Au cœur du Québec des années 30, une amitié épistolaire entre un frère botaniste et son élève bouleverse les dogmes religieux et sociaux. Entre désir, science et foi, ce film explore l’amour interdit, la beauté du monde et la quête de vérité intérieure.
Inspiré de la correspondance réelle entre le frère Marie-Victorin, botaniste reconnu, et son élève Marcelle Gauvreau, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles est bien plus qu’un film historique. Lyne Charlebois tisse un récit vibrant, mêlant le passé et le présent, où l’intellect se confronte au désir, et où l’amour se vit dans les silences, les lettres, les non-dits. À travers une mise en abîme audacieuse — un film dans le film — la réalisatrice québécoise offre un regard émouvant sur la liberté d’aimer, de penser, de désirer. Un hommage poétique à deux âmes passionnées par la science, la spiritualité… et l’humain.
Dans le Québec rural des années 30, une jeune scientifique et un frère botaniste tissent une relation épistolaire intense. Leur amour, spirituel et charnel à la fois, défie les interdits de leur époque. En écho à cette histoire vraie, deux personnages contemporains réinventent leur lien à travers un tournage. Véritable plongée dans le désir, la foi et la transmission, ce métafilm questionne l’héritage des émotions et la possibilité d’un amour hors des normes.
Un film sur la vie, ce qu’elle est sur le plan théorique et empiriquement
Parfois frôler la mort ouvre des perspectives, une envie de vivre et de comprendre le monde sans se laisser enfermer par des diktats enrobés de dogmes abstraits.
Frôler la mort, comme l’ont fait Marie-Victorin et Marcelle, révèle l’urgence d’aimer, de transmettre et de penser librement. Leur correspondance devient un refuge contre les carcans religieux et sociaux. Le film montre comment, face à la fragilité de la vie, l’esprit s’ouvre à la beauté du monde, au désir, à la quête de vérité.

Un film sur la liberté de penser et de s’instruire
Si on veut avoir un droit, il faut enfoncer des portes. Dans ce film, on cherche à vaincre la Nature de peur de devoir affronter ce qu’on est au plus profond de nous-même : Des êtres de pulsions et de désirs ! Et le plus intéressant dans ce film est de voir les éléments du méta film se confondre avec le film qui se dessine dans le récit. Les émotions, l’amour s’infiltrent partout et sont plus fort que la raison ou les règles des institutions.
Le film éclaire sur ce besoin de nourrir l’âme et la réflexion de manière conjointe. On parle aussi de la question du mariage chez les religieux, comment des hommes et des femmes faisant vœux de chasteté peuvent conseiller des hommes et des femmes perdus dans leur vie intime ?
Le combat contre les plaisirs charnels se nourrie de la peur de l’inconnu et de la frustration de ne pouvoir expérimenter librement une partie de la vie. Les organes reproducteurs sont analysés de manière Naturaliste et on cherche à créer le lien dans le néant séparant le cœur de l’esprit, la Spiritualité de la Culture.
Ce qui rend le film particulièrement singulier, c’est l’entrelacement entre les récits d’hier et d’aujourd’hui. À travers Roxanne et Antoine, les deux acteurs incarnant Marcelle et Marie-Victorin, Lyne Charlebois explore un effet miroir : les émotions traversées par leurs personnages éveillent en eux des interrogations intimes, parfois dérangeantes, sur leur propre rapport au désir, à la foi et à l’acceptation de soi.
Cette mise en abîme, ce « film dans le film », devient un espace de réflexion universelle : peut-on vraiment juger les choix du passé avec les repères d’aujourd’hui ? Le dispositif invite à suspendre nos certitudes contemporaines pour redécouvrir l’intensité d’un amour hors normes, sans céder à la tentation du procès moral.
Les mots et leurs fonctions – Père ou frère
Dans Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles, le film joue sur la confusion des titres frère et père, bien que régulièrement Frère Marie-Victorin reprenne Marcelle Gauvreau en disant « Frère » et non « Père ». Cette distinction n’est pas anodine : dans le Québec des années 30, un père est un prêtre ordonné, capable de dire la messe et de confesser, tandis qu’un frère est un religieux non ordonné, souvent enseignant ou impliqué dans les tâches concrètes de la communauté. Marie-Victorin, botaniste passionné et homme de science, n’était pas prêtre mais frère, ce qui le plaçait en dehors du clergé sacerdotal tout en incarnant une figure spirituelle et intellectuelle forte. Le film souligne subtilement cette nuance.
