Plongée intense dans Salve Maria, où Mar Coll explore la maternité dans ses zones les plus sombres. Entre thriller psychologique et drame intimiste, Laura Weissmahr incarne une écrivaine hantée par un infanticide, dans une mise en scène sensorielle et féministe.
Dans Salve Maria, Mar Coll explore la maternité comme on la voit rarement au cinéma : crue, oppressante, traversée par des ombres qu’on préfère taire. Adapté du roman Las Madres No de Katixa Agirre, le film suit Maria, jeune écrivaine en proie à un profond malaise post-partum, qui s’obsède pour un fait divers local : une mère ayant noyé ses jumeaux. Entre fascination morbide et quête intime, elle s’enfonce dans un brouillard mental où les frontières entre enquête et introspection s’effacent. Le tout est porté par la performance troublante de Laura Weissmahr, une atmosphère sonore et visuelle travaillée comme une empreinte indélébile, et un regard féministe assumé sur la maternité, ses tabous et ses zones grises.
L’histoire d’une personnalité publique en pleine descente aux enfers
Maria, écrivaine reconnue, vient d’avoir un enfant. Tandis qu’elle affronte un rejet viscéral de son bébé et l’angoisse qui l’accompagne, elle se passionne pour un drame survenu non loin de chez elle : une mère a commis l’irréparable en tuant ses enfants. Ce fait divers devient son fil rouge, à la fois matière à écrire et miroir inquiétant de son propre état. À travers cette figure d’héroïne vacillante, Mar Coll ne cherche pas à la rendre héroïque, mais humaine, complexe, parfois dérangeante. On ne juge pas Maria, on l’accompagne dans ses doutes, ses silences, ses retraits. Face à elle, Nico (Oriol Pla) incarne une présence qui oscille entre soutien et incompréhension, tandis que les décors, de l’appartement confiné aux paysages montagnards, deviennent des reflets de son enfermement ou de ses tentatives d’évasion.
Un œuvre esthétique à la frontière des genres
Ce film possède une belle photographie, une ambiance bien ficelée et une actrice époustouflante. Il joue sur l’ambiguïté : le fantastique est là à travers l’ambiance du début ou les scènes d’hallucination. Le tout possède également une dimension psychodramatique très forte. Le titre donne une dimension mythique et religieuse, rappelant la salutation mariale. Cette symbolique culmine dans la scène de l’église, où Maria, happée par l’atmosphère sacrée, confronte ses tourments intimes à l’image idéalisée de la mère.
Cette dimension est renforcée par la structure du récit, découpé en quatre chapitres et un épilogue, chacun ouvert par une citation d’une autrice ou d’une héroïne emblématique comme Simone de Beauvoir, Sylvia Plath ou Médée. Ces respirations littéraires rappellent l’héritage de récits féminins rares sur la maternité et donnent une profondeur réflexive au thriller.
Sur le plan visuel, Mar Coll et Nilo Zimmermann ont fait le choix audacieux de tourner sans lumière directe, enveloppant les intérieurs dans un “nid obscur” qui traduit l’état mental de Maria et transforme l’espace en prolongement de sa psyché.
Le film s’attache aussi à la physicalité du personnage : Maria “pleure” par tous les orifices — yeux, seins, cicatrice de césarienne —, rappelant que la maternité est une transformation corporelle totale et parfois aliénante, reliée organiquement au registre de l’épouvante.
Ce réalisme organique s’ancre dans un processus d’adaptation libre du roman de Katixa Agirre, où l’ajout du rejet du bébé a remplacé une version initiale plus intellectuelle centrée sur l’histoire de l’infanticide. Ce choix recentre le film sur l’expérience sensorielle et émotionnelle de la maternité.
Sans oublié la musique de Zeltia Montes, composée dès le tournage, accompagne avec une intensité presque opératique chaque variation émotionnelle de Maria, traduisant en sons l’angoisse, le vertige ou les rares éclaircies qui traversent son parcours.

L’irruption du fantastique
La symbolique du corbeau en tant que mauvais présage est intéressant, sa violence est comparable à celle du film d’Hitchcock. Souligner par l’univers, l’enquête de l’héroïne à coup de coupure de presse et d’émissions FTV Mystères de la nuit.
Ce choix visuel et narratif n’est pas anodin : le corbeau, oiseau de malheur, s’invite comme un prolongement des peurs de Maria. Chaque apparition semble renforcer cette impression que le danger est omniprésent, que la menace pourrait surgir de n’importe où — y compris d’elle-même. Les coupures de presse qu’elle accumule, les émissions télévisées qu’elle regarde avec une intensité presque maladive, deviennent autant de pièces d’un puzzle mental où la réalité et la projection se confondent.
Mar Coll exploite le langage du thriller psychologique, glissant subtilement vers l’épouvante. La lumière bleutée, la pluie persistante et le travail sur le son, notamment autour de l’eau, enveloppent le spectateur dans un état de tension continue. Chaque plan semble interroger : jusqu’où Maria est-elle capable d’aller ? La caméra, toujours au plus près de son visage, de ses gestes ou de ses silences, accentue ce vertige.
