Entre drame intime et conte moderne, Miroirs No. 3 de Christian Petzold captive par son atmosphère troublante et la complicité ambiguë entre Paula Beer et Barbara Auer. Mais derrière cette étrangeté fascinante, le récit s’essouffle, laissant l’impression d’un moyen métrage étiré.
Avec Miroirs No. 3, Christian Petzold poursuit sa quête intime autour du deuil, de l’illusion et de la reconstruction. Après Ondine et Le Ciel rouge, il signe un film aux contours vaporeux, où le réel se brouille sous le poids des souvenirs et des traumatismes. Au cœur du récit, une rencontre improbable : celle de Laura, jeune étudiante rescapée d’un accident, et de Betty, femme endeuillée qui l’accueille comme une fille retrouvée. D’abord maternelle puis troublante, cette relation glisse peu à peu vers une étrangeté diffuse, où l’attachement et la douleur se confondent.
Laura, étudiante berlinoise, échappe miraculeusement à un accident de voiture. Secouée, elle est recueillie par Betty, témoin de la scène. Dans la maison isolée, la jeune femme découvre un univers suspendu : le mari et le fils, d’abord réticents, finissent par l’accepter, comme si son arrivée permettait à la famille de panser une plaie béante. Très vite, Laura devient l’écho d’une enfant disparue. Entre Betty et elle se tisse un lien à la fois protecteur et ambigu, oscillant entre complicité, magnétisme et malaise. Dans ce microcosme hanté, chacun projette sur Laura une absence, une blessure. Le film s’articule alors autour de regards, de silences et d’instants suspendus où se rejouent la perte, la substitution et le désir impossible de réinventer une filiation.
Miroirs No. 3 déploie une atmosphère singulière, où l’on a constamment le sentiment qu’« il y a quelque chose ». Un détail qui cloche, une étrangeté persistante, comme un rêve fragile prêt à s’effondrer. La mise en scène de Christian Petzold joue précisément sur cette oscillation : la maison, la route, la clôture repeinte, chaque décor devient le théâtre d’un trouble intérieur. Paula Beer incarne Laura avec une intensité retenue, traduisant à la fois le traumatisme de l’accident et l’attrait déroutant qu’elle éprouve pour Betty.

La relation entre les deux femmes est au centre du récit. Elle évolue d’une forme de maternité rassurante vers un magnétisme plus ambigu, presque inquiétant. Betty, interprétée avec justesse par Barbara Auer, trouve en Laura un substitut à sa fille disparue, et ce glissement fait naître une tension à la fois psychologique et émotionnelle. Le spectateur hésite : assiste-t-on à une guérison ou à une manipulation inconsciente ?
Là réside l’ambivalence du film, mais aussi ses limites. Car si l’atmosphère intrigue, le récit lui, peine à s’incarner pleinement. Le twist final, censé révéler l’ampleur du secret, déçoit par son manque de puissance dramatique. L’impression qui domine est celle d’un moyen métrage étiré, cherchant à remplir un long format sans trouver toujours la matière nécessaire. Pourtant, difficile de balayer d’un revers de main les qualités indéniables : la photographie délicate de Hans Fromm, la subtilité des dialogues et l’art de filmer les silences. C’est un film d’instants, plus que de narration, qui séduit autant qu’il frustre.
Un film étrange entre drame, psychologie et deuil
Christian Petzold tisse un récit où le drame familial se fond dans une atmosphère de conte moderne. L’accident, jamais montré frontalement, agit comme une porte d’entrée vers un autre monde. Laura, survivante déconnectée de sa propre vie, renaît dans l’espace fantasmé de Betty, où chaque geste – repeindre une clôture, jouer au piano, enfourcher un vélo – prend une dimension initiatique. Le film explore cette zone trouble où la psychologie et le deuil s’entremêlent, où la douleur devient le moteur d’une illusion partagée.
