La Femme qui en savait trop de Nader Saeivar, mise en scène minimaliste, mais émotions explosives


Dans La Femme qui en savait trop, Nader Saeivar dresse le portrait bouleversant d’une femme iranienne témoin d’un meurtre, confrontée à un système corrompu et patriarcal. Tourné clandestinement, ce film mêle tension et émotion, révélant l’étouffement des rêves brisés des femmes.

Avec La Femme qui en savait trop, Nader Saeivar signe une œuvre brûlante, à la fois intime et politique, qui s’ancre dans une réalité iranienne gangrenée par la religion et la corruption. Derrière le voile d’un polar minimaliste, le film dévoile l’impuissance d’une femme face à un système patriarcal qui transforme les mères, épouses et amantes en trophées qu’on expose ou qu’on cache selon les besoins du pouvoir. Plus qu’un thriller, c’est une radiographie d’un pays où chaque geste de liberté devient un acte de résistance.


Au cœur de l’intrigue : Tarlan, une professeure de danse à la retraite interprétée par Maryam Boubani. Un soir, elle est témoin d’un meurtre commis par une figure influente du gouvernement. Elle décide de témoigner, mais la police étouffe l’affaire. Dès lors, son existence bascule : pressions, intimidations, isolement, tout s’acharne contre elle. Son fils, effrayé, tente de la dissuader. Ses proches s’éloignent. Tarlan s’obstine pourtant, déterminée à obtenir justice, même au prix de sa réputation et de ses ressources. Le récit se concentre sur cette femme ordinaire, happée par une mécanique implacable où l’ennemi n’est pas seulement l’État, mais aussi la peur qui infuse dans chaque foyer.


Notre avis

Minimaliste dans sa mise en scène mais maximaliste dans son intensité émotionnelle, La Femme qui en savait trop frappe par sa sobriété. Le cinéaste ne cherche pas l’esbroufe formelle, il filme les visages, les silences, les regards qui disent plus que mille dialogues. La caméra capte une tension sourde : une porte qui claque, une voiture qui suit dans la nuit, une conversation interrompue par un silence pesant. Tout devient signe de menace.
La réussite du film tient à la force de son personnage central. Maryam Boubani compose une Tarlan digne, épuisée mais lucide, symbole d’une génération de femmes sacrifiées, à qui l’on a volé la possibilité de rêver. Le scénario coécrit et monté par Jafar Panahi accentue cette atmosphère d’étouffement, avec des échos directs à ses propres combats contre la censure.
Le spectateur est happé par une spirale d’injustice, pris entre colère et admiration pour cette femme qui refuse de se taire. On songe à Taxi Téhéran ou Leila’s Brothers, mais ici le récit prend des allures de huis clos paranoïaque où l’État devient un personnage invisible, omniprésent. Une œuvre qui serre la gorge autant qu’elle ouvre les yeux.

La Femme qui en savait trop © Arthood Films , Golden Girls Film

Un film sur la femme iranienne et ses rêves brisés

Le long-métrage ne se contente pas de dénoncer un crime politique. Il met en lumière l’état des femmes en Iran : désirées mais voilées, aimées mais surveillées, présentes mais effacées. Tarlan se bat pour sa fille de coeur, Zara, qui incarne ces existences suspendues, où la maternité et le mariage réduisent l’individu à un rôle social. Elle est professeure de danse, un art interdit d’espace public, confiné aux salons et aux souvenirs. Ses rêves sont ceux de milliers d’Iraniennes : respirer sans peur, choisir sans contrainte, marcher sans voile imposé.

Le film dévoile un système qui condamne celles qui aspirent à autre chose qu’à l’obéissance. Les femmes sont prisonnières de la maison, trophées que l’on exhibe ou cache selon l’intérêt des hommes de pouvoir. La scène finale, où des femmes avancent en dansant, résonne comme un cri. Le réalisateur refuse le désespoir absolu : les femmes existent, elles s’affirment, elles dansent malgré l’interdit. L’espoir passe par ces gestes minuscules, mais insoumis, ces éclats de vie fissurent la façade religieuse et politique.

