Kontinental ’25 – Un regard glacial sur l’Europe contemporaine


Avec Kontinental ’25, Radu Jude signe un drame social intense : Orsolya, huissière à Cluj, est confrontée au suicide d’un sans-abri expulsé. Entre culpabilité, satire et mémoire de la Transylvanie, le film interroge nos responsabilités face aux exclus et aux fractures d’une Europe en crise.

Radu Jude signe une nouvelle œuvre tranchante qui conjugue lucidité sociale et regard cinématographique audacieux. Le film s’ouvre sur la trajectoire d’un sans-abri avant de basculer vers Orsolya, une huissière de justice confrontée au suicide de l’homme qu’elle devait expulser. À travers ce geste irréversible, le cinéaste explore les dilemmes moraux d’une société roumaine fracturée entre modernité triomphante et laissés-pour-compte. Entre comédie absurde et tragédie intime, Kontinental ’25 questionne notre rapport à la culpabilité, aux injustices quotidiennes et aux contradictions d’un monde où la prospérité s’affiche au prix de vies brisées.


Kontinental ’25 © Météore Films

Dans la Transylvanie moderne, rien ne va plus !

Orsolya, interprétée par Eszter Tompa, exerce le métier d’huissière de justice à Cluj, en Transylvanie. Lorsqu’elle est chargée d’expulser un sans-abri installé dans le sous-sol d’un immeuble de luxe, l’événement prend une tournure dramatique : l’homme met fin à ses jours. Ce drame agit comme un électrochoc pour Orsolya, qui doit affronter ses propres contradictions et un sentiment de culpabilité envahissant. Entre routines administratives et conscience morale, elle cherche des échappatoires dérisoires – lectures engagées, dons caritatifs – sans parvenir à apaiser le poids d’une responsabilité diffuse. Le film dévoile une héroïne à la fois ordinaire et profondément humaine, prisonnière d’un système néolibéral qui la dépasse. Orsolya incarne ainsi la figure du témoin impuissant : celle qui voit, qui agit selon la loi, mais qui porte en elle le fardeau des injustices dont elle devient, malgré elle, le relais.

Kontinental ’25 déploie un regard glacial sur l’Europe contemporaine en exposant ses contradictions les plus criantes. Derrière le destin tragique d’un sans-abri expulsé et la culpabilité d’Orsolya, huissière prise dans la mécanique implacable de la loi. Ici ,on pointe une société où la prospérité économique masque des fractures béantes. Loin de l’idéalisme européen, le film révèle un continent obsédé par son image de modernité, mais incapable de protéger ses plus vulnérables. En choisissant Cluj, vitrine technologique, mais terrain de gentrification brutale, Jude oppose réussite et effondrement social. Ce contraste glaçant rappelle que l’Europe, malgré ses discours d’unité et de progrès, se construit aussi sur l’indifférence, la culpabilité collective et le sacrifice des invisibles.


Héritage historique et fractures identitaires

La Transylvanie, région charnière de l’Europe centrale, porte les stigmates d’une histoire mouvementée. Carrefour des cultures roumaine, hongroise et allemande, elle a longtemps été marquée par des tensions identitaires et des rapports de domination successifs. Après la chute de Ceaușescu en 1989, la Roumanie a basculé d’une dictature communiste à une démocratie libérale fragile. Pourtant, ce passage ne s’est pas accompagné d’une véritable politique sociale. Les promesses de réconciliation nationale et de protection citoyenne se sont souvent effritées face aux logiques du marché, laissant perdurer un sentiment d’injustice historique. Dans ce cadre, Cluj – ville emblématique de la Transylvanie – est devenue un miroir des contradictions : vitrine européenne moderne et connectée, mais aussi espace où les minorités et les plus démunis peinent à trouver leur place.