Ce qui frappe, c’est la manière dont il filme l’absence. La fille disparue, Yelena, n’apparaît jamais, mais son ombre habite chaque plan. Laura devient ce miroir déformant, dans lequel la famille projette l’image de l’enfant perdue. La complicité entre elle et Betty, nourrie de gestes tendres et d’échanges de regards, suscite autant d’émotion que d’inconfort. On sent une chaleur humaine, mais aussi quelque chose de malsain, une volonté inconsciente d’effacer la mort en recréant artificiellement une présence.
La psychologie des personnages se révèle par fragments. Richard, le père, et Max, le fils, oscillent entre rejet et fascination. Le spectateur est témoin de leurs doutes, de leurs maladresses, de leur incapacité à réparer ce qui a été brisé. Chacun cherche un réconfort, mais aucun ne parvient à dépasser vraiment l’illusion.
Et c’est peut-être là que le film se perd : en voulant rester dans l’implicite, le réalisateur frôle parfois la dilution. Le spectateur attend une résolution, un coup de théâtre, mais le récit préfère se désagréger doucement, comme si la promesse initiale n’était jamais tenue. Le résultat est un objet étrange, fascinant dans son ambiance, mais frustrant par sa dramaturgie inachevée.

Anecdotes, casting et la musique
Le film réunit une fois de plus l’ensemble fidèle de Christian Petzold. Paula Beer, muse du cinéaste depuis Ondine, retrouve ici un rôle à sa mesure : une héroïne à la fois spectrale et charnelle. Son interprétation, toute en nuances, captive par sa capacité à suggérer l’indicible. Face à elle, Barbara Auer apporte une force tranquille, mêlant autorité et fragilité. Matthias Brandt et Enno Trebs complètent cette famille dévastée avec une intensité contenue, où chaque geste devient signifiant.
Le tournage, réalisé dans l’Uckermark, bénéficie d’une authenticité rare. Christian Petzold a choisi de filmer chronologiquement, exploitant les changements naturels de saison et de lumière. Cette décision confère au récit une dimension presque organique, où la nature reflète les états d’âme des personnages.
La musique occupe également une place essentielle. Le choix de Miroirs n°3 de Ravel, sous-titré Une barque sur l’océan, donne au film son titre et sa métaphore centrale. La barque ballotée par les flots devient l’image de cette famille brisée qui tente de se reconstruire. La partition classique dialogue avec les sons du quotidien – le vent, l’eau, les bruits de la maison – créant une atmosphère immersive et sensorielle.
Côté anecdotes, on notera que le cinéaste s’inspire directement d’un récit de Heinrich von Kleist pour élaborer la métaphore de l’effondrement qui crée des voûtes protectrices. De même, l’accident n’est jamais montré à l’écran, renforçant la dimension allusive du récit. Cette économie de moyens, fidèle à la tradition du cinéaste, participe à la densité symbolique du film.
Enfin, le travail avec des acteurs déjà vus dans Le Ciel rouge ou Ondine crée une continuité presque théâtrale. Christian Petzold parle d’« ensembles », soulignant que chaque rôle porte en lui les traces des précédents. Ainsi, les personnages semblent dialoguer à travers les films, comme si l’univers du réalisateur constituait une fresque intime en constante évolution.
Miroirs No. 3 est un film délicat, troublant, mais imparfait. Christian Petzold y déploie une atmosphère d’étrangeté, où se mêlent drame intime, psychologie et ombres du deuil. Si l’interprétation remarquable des acteurs et la beauté visuelle captivent, le récit lui, s’essouffle et laisse un goût d’inachevé. Ce qui devait être une plongée vertigineuse dans l’illusion et la douleur ressemble davantage à une esquisse étirée, un moyen métrage gonflé en long format. Pourtant, malgré ce défaut structurel, l’émotion affleure, portée par la complicité entre Paula Beer et Barbara Auer. Un film qui, à défaut d’être totalement abouti, reste habité par des éclats de grâce.
________
27 août 2025 en salle | 1h 26min | Drame
De Christian Petzold |
Par Christian Petzold
Avec Paula Beer, Barbara Auer, Matthias Brandt
En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

