L’Été de Jahia, Olivier Meys nous offre un film troublant, à la fois simple et puissant


Dans L’Été de Jahia, Olivier Meys réunit Noura Bance et Sofiia Malovatska dans une amitié lumineuse née au cœur d’un centre d’accueil. Entre espoir, peur et lutte administrative, un récit sensible où chaque geste devient un acte de résistance.

Dans L’Été de Jahia, Olivier Meys nous plonge dans un été suspendu, au cœur d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile en Belgique. Entre murs impersonnels et nature environnante, deux adolescentes venues d’horizons différents voient leurs solitudes se rencontrer. Jahia, 15 ans, a fui le Sahel en guerre avec sa mère post-traumatique. Mila, pleine d’énergie, a quitté la Biélorussie avec sa famille. Dans cet espace incertain, une amitié rare et lumineuse naît, bousculée par les violences silencieuses des frontières administratives. Un récit à hauteur d’adolescentes, où l’espoir devient un acte de résistance.

Critique courte

Dans L’Été de Jahia, Olivier Meys signe un film d’une justesse rare, porté par les révélations Noura Bance et Sofiia Malovatska. Dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, Jahia, 15 ans, a fui le Sahel en guerre et vit prisonnière de la peur, tandis que Mila, solaire et insatiable, apporte lumière et espoir. Ce duo fonctionne à merveille, le contraste de leurs tempéraments nourrissant une amitié intense qui se heurte à la brutalité des décisions administratives. Le cinéaste filme avec une sobriété élégante, alternant immersion brute et instants suspendus, où la nature devient un refuge symbolique. La justesse des gestes, la place donnée aux silences et le travail sur la “chorégraphie des corps” confèrent au film une force émotionnelle rare. Sans jamais céder au pathos ni au discours militant, le cinéaste compose un récit profondément humain, où l’espoir est un acte de résistance. Un film à la douceur politique, indispensable pour comprendre l’impact intime de l’exil.

Immersion dans un centre de réfugiés

Jahia vit dans l’ombre du passé douloureux de sa mère, repliée sur elle-même et figée par la peur d’un futur incertain. Responsable avant l’âge, elle affronte le quotidien avec sérieux, mais reste prisonnière d’un lien maternel oppressant. Mila, elle, respire la joie et l’insatiable curiosité. Solaire, volontaire, elle insuffle une énergie nouvelle à ceux qui l’entourent. Leur seule langue commune est le français, appris vite par nécessité, et elles se servent de ce pont linguistique pour se découvrir. Mais derrière les éclats de rire et les instants volés à la pesanteur du centre, la menace d’une expulsion plane. Lorsque Mila reçoit une obligation de quitter le territoire, l’équilibre fragile de leur amitié bascule, donnant à Jahia la force de se battre non seulement pour son amie, mais aussi pour elle-même.

Rencontre de deux opposés

Tout les sépare, et c’est ce qui les unit. Jahia vit physiquement en Belgique, mais son esprit est resté là-bas. Prise au piège des responsabilités auprès d’une mère enfermée dans ses traumatismes. Ses gestes sont mesurés, son regard vigilant, comme si chaque instant pouvait annoncer une mauvaise nouvelle. Mila, à l’inverse, s’abandonne à la vie. Sa curiosité n’a pas de bornes, son rire perce la grisaille des couloirs du centre. Solaire, elle sème des éclats de bonheur autour d’elle, et même dans le silence de Jahia, elle devine un terrain fertile pour la complicité.

La force de ce duo repose sur la manière dont Mila, par petites touches, ouvre les horizons de Jahia. Une balade en pleine nature devient un terrain d’aventures. Un toit déserté, un refuge secret. Des mots simples, des gestes spontanés, des sourires partagés. L’énergie communicative de Mila agit comme un remède au repli, comme un antidote au poids de l’incertitude. Jahia apprend à envisager autre chose que la peur – à regarder vers demain, même si celui-ci reste flou.

Spoilers

Pourtant, cette alchimie fragile se heurte à la réalité : les papiers, les procédures, les décisions qui tombent sans appel. L’annonce brutale de l’expulsion de Mila fait vaciller ce qu’elles ont construit. Le rôle s’inverse : Jahia, d’ordinaire figée par l’angoisse, devient celle qui porte la flamme. Elle refuse de voir son amie sombrer dans le syndrome de résignation, ce retrait complet du monde qui menace tant d’adolescents en exil. Sauver Mila devient un acte vital – et, dans le même mouvement, une façon de se sauver elle-même.

Mila Sofiia Malovatska
L'été de Jahia
L’été de Jahia © 2025 Condor Distribution – Sofiia Malovatska incarnant Mila

Deux adolescentes en pleine guerre politique et administrative

Leur jeunesse est prise en otage par un système où chaque décision administrative pèse plus lourd que leurs rêves. Jahia ne comprend pas pourquoi on lui impose de passer des diplômes alors qu’aucune garantie ne lui est donnée de rester en France. Le paradoxe, la révolte : à quoi bon préparer un avenir quand on ne sait pas si l’on pourra y accéder ?

