Confidente – Un huis clos vibrant dans la Turquie des années 1990


Dans Confidente, Saadet Işıl Aksoy incarne une opératrice de hotline confrontée à une urgence vitale en pleine nuit. Thriller psychologique intense signé Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, le film interroge le désir, la parole féminine et la résilience dans la Turquie des années 90.

À Ankara en 1999, un séisme bouleverse le quotidien d’Arzu, opératrice dans un call center érotique. Cloîtrée depuis l’enfance en raison d’un handicap, elle excelle dans l’art de la voix et du mensonge. Mais lorsqu’un client la supplie de l’aider, coincé sous les décombres, Arzu doit faire un choix. Conçu comme un thriller psychologique en huis clos, Confidente de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti mêle tension intérieure, critique sociale et manifeste féministe dans une Turquie tiraillée entre tradition et modernité. Le film questionne subtilement la parole, le désir, et le courage d’être soi dans un pays aux règles rigides.

Une tension diffuse, mais concentrée hors champ, qui pousse le personnage à s’engager dans un jeu d’échanges stratégiques. Un peu comme dans Guilty. On a une performance de l’actrice ici, Saadet Işıl Aksoy, à travers son personnage devient la personnification de nos peurs profondes et l’expression de nos propres insécurités liées à nos fantasmes et désirs.

Comme The Guilty, Confidente construit sa tension sur ce qui ne se voit pas : la voix, le silence, l’inconnu à l’autre bout du fil. Mais là où le film danois misait sur une mécanique policière, Confidente s’en distingue par un ancrage plus intime, presque charnel. Arzu évolue dans un huis clos vocal, mais c’est son monde intérieur qui se fissure. Le lien avec Le Choix de Vincent Lindon surgit alors : face à l’urgence, ce n’est pas l’action qui importe, mais le poids du dilemme. Arzu, comme le personnage de Lindon, n’est pas héroïque au sens classique. Elle vacille, doute, mais choisit. Et c’est dans ce vertige moral que le film nous saisit.

Confidente illustre à quel point le cinéma turc est en plein essor, porté par l’explosion de séries et de films sur les plateformes légales comme Netflix.

Confidente: Saadet Işıl Aksoy © Pyramide Distribution
Confidente: Saadet Işıl Aksoy © Pyramide Distribution

Un plaidoyer pour la liberté des femmes, d’agir et de penser

Le film donne également la parole à une femme dans un pays très traditionnel et respectueux de la religion. En centrant son récit sur Arzu, quadragénaire marginalisée, Confidente refuse les clichés de la jeunesse et du glamour. Arzu ne parle pas pour séduire : elle parle pour survivre, se défendre, résister. À travers ses appels, ses mensonges, puis ses élans de sincérité, elle se réapproprie sa voix et son destin.

Ce huis clos devient alors une prise de parole politique et intime. Le manifeste final d’Arzu, directement inspiré d’un discours féministe entendu dans les années 90, résonne comme un cri de ralliement pour toutes celles qu’on réduit au silence. À travers cette figure singulière, Confidente montre que la parole féminine, même confinée, peut devenir arme, outil de transmission et d’émancipation.

Les femmes désirées et fantasmées, le cas de la Turquie un pays à part en Europe et dans le monde musulman

La Turquie, pays charnière entre Orient et Occident, cultive une contradiction permanente : à la fois pionnière dans certains droits accordés aux femmes (vote en 1934, IVG en 1984), elle demeure imprégnée de conservatisme, notamment dans les représentations féminines. Le prénom d’Arzu, très répandu dans les années 90 à Ankara, reflète cet imaginaire collectif où la femme est à la fois désirée et enfermée dans un rôle fantasmé. Les téléphones roses, en plein essor à l’époque, étaient déjà un espace ambigu : lieux de désir, mais aussi de solitude masculine et de performances féminines imposées.

Confidente: Saadet Işıl Aksoy © Pyramide Distribution

Dans Confidente, Arzu incarne ce tiraillement. Elle est celle qu’on appelle pour fantasmer, mais aussi celle qu’on ignore dans la réalité. Sa parole devient l’expression d’un désir d’être reconnue, au-delà des rôles. Le film met en lumière ce que la société turque peine à concilier : l’expression libre du féminin dans un cadre social où la modernité s’enchevêtre avec le poids des traditions. Plus que turc, ce paradoxe est universel.

Confidente est un film rare, qui parvient à allier huis clos tendu, discours politique et poésie du hors-champ. Le duo de réalisateurs explore avec finesse la tension entre l’intime et le collectif, entre la fiction et la réalité, entre le silence imposé et la parole conquise. La performance de Saadet Işıl Aksoy, lumineuse et entière, est à la hauteur de cette ambition : offrir un visage à toutes celles qu’on n’écoute pas. Le regard final, caméra frontale, n’est pas une clôture : c’est une invitation à poursuivre le combat, à transmettre la parole.
Le film se clôture sur la chanson de Clara Ysé – Douce, apportant une touche à la fois existentielle et féministe au générique de fin.

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Note : 5 sur 5.

6 août 2025 en salle | 1h 16min | Drame
De Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti
Avec Saadet Işıl Aksoy, Erkan Kolçak Köstendil, Muhammet Uzuner


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