Avec Honeymoon, Zhanna Ozirna signe un huis clos d’une intensité rare. La guerre n’est jamais montrée, mais ressentie à travers le hors-champ, les silences et les mots. Un récit intime qui transforme l’absence d’images en expérience sensorielle, où l’amour devient un rempart fragile face à l’horreur.
Dans Honeymoon, la réalisatrice Zhanna Ozirna s’empare d’un récit intime pour traduire l’irruption brutale de la guerre dans la vie d’un jeune couple. Olya et Taras viennent d’emménager lorsqu’à l’aube, le fracas des explosions brise la promesse d’un futur heureux. La cinéaste, nourrie par les témoignages de proches confrontés à l’occupation russe, choisit une mise en scène minimaliste où l’essentiel repose sur la parole et le hors-champ. La critique souligne l’intensité de ce dispositif : les cadrages fixes et l’absence d’images directes de guerre installent le spectateur en témoin silencieux. Ainsi, le film révèle comment l’amour et la peur se mêlent, dans un huis clos où le temps se déconstruit et où l’existence se redéfinit au rythme des bruits extérieurs, échos d’une réalité absente, mais omniprésente.

L’invasion russe vu par des couples de différents horizons
Février 2022, l’invasion russe éclate alors qu’Olya et Taras célèbrent leur première nuit dans un nouvel appartement. Leur bonheur naissant se voit aussitôt confronté à l’effroi : piégés dans leur foyer, encerclés par les forces ennemies, ils doivent apprendre à survivre, dans l’attente et l’incertitude. Portés par Ira Nirsha et Roman Lutskyi, les personnages se déploient bien au-delà d’une simple chronique de guerre. Olya et Taras incarnent à la fois la jeunesse ukrainienne, pleine de projets et de désirs, et une humanité universelle, confrontée à la fragilité de ses repères. À travers eux, Zhanna Ozirna explore des thématiques qui dépassent le conflit : la tendresse, la sexualité, le couple en devenir, mais aussi la peur, la panique et la nécessité de faire confiance. Ce sont ces tensions entre l’intime et l’historique qui confèrent au film sa force, rendant le spectateur complice de leurs émotions contradictoires et de leur combat invisible pour préserver leur identité.
La guerre vue de l’intérieur sans aucune image
La singularité de Honeymoon réside dans son refus de montrer la guerre frontalement. Zhanna Ozirna privilégie un hors-champ sonore et psychologique qui fait de chaque bruit une menace, de chaque silence une attente angoissante. Dès les premières séquences, la caméra fixe à hauteur d’homme impose une proximité troublante : le spectateur observe, mais ne participe pas, prisonnier d’un regard contraint. Comme l’indique la critique, nous devenons voyeurs silencieux, témoins de la lente déconstruction de deux êtres que l’isolement coupe du monde. Privés d’actions visibles, Olya et Taras ne peuvent que verbaliser le temps : évoquer hier, imaginer demain, tenter de donner un sens à un présent suspendu. Les mots remplacent l’expérience, et la parole devient le dernier espace de résistance face à l’effacement du réel.
Ce choix esthétique s’appuie sur une volonté de rompre avec les stéréotypes médiatiques de la guerre. En filmant l’absence d’images, la réalisatrice déplace le conflit vers l’intérieur des personnages, transformant l’appartement en espace mental où s’entrelacent l’amour, la peur et l’espérance. Le spectateur comble les vides par ses propres représentations, nourri par le hors-champ sonore. Les comédiens incarnent avec intensité cette tension : chaque regard, chaque silence devient porteur de menace ou d’élan vital. Le film ne raconte pas seulement une histoire d’occupation, il fait ressentir l’expérience du vide, l’usure du temps, la perte progressive de repères. Honeymoon n’est donc pas un récit de guerre classique, mais une plongée dans le huis clos d’âmes confrontées à l’impossible, où l’intimité devient champ de bataille et où la survie se joue dans la capacité à préserver l’amour comme ultime rempart.

Notre avis sur ce film
Le film arrive à nous positionner en voyeur silencieux par le choix des cadrages d’abord par ses trois premières séquences : plans fixes et sans mouvement, à hauteur d’homme. Nous observons ces deux couples dans leurs vies et leurs craintes. Puis la guerre éclate, la puissance du dispositif filmique est de montrer en témoin silencieux ces deux couples peu à peu subir la déconstruction de soi imposé par un isolement.
Les mots verbalisés deviennent le seul moyen de donner du sens aux temps : le passé, le présent et le futur, ils sont si abstraits quand on n’a pas la possibilité de vivre et d’Être. Peu à peu, le réel se déconstruit et se conditionne aux bruits de la Guerre entièrement en hors champs.
Le film est intense dans son propos et le jeu de ses acteurs-actrices : tout repose sur leur capacité à occuper un espace clos et donner vie aux hors champs que l’on va nourrir de nos propres représentations de la guerre.
Honeymoon s’impose comme une œuvre singulière sur la guerre : sans montrer un seul combat, le film en restitue toute la violence intérieure. Zhanna Ozirna transforme l’appartement d’Olya et Taras en terrain de survie émotionnelle, où l’amour résiste tant bien que mal à la peur. Un dispositif minimaliste et radical qui fait du spectateur un témoin silencieux, projetant ses propres représentations. Une expérience éprouvante et profondément humaine.

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1 octobre 2025 en salle | 1h 24min | Drame
De Zhanna Ozirna |
Par Zhanna Ozirna
Avec Ira Nirsha, Roman Lutskyi
Titre original Medovyi Misiats
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