À cela s’ajoute l’omniprésence des éléments naturels, utilisés comme des présages : l’eau de pluie battante, l’eau stagnante de la baignoire, ou encore l’image mentale de l’eau meurtrière où se joue le drame initial. La récurrence de ce motif crée un lien invisible entre le passé du fait divers et le présent de Maria. Les décors participent aussi à cette tension : l’appartement exigu devient un espace anxiogène, une frontière entre la protection et l’enfermement, tandis que le nouvel appartement en banlieue, pourtant ouvert sur la mer, isole encore davantage. Le village de Taüll, avec son relief montagneux et son ambiance masculine, agit comme un décor de film d’épouvante à ciel ouvert, où chaque recoin semble cacher une menace. Mar Coll ne montre jamais frontalement le fantastique, mais le distille dans des détails visuels et sonores, laissant au spectateur la sensation d’une frontière fragile entre réalité et cauchemar.
Être mère, lien biologique ou psycho-social ?
Le film soulève une question sur les enfants et la maternité : Quelle est la place dans la vie d’une femme — une pause ? ou un objectif de vie ?
Les réunions d’allaitement sont intéressantes, car cela permet de souligner les difficultés de Maria. Entre baby-blues et idées noires, pulsions de mort, on sombre dans un long et profond tunnel : Les infanticides ou comment une mère peut en arriver là ?
Ces scènes collectives, en apparence anodines, sont un révélateur cruel : là où d’autres mères trouvent un espace de partage, Maria se sent étrangère. Elle assiste aux discussions comme à un spectacle dont elle ne comprend plus les codes, s’interrogeant sur son incapacité à ressentir ce qu’on attend d’elle. Cette distance traduit l’aliénation que Mar Coll filme avec une précision clinique.

À travers Maria, c’est la représentation sociale de la mère parfaite, qui est mise en question. Le scénario souligne que la maternité, au lieu d’être un accomplissement automatique, peut devenir un poids insupportable lorsque le corps et l’esprit se trouvent désalignés. L’absence de diagnostic explicite dans le film — pas de mention claire de dépression post-partum — renforce l’universalité du malaise. La réalisatrice met en avant la complexité des sentiments maternels, du rejet à la peur, en passant par la culpabilité et la honte. On pense que l’instinct maternelle est innée, mais il se consrtuit comme une relation. De même, l’iconographie religieuse et de la culture pop donne une vision biaisée de la maternité comme simple, merveilleuse et évidante. Laissant de côté celles n’y arrivant pas, perdues avec un être aux besoins impérieux et vitaux. La dépression s’installe peu à peu dans ces silences et l’incapacité à évoquer avec autrui ce lien étrange, qui ne fonctionne pas !
Les dialogues implicites et le mutisme de Maria expriment ce que les mots ne peuvent pas : l’incapacité à formuler à haute voix l’indicible, de peur d’être jugée ou rejetée. Cette tension intérieure trouve un écho dans les citations féministes qui ponctuent le film, de Simone de Beauvoir à Sylvia Plath. Elles replacent la maternité dans un contexte historique et politique plus large, rappelant que le corps et la parole des mères ont longtemps été contrôlés par des récits masculins. Ainsi, Maria devient une figure de résistance malgré elle, cherchant à se réapproprier un vécu que la société voudrait normer et lisser.
Un film tourné en 35 mm pour renforcer l’esthétique
Tourné en 35 mm pour accentuer son esthétique, Salve Maria puise dans les codes du genre tout en assumant une stylisation marquée. Le choix du format et de l’éclairage indirect, proposé par le directeur photo Nilo Zimmermann, donne aux intérieurs un aspect de cocon obscur, reflet de l’enfermement mental de Maria. Les extérieurs, hivernaux et gris, prolongent cette sensation. Le village de Taüll, avec ses églises romanes et son environnement montagneux, apporte une dimension symbolique : un lieu à la fois refuge et espace hostile.
Le casting de Laura Weissmahr résulte d’une rencontre fortuite au théâtre. Sa physicalité, sa grande taille, ses yeux cernés, ont immédiatement séduit la réalisatrice. L’actrice, récompensée par un Goya, a apporté une intensité rare aux scènes les plus irrationnelles. Oriol Pla, dans le rôle de Nico, incarne un contrepoint réaliste, entre amour et désarroi.
La musique de Zeltia Montes, symphonique et chorale, agit comme un contrepoint lyrique à la banalité du quotidien filmé, créant un contraste qui participe à l’inquiétante étrangeté de l’ensemble. Ce choix musical, très présent, a été mûrement réfléchi : la compositrice est intervenue dès la phase de tournage, façonnant une partition qui suit les états émotionnels de Maria comme une ombre sonore.
Enfin, l’adaptation avec Valentina Viso a permis de transformer un récit littéraire hybride en un thriller psychologique immersif. Les libertés prises par rapport au roman — notamment l’ajout du rejet du bébé par Maria — ont permis d’ancrer le film dans une expérience sensorielle forte, pensée pour impliquer émotionnellement le spectateur du premier au dernier plan.
Salve Maria est un film qui ose regarder en face la part sombre de la maternité, sans jugement ni filtre. Mar Coll signe une œuvre à la fois intime et universelle, où l’angoisse psychologique se mêle au frisson du thriller. L’interprétation habitée de Laura Weissmahr, la photographie travaillée et la puissance sonore en font une expérience sensorielle autant qu’émotionnelle. Ce récit, qui interroge autant qu’il trouble, prolonge la ligne ténue entre lucidité et ténèbres, et nous laisse, bien après la projection, avec l’impression d’avoir traversé un territoire interdit.
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20 août 2025 en salle | 1h 51min | Drame
De Mar Coll |
Par Mar Coll, Valentina Viso
Avec Laura Weissmahr, Oriol Pla, Giannina Fruttero
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Une réflexion sur “Salve Maria – immersion obsédante dans le film de Mar Coll, thriller psychologique sur la maternité avec Laura Weissmahr et Oriol Pla”