Si ce film peut bouleverser celui qui tendra l’oreille et le cœur, c’est qu’il met en perspective l’Amour, le Désir dans l’épistolaire, mais aussi dans notre société. Avant on faisait des phrases pour dire beaucoup, maintenant, on émet des silences qui veulent à la fois tout dire et son contraire.
Plus notre liberté d’aimer et d’échanger avec les autres grandit et plus on s’aime à base d’émoticônes et de ghosting. Comme pour nier notre passé et notre capacité à se dévoiler autrement que sur les réseaux et à travers des algorithmes.
Un film sur le Canada fantasmé par le cinéma
Le cinéma francophone canadien est de plus en plus présent dans le vieux continent et cela permet d’apprendre et de connaitre un peu plus d’une histoire peu enseignée, des auteurs peu dévoilés en France. Ici, Pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois dévoile une mise en scène de l’amour, du désir et du devoir extrait et inspiré librement de la correspondance de Frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau.
Ce qui frappe en regardant ce métafilm, c’est la représentation très caricaturée de l’époque où évoluent les protagonistes dans le film en cours de production : Un Québec des années 30 qui ressemble à l’Amérique de Tom Sawyer et de la Petite maison dans la prairie.
Le Canada, le Québec ne sont pas les USA
Le Québec des années 30 ressemblait réellement à un monde rural, pauvre et pieux, ce qui évoque certaines images de Tom Sawyer ou de Laura Ingalls. Mais la façon dont le cinéma le montre est influencée par le langage cinématographique nord-américain. C’est une coïncidence esthétique… plus qu’un mimétisme historique.
D’ailleurs, cette ressemblance n’est pas tant une preuve d’américanisation qu’un reflet de la ruralité partagée entre deux mondes : celui des pionniers protestants des Plaines et celui des cultivateurs catholiques du Bas-Canada. Même pauvreté, mêmes cabanes en bois, mêmes vêtements rapiécés, même rapport à la terre et aux saisons. Ce que l’on perçoit comme « américain », c’est parfois juste une image universelle de la rusticité. Et les films québécois, en voulant retranscrire cette époque, puisent naturellement dans les codes visuels ancrés dans l’inconscient collectif… souvent façonné par Hollywood, il est vrai.
Mais attention à ne pas confondre l’image et le fond. Car sous cette apparente familiarité visuelle, le Québec des années 30 suit une tout autre boussole morale. Ici, l’Église régit les consciences, la langue française structure la pensée, et l’influence des États-Unis reste une menace plus qu’un modèle. Le cinéma québécois qui revisite cette époque — pensons à Mon Oncle Antoine, Les Ordres ou La Sagouine — ne cherche pas à copier l’Amérique, mais à raconter une mémoire, parfois douloureuse, souvent silencieuse, avec les outils narratifs qu’il a sous la main. Et s’il arrive que le décor ressemble à celui des Ingalls, c’est peut-être parce que les plaines du Midwest et celles du Bas-Saint-Laurent partagent, malgré tout, un même vent d’hiver.

Une héroïne discrète à découvrir
Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles est aussi l’histoire d’une héroïne silencieuse, discrète, mais résolument avant-gardiste : Marcelle Gauvreau. Dans un Québec des années 30 encore corseté par l’Église et dominé par des figures masculines, elle ose un chemin que peu de femmes empruntaient à l’époque : celui des sciences naturelles. D’abord étudiante en philosophie, c’est grâce à un concours de botanique qu’elle découvre son amour pour les plantes… et sa vocation scientifique. Diplômée dès 1932, elle intègre l’Institut de botanique dirigé par le frère Marie-Victorin — et deviendra sa bibliothécaire, son assistante, sa confidente. Mais bien au-delà du rôle de collaboratrice, Marcelle incarne une femme libre qui refuse de renoncer à son intelligence, à son indépendance, à sa curiosité. Elle s’impose dans un monde d’hommes, à une époque où ni la science ni l’Église ne laissent une vraie place aux femmes.
