Alpha – dès aujourd’hui en salle !


Avec Alpha, Julia Ducournau signe un récit puissant sur la mutation, l’héritage des traumatismes et la relation mère-fille. Entre drame intime et vertiges d’anticipation, le film nous plonge dans une expérience sensorielle et émotionnelle rare, au croisement du genre et de la poésie visuelle.

Présenté au Festival de Cannes 2025, Alpha marque le retour de Julia Ducournau après Grave et Titane. Le film suit une adolescente de 13 ans, dont la vie bascule lorsqu’un mystérieux tatouage apparaît sur son bras. À travers ce récit troublant, la réalisatrice explore une nouvelle fois les thèmes qui lui sont chers : le corps en transformation, la mutation comme état permanent et l’héritage invisible des traumatismes. Oscillant entre drame familial et récit d’anticipation, Alpha s’impose comme une expérience à la fois intime et universelle, où l’émotion brute domine et où chaque plan questionne la place de l’individu face à la peur, la maladie et la mémoire collective.


Alpha nous plonge dans le quotidien d’une adolescente rebelle (Mélissa Boros), vivant seule avec sa mère (Golshifteh Farahani), figure sacrificielle dont l’instinct maternel dépasse le cadre familial. La découverte d’un tatouage sur le bras d’Alpha marque le début d’une métamorphose inquiétante, à la fois physique et psychologique. À ses côtés gravitent des figures marquantes : Amin (Tahar Rahim), dont la présence incarne une autre forme de transmission et de protection, l’infirmière jouée par Emma Mackey, qui traduit l’inquiétude médicale, et le professeur incarné par Finnegan Oldfield, représentant un regard extérieur. Chaque personnage est un miroir, reflétant les fractures intimes d’Alpha et accentuant la tension dramatique. La galerie humaine orchestrée par la réalisatrice ne cherche pas à rassurer : elle interroge sans détour les liens familiaux, la fusion mère-fille et la manière dont une génération peut hériter du deuil et des blessures non cicatrisées de la précédente.


Un récit d’anticipation

Avec Alpha, Julia Ducournau choisit d’ancrer son histoire dans un univers indéterminé, où le passé et le présent dialoguent à travers des images saturées de mémoire et des tonalités visuelles contrastées. La maladie inventée, qui rappelle par certains aspects la transmission et la peur liées au Sida, devient une métaphore universelle : celle d’un traumatisme collectif refoulé, d’une peur sociale jamais affrontée, et qui finit par se transmettre de génération en génération. L’approche de la réalisatrice ne cherche pas à livrer un film social ni à dresser un constat historique. Au contraire, elle préfère rester du côté du ressenti, de l’expérience émotionnelle et charnelle. Le spectateur se retrouve face à une société fragmentée, passée d’une chaleur saturée à une froideur métallique, où les individus s’enferment dans des bulles de solitude. Ce choix esthétique et narratif inscrit Alpha dans la lignée des récits d’anticipation qui interrogent l’avenir non pas à travers des projections technologiques, mais à travers les blessures morales et psychologiques. La métaphore du « gisant », qui traverse l’œuvre, illustre cette idée : les morts non assumées, les deuils interdits, se figent et pèsent sur les vivants, imposant une mutation constante de l’individu et de la société. L’anticipation chez Julia Ducournau n’est donc pas futuriste, elle est intérieure, sensorielle et profondément humaine.


Une performance d’acteur(s)

Le casting d’Alpha constitue l’un des piliers de sa réussite. Mélissa Boros, dans le rôle-titre, incarne avec une intensité rare cette adolescente traversée par la peur, la révolte et l’incompréhension. Son jeu, entre fragilité et puissance, donne au personnage une vérité qui dépasse le cadre du récit fantastique. Golshifteh Farahani, en mère sacrificielle, déploie toute la complexité d’une figure maternelle écrasante, à la fois protectrice et étouffante, mère des siens mais aussi de tous, au point que sa fille ne peut que chercher à s’arracher de cette fusion.