Mila, elle, porte en elle le désir de grandes études au Royaume-Uni, d’une vie libre et ambitieuse. Mais cette ambition se heurte à la froideur d’un courrier : une obligation de quitter le territoire.
Le film montre avec justesse la mécanique absurde de la « guerre administrative » : prouver que l’on est en danger dans son pays d’origine, attendre une réponse, recevoir un refus, risquer l’expulsion immédiate si l’on fait appel. C’est une lutte invisible, rythmée par les délais, les convocations, les silences institutionnels. Un temps suspendu où chaque projet est une prise de risque.

Au centre d’accueil, les journées s’étirent, ponctuées par les démarches, les entretiens, les rumeurs de couloir. Les murs impersonnels enferment autant qu’ils protègent. La carrière, la nature environnante, deviennent des échappées vitales – un endroit où elles peuvent respirer, s’autoriser à être des adolescentes, parler de musique, de voyages, de garçons, rêver sans se censurer.

Mais la menace est constante. Mila, frappée par la violence symbolique d’une décision injuste, voit son énergie se briser. Le syndrome de résignation guette, ce sommeil profond qui coupe du monde. Jahia refuse de céder. Elle devient l’ancre de leur duo, rappelant à Mila la force de vivre, cherchant à transformer l’amitié en bouclier contre l’injustice. Dans ce combat, le film montre que la solidarité est aussi politique : elle est une réponse intime et immédiate à la brutalité administrative.


Un duo de deux actrices touchantes et incroyables

Pour incarner Jahia et Mila, le réalisateur a choisi Noura Bance et Sofiia Malovatska, deux jeunes actrices non-professionnelles, nourries par leur propre parcours migratoire. Leur interprétation, empreinte d’authenticité, capte chaque nuance des émotions vécues par leurs personnages. Noura apporte une gravité contenue, une force intérieure qui transparaît dans le silence. Sofiia, solaire, insuffle l’énergie et l’espoir. Leur complicité à l’écran, forgée par un an de préparation et de répétitions, donne au film une intensité rare et bouleversante.

Une fiction documentée

Issu du documentaire, Olivier Meys a construit L’Été de Jahia à partir d’immersions dans le quotidien des demandeurs d’asile. Tourné en grande partie dans un vrai centre d’accueil, le film mêle décors réels et espaces maîtrisés pour raconter une histoire à la fois ancrée dans la réalité et portée par la fiction. Le casting fut l’un des plus grands défis : trouver deux jeunes filles capables de porter des rôles aussi complexes, avec un vécu migrant qui enrichisse leur jeu.

Les recherches ont duré un an, couvrant la région parisienne, la Belgique et les Hauts-de-France. Noura Bance a été repérée dans un centre pour mineurs non accompagnés à Béthune, Sofiia Malovatska via un appel sur les réseaux sociaux. Leur préparation a inclus des répétitions mécaniques, mais aussi un travail sur la « chorégraphie des corps », pour que chaque geste, chaque distance, chaque rapprochement ait un sens narratif.

L’Été de Jahia : Photo Noura Bance, Sofiia Malovatska © 2025 Condor Distribution
L’Été de Jahia : Photo Noura Bance, Sofiia Malovatska © 2025 Condor Distribution

Anecdote : Sofiia, arrivée d’Ukraine depuis un an seulement, ne maîtrisait pas encore parfaitement le français. Les dialogues ont été adaptés à son phrasé pour préserver l’authenticité de son jeu. Noura, elle, a puisé dans sa propre expérience de l’attente des papiers pour nourrir la peur et la retenue de Jahia.
Autour d’elles, le réalisateur a placé des comédiens confirmés comme Céline Sallette et Audrey Kouakou, apportant équilibre et soutien. Ce mélange entre acteurs professionnels et non-professionnels a créé une dynamique particulière sur le plateau : une énergie brute et spontanée, encadrée par l’expérience.

L’Été de Jahia est un film sur l’espoir comme acte de résistance. Olivier Meys signe un récit délicat, où l’amitié devient un refuge face à l’arbitraire administratif. Porté par deux révélations, Noura Bance et Sofiia Malovatska, il capte la beauté fragile des liens qui se tissent dans l’adversité. Ni militant, ni édulcoré, il pose un regard profondément humain sur une réalité trop souvent reléguée hors-champ.

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Note : 5 sur 5.

6 août 2025 en salle | 1h 30min | Drame
De Olivier Meys | 
Par Olivier Meys, John Shank
Avec Noura Bance, Sofiia Malovatska, Céline Sallette


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