Un thriller politique féroce et décalé, Fils de de Carlos Abascal Peiró oppose héritage familial et luttes de pouvoir. Entre ambition, satire et quête identitaire, ce premier long métrage électrise le spectateur par son rythme effréné et ses révélations.
La sortie de Fils de, premier long métrage de Carlos Abascal Peiró, arrive à point nommé dans une France encore secouée par ses débats électoraux. Entre comédie dramatique et satire politique, le film plonge le spectateur dans un univers où se croisent ambition personnelle, héritage familial et pressions institutionnelles. Nino, attaché parlementaire ambitieux, doit convaincre son père Lionel Perrin, éternel perdant en politique, d’accepter le poste de Premier Ministre. Mais l’affaire se complique lorsque les rancunes familiales s’entremêlent aux luttes de pouvoir. En 24 heures, ce fils en quête de reconnaissance devra sauver sa carrière, son couple et, peut-être, l’avenir du pays. Une fresque haletante, drôle et dérangeante, où les petits se font toujours bouffer et où la frontière entre convictions intimes et compromissions politiques devient terriblement poreuse.
Des personnages incarnant des concepts
Le point de départ de Fils de est simple et redoutable : une semaine après la présidentielle, la France attend encore son Premier Ministre. Nino, incarné par Jean Chevalier – véritable révélation du film – se voit confier la mission impossible de convaincre son propre père Lionel Perrin d’endosser le rôle. Mais ce dernier, désabusé et marqué par des échecs successifs, a quitté depuis longtemps les arcanes du pouvoir… et la vie de son fils. Cette confrontation entre un père absent et un fils qui peine à exister sans lui structure tout le récit.
À ses côtés, Malka Lopez, journaliste ambitieuse jouée par Sawsan Abès, apporte un contrepoint essentiel : elle incarne cette génération de professionnels déterminés à s’imposer dans des univers impitoyables, quitte à se brûler les ailes. Le casting choral enrichit cette fresque : François Cluzet, Karin Viard, Alex Lutz, Émilie Gavois-Kahn, Nathalie Richard ou encore Marc Zinga s’illustrent dans une succession de rôles aussi vifs que percutants.
En filigrane, Fils de met en scène un conflit des générations : d’un côté, celle attachée aux convictions et aux idéaux, de l’autre, celle qui exige des élus « propres », sans casseroles. Entre héritage filial, ambition maladroite et quête d’identité, le film se nourrit de ces fractures tout en dressant un portrait ironique de la société contemporaine.

Une satire politique efficace
Carlos Abascal Peiró, ancien journaliste devenu cinéaste, revendique un cinéma en prise directe avec le réel. Avec Fils de, il s’attaque frontalement à l’ambiguïté du rapport entre politique et médias. Le film ne cherche pas à rassurer : il dérange, secoue et ne laisse aucun répit au spectateur. Chaque scène devient un terrain de jeu où la parole s’affronte comme une arme, où les simulacres remplacent les armes réelles, mais où les blessures infligées n’en sont pas moins profondes.
L’efficacité du film tient à sa mise en scène virevoltante : plans-séquences, travellings et découpage foisonnant traduisent la fébrilité des personnages. Le spectateur est happé dans une course effrénée où les rebondissements s’enchaînent, imprévisibles et déroutants. Le rythme frénétique rappelle l’énergie d’un film d’aventures, transposé ici dans l’arène politique.
La satire, elle, vise juste. Elle met en lumière des personnages imparfaits, vulnérables, faillibles – et donc profondément humains. Ce refus de l’irréprochabilité renvoie directement à l’actualité : peut-on encore croire à la vertu politique ? Nino incarne cette génération « LinkedIn », pleine de bonnes intentions mais vite happée par les compromis. Lionel, son père, symbolise une époque révolue, où l’engagement semblait plus franc, mais où l’échec restait une constante. Malka, la journaliste, traduit quant à elle la dureté d’un monde médiatique où l’idéalisme s’épuise vite face aux rapports de force.
Le cinéaste rappelle que « les petits se font toujours bouffer ». Cette maxime traverse le récit comme un fil rouge. Derrière les dialogues crus et littéraires, derrière l’humour grinçant, se cache une lucidité redoutable sur l’implacabilité de ces milieux. On rit souvent, mais d’un rire nerveux, car la farce politique se teinte sans cesse de gravité. Le spectateur, pris dans cette spirale, oscille entre amusement et malaise.
La force de Fils de est là : une satire politique aussi drôle que dérangeante, qui n’offre jamais de répit. Le spectateur, constamment bousculé, finit par accepter l’idée que la politique, comme les médias, sont des espaces où la vertu flirte avec le ridicule, et où la quête de reconnaissance s’apparente à une tragédie moderne.