Le film rappelle à quel point sa présence est politique : en s’investissant dans la recherche, dans l’éducation des enfants à la nature, dans la rédaction de lettres audacieuses sur le désir et la sexualité, elle bouscule l’ordre établi. Elle remet en question les dogmes religieux autant que les cadres rigides de la science académique. C’est aussi pour cela que son choix de rester célibataire et fidèle à sa mission jusqu’à sa mort résonne comme un acte fort, presque militant. Ce que Lyne Charlebois filme, avec tendresse et clarté, c’est une femme qui a fait le pari de ne pas se taire, de ne pas s’effacer — même dans l’ombre d’un homme brillant. Marcelle Gauvreau n’est pas l’élève amoureuse d’un maître : elle est une femme de savoir, de cœur et d’audace, que l’Histoire avait oubliée et que le cinéma vient enfin éclairer.
Un film d’amour et de respect, la foi ne doit pas être un obstacle à la découverte du Savoir
Mais derrière cette histoire d’amour contrariée, c’est aussi un récit de fidélité, d’héritage et de transmission qui se dessine. Après la mort brutale de Marie-Victorin en 1944, Marcelle Gauvreau restera fidèle à sa promesse d’être « toute à lui, toujours, jusqu’à la mort ». Elle ne se mariera jamais et consacrera sa vie à l’éducation scientifique des enfants, fondant dès 1935 l’École de l’Éveil. Ce pan de l’histoire, essentiel, donne une profondeur supplémentaire au film : l’amour n’y est pas seulement un élan contrarié, mais une force agissante, qui transforme une vie. On découvre une femme résolument moderne, pionnière dans sa manière d’articuler savoir, transmission et vocation. Marcelle ne se réduit pas à une muse : elle est actrice de sa propre légende, transmettant aux plus jeunes cet appétit de comprendre le monde que Marie-Victorin lui avait révélé.
Le film rend également hommage à la nature et à la science, en résonance avec la grande œuvre de Marie-Victorin : Flore Laurentienne, somme botanique majeure et manifeste poétique sur la beauté du vivant. À travers elle, la science devient langage du sensible, dialogue avec le mystère, et l’amour des plantes se fait métaphore d’un amour plus vaste, presque sacré. Le Jardin botanique de Montréal, qu’il a fondé, devient dans le film une présence symbolique : un lieu d’ordre et de foisonnement, reflet de la tension entre rigueur intellectuelle et démesure des sentiments. Cette richesse esthétique est soutenue par une mise en scène soignée : la photographie douce, les compositions musicales signées Viviane Audet et Robin-Jöel Cool, les silences choisis… tout contribue à créer une atmosphère suspendue, presque onirique. Enfin, il est important de souligner que Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles n’est pas passé inaperçu : sélectionné en clôture du Festival du Film Canadien de Dieppe 2025 et récompensé du Valois de la Meilleure Actrice pour Mylène Mackay à Angoulême en 2024, le film trouve écho auprès des jurys autant que des spectateurs. Une reconnaissance méritée pour un film qui célèbre la lenteur, l’intériorité et la beauté de ce qui résiste au tumulte du monde.

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles est un film rare, à la fois intime et universel, qui nous parle de transmission, d’amour et de savoir avec une grâce pudique et profonde. Porté par une réalisation sensible et des interprètes habités, il dépasse les cadres du biopic historique pour devenir une œuvre sur la mémoire vivante : celle du cœur, du corps et de l’intellect. Lyne Charlebois signe ici un geste cinématographique fort, qui relie les époques et nous rappelle, avec douceur et intensité, que comprendre le passé, c’est aussi mieux habiter le présent. Un film nécessaire, pour celles et ceux qui croient encore à la puissance du verbe et à la beauté de ce qui ne s’explique pas toujours.
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20 août 2025 en salle | 1h 39min | Drame
De Lyne Charlebois |
Par Lyne Charlebois
Avec Alexandre Goyette, Mylène MacKay, Rachel Graton
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