Tahar Rahim, discret mais essentiel, apporte à son personnage d’Amin une densité faite de retenue, d’expérience et d’une humanité bouleversante. Emma Mackey surprend dans le rôle d’une infirmière, apportant une énergie à la fois empathique et tendue, tandis que Finnegan Oldfield compose un professeur ambigu, dont la posture en dit long sur la manière dont les adultes se positionnent face à l’inconnu. Ce travail d’ensemble, porté par la direction d’acteur de Julia Ducournau, repose sur une proximité extrême avec l’intime de chacun. La cinéaste demande à ses interprètes de se mettre à nu, d’explorer leurs propres vulnérabilités et souvenirs. Le résultat est un pacte émotionnel, où chaque corps devient un vecteur de vérité et où l’on sent le poids des blessures invisibles. Rarement un film de genre aura autant reposé sur la chair et l’émotion des acteurs, confirmant une fois de plus la capacité de la cinéaste à révéler le meilleur de ses interprètes dans des zones où le cinéma français ose rarement s’aventurer.


Une expérience empirique

Le tournage d’Alpha a été pensé comme une expérience sensorielle totale. Julia Ducournau et son chef opérateur Ruben Impens ont travaillé la lumière et la photographie de manière contrastée : d’un côté, des couleurs saturées rappelant les clichés jetables des années 80-90, pour évoquer la chaleur et la nostalgie d’un monde révolu ; de l’autre, des images désaturées, presque métalliques, traduisant la froideur contemporaine. Ce choix visuel radical met en exergue la mutation de la société et des personnages. Le travail sonore, confié à Paul Maernoudt, a suivi la même logique : le mixage privilégie le point de vue d’Alpha, jusqu’à intégrer ses sensations et ses visions fantasmées. La scène du tatouage initial, par exemple, a été construite comme une expérience de sortie de corps, où le spectateur bascule avec elle dans un espace à la frontière du réel et du cauchemar. Les costumes d’Isabelle Pannetier et les décors d’Emmanuelle Duplay ont participé à ancrer ce mélange d’intime et de symbolique, entre réalisme quotidien et abstraction visuelle.

Julia Ducournau a également insisté sur une direction d’acteur débarrassée du style : il ne s’agissait pas de composer, mais d’exposer une vérité nue. Pour cela, elle a instauré un climat de confiance, en partageant ses propres fragilités avec les acteurs, afin que chacun ose se livrer pleinement. Le film a été produit avec le soutien de structures majeures comme Canal+, OCS, France Télévisions et la Région Normandie, confirmant la confiance des institutions dans une œuvre audacieuse. En coulisses, la réalisatrice a rappelé que Alpha est un projet qu’elle gardait en elle depuis plusieurs années, mais qu’elle n’osait aborder qu’après avoir acquis la maturité nécessaire. Le choix de se lancer aujourd’hui témoigne d’une urgence artistique, celle de donner forme à une œuvre où se conjuguent mémoire intime, peur collective et quête de libération.


Avec Alpha, Julia Ducournau signe un film à la fois intime et universel, qui transcende les codes du cinéma de genre pour toucher à l’essence même de l’émotion et de la mémoire collective. À travers le parcours d’une adolescente en mutation et sa relation fusionnelle à sa mère, le film explore la manière dont les traumatismes se transmettent, hantant les vivants comme des gisants silencieux. Porté par des performances d’acteurs remarquables et une mise en scène sensorielle, Alpha confirme la singularité d’une réalisatrice qui ose regarder la vulnérabilité en face et transformer la peur en poésie visuelle. Un rendez-vous de cinéma rare, où l’intime rejoint le politique, et où l’art devient catharsis.

Alpha © MANDARIN & COMPAGNIE KALLOUCHE CINEMA FRAKAS PRODUCTIONS FRANCE 3 CINEMA
Alpha © MANDARIN & COMPAGNIE KALLOUCHE CINEMA FRAKAS PRODUCTIONS FRANCE 3 CINEMA

Cet article a été rédigé en toute indépendance, sans accompagnement du distributeur du film ou des agences de presse. Nous nous efforçons ici de rester les plus factuels possible. 


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