Tu me ressembles, itinéraire intime et fracassant d’une vie brisée


Un récit coup de poing sur la radicalisation et l’identité fracturée. Tu me ressembles de Dina Amer revient sur le destin tragique de Hasna Aït Boulahcen, au-delà des gros titres médiatiques. Présenté à la Mostra de Venise et produit par Spike Lee, Spike Jonze et Claire Denis, le film explore la quête d’appartenance, les blessures d’enfance et les fractures sociales qui mènent à l’impensable.
Disponible le 22 septembre 2025 sur UniversCiné.

Anatomie de la radicalisation

Portrait-robot d’une radicalisation fulgurante, Tu me ressembles scrute les fractures intimes et collectives qui traversent notre époque. Le 18 novembre 2015, la France découvre le visage de Hasna Aït Boulahcen, d’abord présentée comme la première femme kamikaze d’Europe. Quelques instants plus tard, l’histoire chancelle : une vidéo révèle ses cris désespérés, demandant à fuir. Entre vérité médiatique, mémoire familiale et douleur intime, la réalisatrice Dina Amer choisit de raconter non pas un fait divers, mais le destin d’une enfant brisée devenue symbole. Présenté à la Mostra de Venise et produit par Spike Lee, Spike Jonze et Claire Denis, ce biopic puissant plonge dans la quête d’appartenance et le vertige identitaire, et interroge : comment une vie, à force d’abandons et de silences, peut-elle basculer dans l’irréparable ?


Un récit intime et sensible

À travers un récit intime et sensible, le film raconte l’histoire de Hasna Aït Boulahcen, jeune femme dont le parcours a été simplifié et caricaturé par les gros titres. Née dans une famille chaotique, arrachée à sa sœur cadette Mariam et confiée à l’Aide Sociale à l’Enfance, Hasna tente de se construire entre déchirements familiaux et désirs d’appartenance. Pour incarner cette multiplicité, la cinéaste choisit trois visages : Lorenza Grimaudo, Mouna Soualem et Sabrina Ouazani, auxquelles elle ajoute sa propre interprétation. Ce choix radical exprime la fragmentation d’une identité toujours en fuite. Mariam, interprétée par Ilonna Grimaudo, reste la mémoire blessée de cette sororité rompue trop tôt. Autour d’elles gravitent figures d’autorité, cousins, éducateurs et recruteurs, reflets d’un monde qui enferme plus qu’il ne libère. Au croisement de la chronique sociale et de la tragédie intime, le film donne chair à des destins trop souvent réduits à des clichés médiatiques.


Des personnages hantés par quelque chose de fort et qui les dépasse

Hasna Aït Boulahcen, telle que décrite par Dina Amer, n’est pas seulement un visage figé dans un fait divers, mais l’incarnation d’une génération perdue dans un labyrinthe d’injonctions contradictoires. Entre l’image d’une « cowgirl » libre et excessive que ses amis décrivent, et celle de la supposée « kamikaze » relayée par les chaînes d’information, se déploie une fracture béante. Cette scission n’est pas seulement personnelle, elle est familiale, sociale et culturelle. Elle est aussi le fruit de traumatismes répétés, d’une enfance marquée par la pauvreté, la violence parentale et la séparation brutale d’avec sa sœur cadette. Hasna incarne une faille : celle d’une jeune femme qui cherche l’amour, l’attention et l’appartenance, mais qui les trouve aux pires endroits. Son rapport à la foi, loin d’être une adhésion idéologique consciente et construite, traduit surtout une quête de sens dans un monde où elle n’a cessé de se sentir rejetée.

Autour d’elle, Mariam, la sœur restée dans l’ombre, représente une mémoire blessée. Elle est témoin et victime de la même histoire, mais choisit un autre chemin, refusant la spirale qui a englouti Hasna. Leurs liens, faits d’amour et de colère, révèlent combien la sororité aurait pu être une planche de salut si le système ne les avait pas séparées. La famille dysfonctionnelle, entre une mère instable et des figures masculines absentes ou destructrices, nourrit l’errance de Hasna. Elle ne cesse de se heurter à l’absence d’ancrage, d’où cette capacité à se réinventer sans cesse, jusqu’à l’épuisement. La radicalisation apparaît moins comme un choix libre que comme une échappatoire tragique, le dernier refuge pour combler un vide insupportable.


