animaux, omniprésents, incarnent cette vitalité : colibri fragile et insaisissable, passereau renaissant, coyotes et brebis dans une danse incessante de proie et de prédateur. Tous rappellent que vivre, c’est avancer, se mouvoir, persister. En suspendant Hélène entre fuite et action, le récit illustre la tension entre immobilisme mortifère et mouvement porteur de sens. Le romantisme du film ne réside pas seulement dans l’exaltation des idéaux, mais dans cette conviction que la vie se définit par le flux, la transformation, la lutte permanente. Dans La mort n’existe pas, l’image animée devient alors langage philosophique : donner à voir le mouvement, c’est affirmer que l’existence ne tient que dans l’élan vital.

La réflexion nous ramène à la philosophie romantique ou animiste où l’Anima = le mouvement = la vie.

Des couleurs évoluant selon l’état de la psyché du personnage d’Hélène

Dans le film, les couleurs ne sont pas de simples aplats décoratifs, elles deviennent l’expression directe de l’intériorité des personnages, et en particulier d’Hélène. Le réalisateur a choisi de peindre les teintes sur papier avant de les intégrer à l’animation, afin de maintenir une proximité organique entre les corps et les paysages. Loin de séparer figures et décors, le film entretient volontairement une fusion graphique : les émotions se diffusent dans l’espace, les tensions intimes se lisent dans la matière visuelle.

Les teintes mouvantes traduisent la psyché tourmentée de l’héroïne, ses doutes et ses élans. Chaque couleur agit comme un reflet de son état intérieur, matérialisant à l’écran ses contradictions et ses désirs. Par ce travail, l’animation devient un langage sensible, capable de transformer les émotions en paysages et de donner une texture concrète aux dilemmes existentiels.

La mort n’existe pas UFO distribution ©

La mort n’existe pas se déploie comme un conte tragique et poétique où l’intime rejoint le politique. Félix Dufour-Laperrière signe une œuvre singulière qui refuse le confort du jugement univoque. Hélène, en incarnant le doute et l’hésitation, révèle la fragilité de nos engagements et l’urgence de se confronter aux symboles pour faire bouger l’ordre établi. À travers l’animation, le cinéaste matérialise le mouvement comme essence de la vie, rappelant qu’une existence immobile est déjà une forme de mort. Ce film, entre rêve et manifeste, invite chacun à interroger son rapport à l’action, à la loyauté et au courage d’assumer le prix de ses idéaux.

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Note : 4 sur 5.

1 octobre 2025 en salle | 1h 12min | Animation
De Félix Dufour-Laperrière | 
Par Félix Dufour-Laperrière
Avec Zeneb Blanchet, Karelle Tremblay, Mattis Savard-Verhoeven


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