Dalloway, quand Yann Gozlan confronte l’intime aux vertiges de l’IA


Dalloway – Yann Gozlan signe un thriller paranoïaque fascinant où l’intelligence artificielle devient une confidente envahissante. Entre décors oppressants, casting habité et la voix troublante de Mylène Farmer, le film questionne notre rapport à la technologie et à l’intime.

Avec Dalloway, Yann Gozlan prolonge sa réflexion sur la peur contemporaine de l’intelligence artificielle et son emprise insidieuse sur nos vies. Inspiré du roman Les Fleurs de l’ombre de Tatiana de Rosnay, le film transpose les angoisses du confinement et de notre dépendance aux technologies dans une dystopie oppressante. Au cœur du récit, Clarissa – incarnée par Cécile de France – découvre en Dalloway, son assistante virtuelle, une présence d’abord rassurante, puis de plus en plus intrusive. Le spectateur est entraîné dans un thriller paranoïaque où le doute s’installe : simple délire ou prise de pouvoir réelle de la machine ?

Une romancière en mal d’inspiration

Clarissa, romancière en panne d’inspiration, intègre une résidence d’artistes high-tech. Elle y trouve en Dalloway, son assistante virtuelle, un soutien aussi précieux qu’inquiétant. Alors que l’IA s’immisce dans ses émotions et ses souvenirs, Clarissa s’interroge : délire paranoïaque ou véritable manipulation ? Cécile de France incarne cette héroïne isolée, entourée de figures ambivalentes – Lars Mikkelsen en résident troublant, Anna Mouglalis en directrice énigmatique, Frédéric Pierrot en repère rassurant et Freya Mavor en artiste mystérieuse. Et dans l’ombre plane la voix fascinante de Mylène Farmer, donnant à Dalloway une humanité troublante.

Cecile De France Dalloway
Dalloway © ZHOU YUCHAO © Mandarin & Compagnie – Gaumont

L’IA au cœur des préoccupations de notre ère

Le 25 aout 2025, La Chronique de Mamane (RFI) parlait de l’IA comme un ami qui nous veut du bien. Synchronicité parfaite avec la dystopie de Yann Gozlan avec Cécile de France, Lars Mikkelsen, Freya Mavor, Anna Mouglalis et Mylène Farmer dans le rôle de Dalloway.

DALLOWAY reprend toute cette idée déjà développée dans le film Les Linceuls où l’on découvre les risques d’une IA où derrière quelqu’un manipulerait les idées. Ces assistants qui peu à peu grignotent notre intimité et notre intelligence émotionnelle, devenant un alter égo algorithmique capable de prédire nos schèmes de pensées et nos envies.

Nous devenons esclaves de cet alter-égo digital

Une soumission librement consentie, du rapport maitre esclave : nous devenons dépendants de cette béquille, qui annihile notre liberté et capacité de réflexion. Nous voulons peu à peu tout lui dire, avoir son avis et aussi nous rassurer quotidiennement comme un drogué vivant un transfert avec son psychanalyste. Le contre-transfert est la chute, ici symboliser par l’ombre au tableau d’une technologie de plus en plus avide à nous copier.

Le film est intense dans sa maitrise du rythme et puissant par sa photographie qui rappelle le cinéma de genre horreur actuel. Tout ce travail esthétique est mis au service d’un récit sur plusieurs échelles parlant des dangers de l’IA, du deuil et du suicide.

La symbolique de la noyade, la sensation de s’enfoncer rappelle ce sentiment que les personnes dans le deuil et la dépression ressentent. Être tiré vers le fond, se noyer dans quelque chose qui nous dépasse. L’héroïne se perd peu à peu dans deux illusions romanesques : Virginia Woolf autrice de Mrs Dalloway et de son fils, qu’elle tente de comprendre et de démystifier.

Ces voix, ces décors et ces moments où l’intime se noie dans l’altérité.

Ces voix, ces décors et ces moments où l’intime se noie dans l’altérité forment la matière première de Dalloway. La résidence d’artistes, conçue comme un cocon high-tech aux lignes arrondies et aux surfaces métalliques, glisse insensiblement du refuge protecteur à l’espace carcéral. L’appartement de Clarissa devient projection mentale, ses plafonds bas et ses focales écrasantes traduisant l’enfermement intérieur.

La mise en scène de Yann Gozlan épouse ce vertige : focales courtes, mouvements immersifs, gros plans sur le regard de Cécile de France. Face à elle, la voix grave et envoûtante de Mylène Farmer donne à l’IA une proximité troublante, presque humaine, tandis que Lars Mikkelsen, Anna Mouglalis, Frédéric Pierrot et Freya Mavor incarnent chacun une part d’ombre et d’ambiguïté. Tout concourt à brouiller la frontière entre intime et altérité : le spectateur doute, comme Clarissa, de ce qui relève de la paranoïa ou d’une dépossession réelle orchestrée par la machine.

Une dystopie d’anticipation sur notre société librement consentie à l’IA

La genèse de Dalloway prend racine dans la lecture fortuite par Yann Gozlan du roman Les Fleurs de l’ombre de Tatiana de Rosnay en plein confinement de 2020. L’univers – une résidence d’artistes ultra-connectée où une romancière dialogue avec une IA – résonnait fortement avec l’enfermement et les angoisses du moment. Mais au moment d’adapter le livre, l’irruption de ChatGPT et des IA génératives bouleverse sa perception : ce qui devait être une dystopie d’anticipation devient un miroir du réel. Avec ses coscénaristes Nicolas Bouvet-Levrard et Thomas Kruithof, le réalisateur recentre l’intrigue sur la relation entre Clarissa et Dalloway, ajoutant le contexte sanitaire et inventant un dernier acte inédit.

Le choix de Cécile de France pour incarner Clarissa s’impose rapidement : sa rigueur, son empathie naturelle et sa capacité à jouer face à une simple voix en font une protagoniste idéale. Face à elle, Lars Mikkelsen campe un Mathias Nielsen charismatique et trouble, oscillant entre lanceur d’alerte et complotiste. Anna Mouglalis incarne avec autorité Anne Dewinter, tandis que Frédéric Pierrot prête sa bienveillance à Antoine. Enfin, Freya Mavor apporte modernité et subtilité au rôle de Mia White.

Mais le véritable coup de théâtre vient du casting vocal : la voix de Dalloway est confiée à Mylène Farmer. Séduit par la gravité et l’élégance de son timbre, cinéaste lui propose le rôle. La chanteuse accepte et enregistre ses répliques en amont, offrant à l’IA une aura singulière entre mystère et séduction. Le réalisateur et son équipe soignent alors chaque nuance, oscillant entre proximité chaleureuse et froideur inquiétante.

© 2024 Mandarin & Compagnie – Gaumont – Panache Production – La compagnie Cinématographique

Visuellement, la Fondation est pensée comme un personnage à part entière. Les décors conçus avec Thierry Flamand mêlent lignes arrondies, surfaces métalliques et atmosphère feutrée, oscillant du cocon protecteur à l’espace carcéral. Manu Dacosse, à la photographie, accentue cette sensation d’enfermement par des focales courtes et une lumière contrastée. Enfin, Philippe Rombi compose une partition angoissante, entre textures électroniques et cordes, qui épouse les états émotionnels de Clarissa.

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Note : 4.5 sur 5.

17 septembre 2025 en salle | 1h 50min | Drame, Science Fiction, Thriller
De Yann Gozlan | 
Par Nicolas Bouvet, Yann Gozlan
Avec Cécile de France, Mylène Farmer, Lars Mikkelsen


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