Transition économique et inégalités croissantes

Depuis les années 2000, la Roumanie connaît une croissance soutenue, portée par l’intégration européenne et l’essor de secteurs comme l’informatique. Cluj en est l’exemple le plus visible : la ville attire les capitaux étrangers, se transforme en pôle technologique et voit sa population augmenter. Mais derrière cette réussite économique se cache une fracture sociale béante. Les loyers flambent, la gentrification expulse les habitants modestes, et les infrastructures publiques – écoles, hôpitaux, services sociaux – peinent à suivre. Le film illustre cette réalité par le destin du sans-abri expulsé, victime directe d’un urbanisme où l’essor immobilier efface les invisibles. Orsolya, fonctionnaire prise dans cette mécanique, reflète les dilemmes d’une société où l’individu, même animé de bonnes intentions, se retrouve complice d’un système qui marginalise toujours davantage les plus fragiles.

Mémoire collective et responsabilité contemporaine

La Transylvanie n’est pas seulement une terre de croissance économique ; elle est aussi chargée d’une mémoire lourde, faite de guerres, de dictatures et de migrations. Radu Jude rappelle combien ces passés pèsent encore sur la conscience roumaine contemporaine. Après la dictature, la Roumanie n’a pas construit un modèle social protecteur, mais s’est engouffrée dans un néolibéralisme qui valorise la réussite individuelle et laisse les exclus livrés à eux-mêmes. La culpabilité d’Orsolya, héroïne du film, incarne ce malaise collectif : comment vivre dans un pays qui a survécu aux tragédies du XXe siècle, mais qui tolère aujourd’hui des injustices criantes au nom du progrès ? En inscrivant son récit au cœur de Cluj, ville moderne entourée de villages démunis, le réalisateur oppose la vitrine européenne à ses failles internes. Kontinental ’25 s’impose ainsi comme une réflexion universelle sur les paradoxes du développement.


Ne plus détourner le regard

Un film qui parle de notre responsabilité face aux SDF et plus démunis. On est souvent protégé juridiquement, mais le poids moral existe bel et bien !

On sourit face aux références populaires comme Perfect Days le film. On constate que beaucoup de gens utilisent les ONG et association pour améliorer leur estime de soi. Donner de l’argent ou des actions mineures ne suffisent pas si derrière personne ne cherche à changer le problème sous-jacent. Et c’est cela qui ronge progressivement l’héroïne qui passe d’une application dure et concrète de la loi, mais qui ne supporte plus la charge mentale imposée par la misère.

Le film parle aussi de la Roumanie dans l’espace Européen, de son histoire et celle de la Transylvanie qui a été volée par les Roumains. Le film montre la haine des Russes, des soviétiques et du passé URSS. Leur combat entre les Russes et la Hongrie. Un pays en révolte intérieur où tout le monde se réclame de quelque chose !  

Un film coup de poing

Kontinental ’25 s’impose comme un film coup de poing, qui nous met face à notre propre indifférence. Derrière la trajectoire d’Orsolya, Radu Jude nous rappelle que l’application de la loi ne suffit pas à apaiser le poids de la misère : la culpabilité et la charge morale persistent. Le film souligne aussi nos contradictions, entre dons aux ONG et incapacité à changer les causes profondes. En filigrane, c’est toute la Roumanie qui se dessine, partagée entre modernité européenne et blessures de la Transylvanie, marquée par des siècles de luttes d’influence – russe, soviétique, hongroise. Ce pays fragmenté devient le miroir d’une Europe en crise d’identité, où chacun cherche à se rattacher à une mémoire, une cause ou un drapeau. Le cinéaste capte cette tension avec une ironie acide et une gravité réelle, livrant une œuvre qui fait vaciller entre rire amer et prise de conscience nécessaire.

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Note : 4 sur 5.

24 septembre 2025 en salle | 1h 49min | Drame
De Radu Jude | 
Par Radu Jude
Avec Eszter Tompa, Gabriel Spahiu, Adonis Tanța


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