Présenté à Deauville après Venise, Bugonia a confirmé son statut d’événement cinématographique. Yorgos Lanthimos et Emma Stone poursuivent leur collaboration avec une œuvre audacieuse, dérangeante et jubilatoire. Entre satire sociale, paranoïa complotiste et performance physique extrême, ce récit absurde et violent invite le spectateur à franchir ses propres limites, dans un cinéma toujours prêt à secouer et diviser.
Avec Bugonia, Yorgos Lanthimos poursuit son exploration d’un cinéma radical et visionnaire. Inspiré du film coréen Save the Green Planet !, le cinéaste met en scène deux hommes, incarnés par Jesse Plemons et Aidan Delbis, persuadés que la PDG qu’ils enlèvent – jouée par Emma Stone, métamorphosée jusque dans un crâne rasé – est une extraterrestre. Le récit se nourrit de cet absurde initial pour tendre vers une farce grinçante où capitalisme, incels et complotisme se télescopent. On retrouve la précision clinique du réalisateur grec, sa manière kubrickienne de suivre ses personnages, et une atmosphère musicale étouffante qui s’intensifie au fil du récit. Comme dans La Favorite ou Pauvres créatures, la collaboration avec Emma Stone bouscule les codes du jeu : la comédienne accepte coups, torture et souffrance physique pour donner chair à ce personnage. Farce et cruauté se mêlent ici à une satire politique, dessinant un portrait de l’Amérique paranoïaque et fracturée.

Un film de frictions et d’humour noir
Le cinéma de Yorgos Lanthimos a toujours été un terrain de friction, un espace où la cruauté côtoie l’humour noir et où l’absurde dénonce les dérives du monde contemporain. Avec Bugonia, cette logique est poussée à son paroxysme. La première partie du film installe une atmosphère oppressante, faite de dialogues obsessionnels et de rituels absurdes. Puis vient une bascule, une montée en tension qui culmine dans une dernière demi-heure démente, véritable libération stylistique et narrative. Emma Stone, muse du cinéaste, incarne une victime dont la force paradoxale se déploie dans la douleur. Son engagement est total, à l’image de son crâne rasé ou de sa démarche de plus en plus vacillante, signe des sévices endurés par son personnage. Face à elle, Jesse Plemons livre une prestation glaçante, oscillant entre banalité et fanatisme.
Le cinéaste n’épargne rien ni personne : les dérives capitalistes, les violences faites aux femmes, la logique conspirationniste qui envahit l’imaginaire collectif. Le rire naît du malaise, de la disproportion des situations, mais aussi de cette cruauté qui révèle la fragilité humaine. L’influence de Stanley Kubrick se perçoit dans les plans millimétrés, dans l’ironie grinçante et dans l’utilisation magistrale de la musique. Comparé récemment à Eddington d’Ari Aster – autre parabole sur l’Amérique contemporaine, déjà avec Emma Stone –, Bugonia s’impose comme un miroir acide, entre grotesque et horreur. Si certains spectateurs, comme à Deauville, ont rejeté frontalement le film, d’autres l’ont accueilli comme une expérience radicale, éprouvante mais inoubliable. Le réalisateur confirme qu’il n’est pas un cinéaste de consensus : il divise, choque, secoue. C’est précisément cette absence de confort qui fait la puissance et la singularité de son cinéma.
Après son passage remarqué à la Mostra de Venise, Bugonia a été présenté en avant-première française au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2025, le samedi 6 septembre. L’événement a marqué la 51ᵉ édition, attirant curieux et cinéphiles venus découvrir la nouvelle collaboration entre l’actrice et le réalisateur. La sortie en salles est prévue pour le 26 novembre 2025 en France, distribuée par Universal Pictures International. Cette date en fait l’un des rendez-vous majeurs de la fin d’année, avec une attente nourrie par l’accueil contrasté des festivals.
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