Duel des générations et des héritages
Le cœur de Fils de. réside dans cette interrogation intime et universelle : peut-on réellement construire sa vie, qu’elle soit amoureuse, professionnelle ou politique, sans accepter son héritage ? Le réalisateur en fait le moteur dramatique de son récit. Le personnage principal cherche à se démarquer d’un père qu’il juge encombrant, presque disqualifiant. Il tente de se forger une identité propre, quitte à s’appuyer sur le nom de sa mère pour ne pas être assimilé à un héritage jugé trop lourd. Pourtant, le film montre avec justesse que ce déni l’empêche d’avancer : ce n’est qu’en acceptant de porter le nom de son père, donc d’assumer la filiation qu’il a voulu fuir, qu’il devient enfin un politicien à part entière, capable de poser ses choix et d’affirmer ses convictions. Cette trajectoire résonne comme une métaphore : en politique, effacer ses origines ou refuser l’héritage familial conduit à reproduire inconsciemment les mêmes erreurs. Si en politique il est difficile d’avoir deux personnes actives portant le même nom pour éviter les dynasties, le film rappelle qu’il est tout aussi dangereux de renier son passé. En assumant son héritage, on se donne les moyens de le dépasser. Ce passage identitaire fonctionne à la fois comme une tragédie filiale et comme un manifeste générationnel : accepter d’où l’on vient pour décider où l’on va. Dans un système où l’on craint les dynasties, Fils de. rappelle que l’héritage ne se résume pas à un nom, mais qu’il peut être la base d’un engagement sincère, d’une trajectoire personnelle où l’amour, la loyauté et l’ambition trouvent enfin un équilibre.
Carlos Abascal Peiró, né en Espagne en 1991, a d’abord été journaliste avant d’intégrer la FEMIS, où il signe plusieurs courts primés et diffusés sur Arte ou France TV. Avec Fils de., son premier long, il met en scène un récit profondément marqué par son propre parcours. Le personnage de Nino porte cette part autobiographique : « Niño » en espagnol signifie « enfant », un clin d’œil assumé à l’immaturité et à la quête de reconnaissance qui traversent le film. Ce duel des générations prend racine dans une époque qu’il connaît bien, celle de la « génération LinkedIn », brillante en théorie mais souvent en difficulté lorsqu’il s’agit de vivre pleinement ses idées. Les dialogues rappellent cette tension : avoir des convictions ne suffit pas toujours, il faut parvenir à les incarner, ce qui devient une épreuve dans un monde où la politique et les médias se confondent.
Le réalisateur choisit de situer son histoire dans une France en transition, marquée par l’absence d’une figure présidentielle visible, transformée en dieu lointain et silencieux. Ce vide renforce l’impression d’un champ politique livré aux ambitions personnelles, aux improvisations et aux héritages familiaux pesants. Cette réflexion s’accompagne d’un travail esthétique fort : lumières saturées, couleurs vives et poisseuses inspirées du cinéma populaire des années 80/90, hommage à un âge d’or d’avant les super-héros. La musique vient accentuer ce contraste : entre la nostalgie kitsch de Julio Iglesias, des touches de saxophone « espèce menacée » des BO d’époque, et une Ode à la joie revisitée par Frédéric Alvarez, le film trouve un ton singulier, entre ironie et lyrisme. Enfin, le titre Fils de. ponctué d’un point n’est pas qu’un effet graphique : il résume le cœur du propos, oscillant entre népotisme, injure et filiation choisie ou subie. Un manifeste générationnel, drôle et cruel, qui place le conflit père-fils au centre d’un miroir politique et social plus large.

Ce qu’il faut savoir en allant voir le film
1. Une révélation d’acteurs
Jean Chevalier, dans le rôle de Nino, s’impose comme l’un des jeunes talents à suivre. Sa vulnérabilité et son intensité donnent une profondeur inattendue au personnage. Face à lui, Sawsan Abès campe une journaliste ambitieuse, symbole d’une génération qui refuse de rester spectatrice.
2. Une comédie politique sans concession
Le film assume une satire frontale : drôle, dérangeante, efficace. Entre dialogues percutants et rythme effréné, il ne ménage pas le spectateur et multiplie les rebondissements imprévisibles.
3. Une réflexion sur notre époque
Fils de interroge autant la politique que le rôle des médias. Le conflit des générations, l’ambiguïté du pouvoir, la difficulté d’incarner ses convictions : autant de thèmes qui résonnent avec force dans notre actualité.
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3 septembre 2025 en salle | 1h 45min | Comédie
De Carlos Abascal Peiró |
Par Carlos Abascal Peiró
Avec Jean Chevalier, François Cluzet, Karin Viard
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2 réflexions sur “Fils de – Satire politique et héritage filial”