Une galerie d’actrices

Dans La Femme qui en savait trop, les actrices donnent corps à différentes représentations de la femme iranienne, chacune incarnant une facette des luttes, des contradictions et des rêves brisés par un système patriarcal implacable. Maryam Boubani, dans le rôle de Tarlan, incarne la dignité silencieuse d’une femme mûre, professeure à la retraite et militante, grand-mère de substitution investie de Ghazal, dont l’existence a été confinée aux marges de la société. Par son regard et sa posture, elle se dresse contre la mise à l’ombre des mères et des épouses, refusant d’être simplement tolérée lorsqu’elles n’aspirent pas à exister au-delà du foyer. Face à elle, Ghazal Shojaei apporte une présence plus jeune, porteuse d’un désir de liberté qu’écrase l’étau social : son personnage reflète ces nouvelles générations marquées par le mouvement « Femme, Vie, Liberté », déterminées à défier les codes vestimentaires et les interdits en s’affichant sans hijab, mais constamment surveillées et réprimées. Dans cet écho, Zara, la mère de Ghazal, professeure de danse et épouse battue, incarnée par Hana Kamkar, incarne la brutalité tue au sein des foyers et la manière dont l’institution religieuse sacralise l’emprise. À travers elles, le film tisse un portrait pluriel des femmes iraniennes : celles qui se battent par petites résistances quotidiennes, celles qui héritent de décennies de silence imposé, celles qui paient de leur vie l’audace d’aimer ou de choisir. Le choix de casting dépasse ainsi la simple fiction : Maryam Boubani elle-même est devenue une figure symbolique en retirant publiquement son hijab, rejoignant par son engagement réel le combat de son personnage. Le film agit dès lors comme un miroir où se croisent trajectoires intimes et réalités collectives, révélant des visages à la fois fragiles, courageux et profondément politiques.

La Femme qui en savait trop © Arthood Films , Golden Girls Film

Un film clandestin

Le film a été tourné clandestinement, dans des conditions périlleuses. Le réalisateur a quitté l’Iran après le tournage, conscient que rester signifiait l’arrestation. Il confie avoir lui-même vécu des scènes semblables à celles filmées : emmené dans le désert par les services secrets, pressions sur sa famille, menaces psychologiques. Le film est donc une fiction nourrie d’expériences vécues.
Maryam Boubani, l’actrice principale, est une figure du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Elle fut l’une des premières à retirer son hijab publiquement, devenant symbole de ce combat. Ce choix de casting ajoute une puissance symbolique immense à son rôle. Son engagement politique l’expose à des pressions constantes, mais confère au film une authenticité bouleversante.

Le scénario est coécrit par Nader Saeivar et Jafar Panahi, figure emblématique du cinéma iranien, qui signe également le montage. Leur complicité artistique remonte à Trois Visages, primé à Cannes en 2018. On retrouve cette écriture à deux voix : discrète mais acérée, où chaque plan devient un acte de résistance.
Produit par des sociétés européennes et iraniennes exilées, La Femme qui en savait trop s’inscrit dans une tradition de cinéma clandestin qui rappelle l’urgence des films de Mohammad Rasoulof ou de Panahi lui-même. Le film a déjà été distingué à la Mostra de Venise (Prix du Public Orizzonti, 2024) et au Festival de Vesoul (2025), confirmant son impact international.


La Femme qui en savait trop est plus qu’un film : c’est un témoignage, un acte de courage, une œuvre où l’intime rencontre le politique. En suivant le combat de Tarlan, Saeivar met en lumière l’absurdité d’un système qui nie les femmes, mais révèle aussi leur force indomptable. Production modeste mais émotion décuplée, ce film résonne comme une ode à toutes celles dont les rêves ont été brisés mais qui continuent, malgré tout, à danser.


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Note : 4.5 sur 5.

27 août 2025 en salle | 1h 40min | Drame
De Nader Saeivar | 
Par Nader Saeivar, Jafar Panahi
Avec Maryam Boubani, Nader Naderpour, Abbas Imani
Titre original Shahed


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