Les différentes facettes d’un fantôme

Chaque interprète de Hasna traduit une facette différente de ce fantôme identitaire. Lorenza Grimaudo exprime l’enfance insoumise et joyeuse, celle qui court dans les rues de banlieue et rêve d’un avenir. Mouna Soualem incarne la vulnérabilité, le tiraillement entre désir de liberté et enfermement social. Sabrina Ouazani révèle la combativité et la désinvolture, cette force qui permet de survivre, mais qui cache une fragilité abyssale. Enfin, la réalisatrice elle-même se met en scène, comme pour rappeler que cette histoire lui ressemble aussi, elle qui a grandi dans les contradictions d’une identité musulmane et occidentale. Cette multiplicité souligne combien Hasna était fragmentée, incapable de se tenir dans une seule peau, condamnée à porter des masques jusqu’à se perdre.

La figure d’Abdelhamid Abaaoud, cousin et recruteur, ajoute une ombre menaçante. Plus qu’un simple bourreau, il est l’incarnation du piège : un manipulateur qui capte les failles des plus vulnérables pour les transformer en instruments. Face à lui, Hasna reste une proie, jamais une stratège. Cette dimension tragique confère au film une profondeur shakespearienne : Hasna n’est pas monstrueuse, elle est une victime, happée par un engrenage qui la dépasse. Le spectateur comprend alors que l’horreur n’efface pas l’humanité, mais en révèle les fragiles fractures. Ici, on ne cherche pas l’excuse, mais la recherche de la vérité de la douleur, et dans ce geste, elle redonne à Hasna ce qui lui avait été volé : son humanité.


Un travail esthétique fort

Sur le plan visuel, Dina Amer opte pour une esthétique immersive, où la caméra devient presque un personnage à part entière. Filmée au plus près des corps et des visages, l’image capture les soubresauts intérieurs de Hasna et Mariam. Les rues de banlieue, filmées comme des terrains de jeu autant que des espaces d’exil, reflètent la dualité de ces vies suspendues entre liberté et enfermement. L’usage de la technologie deepfake, loin d’être un gadget, illustre la dissociation identitaire : Hasna change littéralement de visage, rappelant combien elle fut prisonnière de regards contradictoires. La photographie, signée Omar Mullick, épouse cette fragilité, jouant sur des lumières crues, des plans serrés et une mise en scène quasi documentaire. La musique de Saunder Jurriaans et Danny Bensi ajoute une tension souterraine, entre mélancolie et angoisse diffuse. Ce choix esthétique, loin d’une surenchère dramatique, place le spectateur au plus près des émotions, dans une intimité troublante. Le film refuse la distance et préfère l’immersion totale, jusqu’à ce que le spectateur ressente dans sa chair l’errance et la douleur d’Hasna.


Ce qu’on doit savoir avant ou après la découverte du film

Avant de découvrir Tu me ressembles, il est essentiel de se défaire des clichés médiatiques. Hasna n’était pas une figure héroïque ni un monstre, mais une femme réelle, marquée par des traumatismes profonds. Le film invite à regarder au-delà des gros titres, à comprendre qu’il n’y a pas de réponse simple, mais une multitude de fractures. Ce récit propose une plongée intime dans une quête identitaire, et rappelle que derrière chaque destin tragique se cache une histoire familiale, une douleur et une humanité à reconnaître.


Après avoir vu ce film, le spectateur peut ressentir un vertige : celui d’avoir approché de près une vie brisée sans jamais pouvoir en percer totalement le mystère. Dina Amer rappelle que l’on ne saura jamais qui était vraiment Hasna, et c’est peut-être cela, le cœur du film : accepter le flou, l’inconnu et les contradictions. Cette incertitude oblige à l’humilité, et à une réflexion plus large sur les mécanismes de rejet et de radicalisation qui traversent nos sociétés.


Finalement, Tu me ressembles n’est pas un film qui cherche à apaiser. C’est une œuvre qui dérange, qui bouscule et qui interroge notre rapport collectif à la mémoire, à la justice et à l’appartenance. Comprendre Hasna, ce n’est pas excuser, c’est refuser la facilité des jugements expéditifs. En offrant plusieurs visages à son héroïne, le film propose au public de s’interroger : jusqu’où peut-on se ressembler, et à quel moment le poids des blessures devient-il plus fort que la volonté de s’en libérer ?

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Note : 4 sur 5.

22 septembre 2025 | 1h30 | Drame
De Dina Amer | Par Dina Amer, Omar Mullick
Avec Lorenza Grimaudo, Ilonna Grimaudo, Mouna Soualem
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